La Biennale d’Aix-en-Provence qui fermera ses portes le 14 décembre s’est ouverte les 21 et 22 septembre avec deux événements aussi remarquables l’un que l’autre, quoique dans des genres très différents, un spectacle de Tiago Rodrigues au théâtre de l’Archevêché, qui parle du deuil, de la mort et surtout de la littérature devant un public conquis et fervent (1) et un oratorio polyphonique qui est non seulement chanté a capella, à plusieurs voix, mais joué et dansé par ses interprètes et cela en grande partie en se déplaçant dans les rues.
Gustav Holst (1874-1934) est un compositeur anglais, né dans une famille de musiciens. Il était lui-même organiste et jouait du trombone (qu’il avait appris dans l’espoir de vaincre son asthme !), professeur et directeur musical, admirateur de Wagner et surtout l’auteur de nombreuses partitions parmi lesquelles The Planets qui fut créée, d’abord incomplètement, en 1918 avant de connaître le succès dès l’année suivante. Il s’agit d’un poème symphonique en sept parties, soit Mars, « celui qui apporte la guerre », Vénus, « celle qui apporte la paix », Mercure, « le messager ailé », Jupiter, « celui qui apporte la gaieté », Saturne, « celui qui apporte la vieillesse », Uranus, « le magicien » et enfin « Neptune », « le mystique ». The Planets réclame un orchestre symphonique au grand complet et un double chœur féminin ! Autant dire qu’il n’est pas question de le jouer ainsi en mouvement dans les rues étroites d’Aix.
La Ville en feu, qui s’est saisie de ce morceau pour offrir le spectacle présenté à Aix, est un collectif de dix comédiens ayant également des aptitudes certaines pour le chant et la danse. Leur adaptation pour des voix est saisissante et, à écouter l’original, elle est aussi fidèle que possible compte tenu du saut qui existe entre l’orchestre symphonique et un ensemble de dix voix. Évidemment, un auditeur non prévenu ne parviendra pas à reconnaître quel morceau chanté correspond à quelle planète de la partition. Mais il reconnaîtra la qualité de la pièce qui lui est proposée, spectacle total, comme l’opéra, dira-t-on, sauf que ici les chanteurs-comédiens-danseurs sont au plus près du public, qu’ils le frôlent, le fixent des yeux (les yeux qui sont aussi un langage). Une toute autre expérience que l’opéra, en réalité, où l’on est assis face à un plateau sur lequel des interprètes se produisent. Ici on dirait plutôt qu’ils se prodiguent !
Si une partie se déroule à l’intérieur de la chapelle de la rue Lacépède (attenante au lycée du Sacré-Cœur qui accueille également une séquence dans sa cour), ce qui permet au public de s’asseoir un moment, les interprètes, quant à eux, ne restent pas longtemps figés devant l’autel, les lumières s’éteignent, ils allument des petites lampes rouges, formant une masse indistincte, accroupie dans l’allée centrale, avant que deux garçons ne s’en détachent en gambadant… et ceci n’est qu’un tableau parmi tant d’autres ! Il y a aussi, ce n’est encore une fois qu’un exemple, ce moment tout aussi spectaculaire où un garçon fait tournoyer l’une des filles avant de la laisser tomber avec une apparente brutalité. Garçons ? Filles ? Leur juvénilité n’incite pas à les appeler autrement, même si un tour sur le site La Grosse Plateforme nous enseigne qu’ils ne manquent pas d’expérience.
Bref, cette pièce qui n’était jouée in extenso que pour la deuxième fois le 21 septembre à Aix (après une première soirée à Marseille) démontre déjà des qualités extraordinaires compte tenu de la difficulté de l’exercice (comment un chanteur peut-il se rattacher à une partition sans paroles, seulement des onomatopées, des vocalises, tout en se déplaçant, en jouant de son corps, le tout en harmonie avec les autres ?). On ne regrette qu’une chose, que le public n’ait pas été encore plus nombreux à profiter de ce spectacle (gratuit) auquel on souhaite longue vie dans le plus grand nombre de lieux possibles.
Les 21 et 22 septembre 2024 dans le cadre de la Biennale d’Aix-en-Provence. Avec Marius Barthaux, Thomas Bleton, Louise Buléon-Kayser, Agathe de Wispelaere, Juliet Doucet, Giulia Dussollier, Jean Hostache, Myriam Jarmache, Sim Peretti et Garance Silve.
PS/ La photo qui illustre cet article, trouvée sur La Grosse Plateforme, ne rend pas compte des costumes fort bien choisis, finalement retenus pour ce spectacle.
(1) Voir notre article à paraître dans Critical Stages-Scènes Critiques, n° 30, décembre 2024.