Créations

Le souffle du ciel (extraits)

 Isis

 À l’ombre des oliviers,
le bleu de la mer Égée
s’ébat sous les cils d’Élyane,

 sa robe blanche s’enroule
autour des colonnes de l’Agora,

 le voile d’Isis en quête, 

sur les eaux, les os en dérive
se rejoignent en pont
et chantent sur la mer.

Voie étoilée

 – Sois pour moi
la reine de Saba,
femme du Levant,
or, encens et myrrhe
sur mon chemin étoilé.

 

Corps de papillons

 Nuées de papillons jaunes,
entre des herbes fanées
depuis mille ans,

 mon corps,

 déchirements blancs
de nuages harcelés, 

les veillées nourrissant
le sang de l’argile,

 nuées de papillons,
enivrés par le souffle
de la lampe enchantée,

 depuis mille et mille ans égarée,

 poussière de papillons
mon corps,
frémissement blanc.

 

Le sentier aux papillons

 Comme un nuage dans l’herbe en flammes
elle attire le soleil sur le sentier,

 le corps mince, courbé dans l’air,
la rosée de la plaine perlant ses pieds,

 les cheveux empourprés, de saule pleureur,
des ombres par-dessus le soleil traînant sous ses pas,

 elle glisse dans les herbes,
hume des traces fragiles,

 de ses cheveux, des papillons jaunes
s’éparpillent sur ses épaules,

derrière, le regard d’herbes et de papillons.

 

Un rond de cigarette

 la fumée de la cigarette s’élève en silence,
un rond se défait parfois de la bouffée,
s’en va étourdi dans la nuit,
se ravisant d’un coup
il revient lentement vers hier
comme un saut de dauphin dans l’océan,

 il cherche le chemin de la soie
avant d’avoir allumé la cigarette,
avant la chute et un instant
il demeure éperdu dans le souffle froid du vent,

 il retourne en arrière, attiré par la lumière
d’un sourire lointain,

il y a si longtemps depuis ce jour-là,
presqu’une moitié de siècle,

il peut encore la toucher
du chant de sa jeunesse émerveillée,

 ses murmures glissent  encore dans
le tressaillement de son coeur
aux étranges odeurs du soir,
les égarements  cessent soudain
au bord d’une rivière,

 la rivière coule encore quelque part
dans une contrée rendue sauvage par l’attente,
la fumée de la cigarette s’élève en silence,
un rond de la cigarette allumée
attend que la nuit se dissipe.

 

La lune rouge

 Tel un arc étendu la pensée
passe par épée et feu des rives,allume des feux sur la mer

 pour brûler l’épouvante du dernier instant
et le gouffre dans lequel on glisse sans savoir
qu’il n’y a plus de retour, 

pour déterrer l’été de l’amour
sous une immense lune rouge,

 sa trace apparaît encore dans la nuit
sans le sable rouge de la brûlure,
sous sa pâleur dort le sang

empoisonné par la mélancolie
jusqu’à ce qu’il coule de nouveau limpide
rougissant la lune de l’été,

la nuit sur les épaules on descend
jusqu’à la mer
pour prendre une goutte de son feu.

 

Le ciel au jardin

 Les instants s’émiettent dans le silence des feuilles,
murmures des ombres du midi sur les collines,
frémissement de paroles dans les arbres,

 les nuits et les jours ne meurent pas aux tréfonds,
le vif d’hier nourrit mes matins vides,
leur lumière murmure dans le sang du jour,

 l’air se fait prière en moi,
les feuilles ne cessent de se taire,
murmurent la même histoire,

 ton ciel accroché aux branches du jardin
glisse sa lumière en moi.

 

L’élégie des chevaux blancs

 Un cheval noir galope sauvagement contre la prairie
dans l’air éclairci d’un matin de l’été
où il ne peut plus s’arrêter,

 les yeux rivés sur le ciel de dedans, renversé en dehors,
un cheval blanc égaré dans les herbes
galope hanté par l’orage,

 le matin coule dans l’oeil du cheval noir,
se mêle au blanc ondoyant et chimérique du corps blanc
pris un instant  dans la soie du regard,

 deux chevaux galopent à travers l’été,
brillant sur la crête d’une montagne,
leurs chemins se croisent aux Sentiers,

 le Ciel reconnaît la Terre :
l’élégie des chevaux blancs à travers l’orage.

Sonia Elvireanu, poèmes extraits du recueil Le souffle du ciel, L’Harmattan, 2019