La préface de Dana Shishmanian, co-traductrice de cet ouvrage initialement commis en roumain, nous donne certaines clés : disons donc, avec le poète, pour encourager le lecteur implicite qui cherche, peut-être sans le savoir, son propre salut à travers le poème avec lequel il lutte, comme Jacob avec l’ange : « oh ! il demande peut-être parce qu’il ne comprend rien – peut-être parce que la compréhension est sans questions »
À noter, aux pages 15 jusqu’à 22, une impressionnante bibliographie d’Ara Alexandre Shishmanian, essentiellement en roumain et en français. Avec 35 volumes, l’auteur multilingue, diplômé en littérature hindi et docte en religions anciennes, a sans doute su créer tout un monde. Au passage, son site est : http://adshishma.net/Ara-Accueil.html
En guise d’envoi :
Le poète fait sentir à l’éternité le temps, en chantant –
et au temps, fait sentir l’éternité en a-rêvant…
À travers le poète, l’éternité descend et meurt –
le temps, s’éteignant, monte…
Et voilà une étonnante prose poétique, tout à la fois puissante, originale et pour le moins foisonnante ! Vite, on est déconcerté par son rythme, sa logique propre, sa curieuse ponctuation, la rareté de ses majuscules, en phase avec une pensée rebelle empreinte de références orientales assumées, parfois mystiques.
Le fond rejoint la forme qui peut paraître décousue ou du moins onirique, mais avec sa logique interne et son intime cohérence. À la recherche permanente d’un Graal intérieur mais insaisissable, ce livre semble sur une crête transculturelle se nourrissant de mythes, de rêves, de cauchemars mais également d’étincelles et d’une inaltérable bienveillance.
Permanents affrontements entre Eros et Thanatos, de feu et d’eau, de cri primal et de silences cicatriciels. Salvador Dali et Max Ernst semblent chuchoter au coin des pages. Le ton est donné, le surréalisme a pris ses marques : voilà le lecteur averti tout au cours de transgressions multiples…
Ara Alexandre Shishmanian cherche, fouille le langage, traduit ses blessures et ses espoirs en lettres de sang, psalmodie, s’égare, déracine et construit, élague et s’émerveille. Ainsi que l’écrit Michel Bénard sur la quatrième de couverture : Le poète porte en lui tout le chaos du monde, il en subit les variations, comme une secousse dans le cœur et une déchirure dans l’âme.
L’épopée est lyrique, pour ne pas dire baroque. Les anges s’envolent, les ors coulent abondamment. Et bouillonne une potion magique dans le chaudron du magicien. La lune est à la fois astre fascinant mais également létal. Brille avec douceur la couverture de Jacques Grieu d’une étrange clarté.
Bref, en un mot comme en cent, la langue et la pensée d’Ara Alexandre Shishmanian demandent concentration et convoquent un imaginaire hors du commun, comme si l’on abordait un manuscrit issu de quelque caverne précieuse, cachée au fond d’un désert peuplé d’oracles et de patriarches. Au lecteur d’en faire sa découverte sacrée.
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La létale de la lune, épopée lyrique d’Ara Alexandre Shishmanian, couverture de Jacques Grieu, préface et traduction du roumain de Dana Shishmanian et de l’auteur, 170 pages, sept. 2024