La marche est-elle le propre de l’homme ?
Et la bipédie, un marqueur de l’humanité ?
Il est possible de se poser ces questions en lisant les deux derniers opus du paléoanthropologue Pascal Picq, « La Marche » et « Itinéraire d’un Enfant des Trente Glorieuses ».
Lors de l’émission « La Grande Librairie » du 27 mars 2024, il a longuement expliqué que la différence entre Homo Sapiens et ses concurrents s’est faite en partie sur les qualités de marcheur et la capacité d’endurance de nos ancêtres. Quant aux composantes du Propre de l’Homme, il rajoute à la bipédie (page 287 – Itinéraire…), l’outil, la culture, la chasse, la copulation face à face, la guerre, le langage et la conscience.
Enfin la bipédie n’est pas le monopole des humains, d’autres espèces l’utilisent, ou l’ont utilisée : les oiseaux, les kangourous, certains dinosaures et les suricates.
Depuis l’origine de l’espèce, les hommes se sont déplacés en marchant, chargés de tout leur impedimenta, que ce soient leurs armes, leurs bagages, leurs proies, leurs provisions, leurs bagages, etc. Leur stature physique et la station debout leur permettait de parcourir de longues distances. Parti d’Afrique, Homo Sapiens a conquis le monde entier, en marchant…
La capacité de déplacement rapide et chargé fut l’une des forces des grandes armées. Souvenons-nous des légions romaines, et de l’armée napoléonienne, capable de parcourir 40 kilomètres par jour avec 50 kg de matériel sur le dos.
Pendant la guerre de 14, le physique des soldats français, petits et trapus, solides sur leurs jambes, leur permettait les mêmes performances, dans le froid ou la chaleur.
Et ce n’est pas par hasard si le refrain de la Marseillaise est composé des paroles :
« Marchons, Marchons… »
Ce mode de déplacement a perduré jusqu’aux trente glorieuses.
Pour les enfants nés après la guerre de 40, on ne connaissait que la marche à pied pour se déplacer quotidiennement. La tradition millénaire était donc respectée, jusqu’à la propagation de moyens de déplacement mécaniques, qui se popularisant, vinrent progressivement s’y substituer.
Dans mon enfance à Jolimont, et dans celle de Pascal Picq à Gennevilliers, on se déplaçait en marchant.
Je me souviens des distances parcourues sur mes petites jambes : plus d’un kilomètre pour se rendre à l’école maternelle Bonnefoy quatre fois par jour.
Plus tard 750 mètres pour aller à l’école primaire Marengo quatre fois par jour, soit 3 kms auxquels il faut rajouter les centaines de mètres parcourus dans la cour de récréation, où l’on courrait beaucoup. Il n’y avait pas de parents pour accompagner ou venir chercher les élèves à la sortie : chacun rentrait seul et à pied chez soi. Si un parent venait malencontreusement à la sortie des classes, c’était la honte assurée pour le camarade !
Pour aller au lycée Bellevue, j’avais à parcourir 1,5 kilomètre pour descendre prendre le bus au pont Riquet, plus 500 mètres pour rejoindre les salles de classe. Et les matches de foot quotidiens avant et après le déjeuner à la cantine venaient rajouter quelques kilomètres.
1943 sur les boulevards toulousains, ma mère et mon père, juste après leur rencontre. Ils allaient à pied à leurs rendez-vous. Je naîtrai en juin 44.
Le dimanche j’accompagnais mon père assister aux matches de football du TFC au Stadium de Toulouse. Nous y allions à pied, traversant toute la ville, de Jolimont à l’île du Ramier.
Il y avait bien 4/5 kilomètres de distance, soit 9 au total allers-retours, et au Stadium, nous restions debout, au « Pesage », c’est-à-dire sur la piste cycliste entourant le terrain de foot.
De la maternelle au secondaire, on peut écrire que nous parcourions chaque jour une distance de 7 à 8 kilomètres. Et avec une alimentation simple mais saine, nous étions en bonne santé, il y avait très peu de « gros » à cette époque.
Ma mère faisait les courses à pied et « remontait » à la maison en portant des sacs chargés de victuailles. Elle devait gravir la fameuse côte très pentue de la rue dessalles jusqu’au 27 bis où nous habitions.
Je l’accompagnais parfois, jusqu’au marché sur les grands boulevards. Nous revenions par le tramway n°12, qui nous laissait devant l’école maternelle, et parfois faisions le trajet à pied, soit près de 4 kilomètres chargés de nos achats… souvent sous la chaleur car l’heure idéale pour faire le marché se situait vers midi, quand les marchands commencent à ranger et sont enclins à brader les produits invendus.
Conclusion, nous étions de grands marcheurs, n’ayant pas d’autre solution pour nous déplacer et perpétuant cette vieille tradition de l’humanité.
Il y avait bien les vélos, plus rapides, moins pratiques, mais qui nécessitaient également un certain effort physique. Bon marcheur, on avait la puissance et l’énergie pour appuyer sur les pédales. En compétition avec mes amis Bentaberry, grands sportifs, je gagnais les courses de côtes mais j’étais battu au sprint par Marc, très véloce…
A partir de la troisième, j’allais au lycée en vélo, toujours à la vitesse maximale pour traverser la ville, et j’effectuais les 8/9 kilomètres en 15/20 minutes.
Le vélo demeurait un déplacement « physique », complémentaire de la marche.
Puis les temps ont changé, l’automobile s’est démocratisée et les classes moyennes ont pu s’en procurer, pendant que les Mobylettes et autres Vélosolex venaient supplanter le vélo.
C’est un grand changement dans l’histoire de l’humanité : Sapiens va progressivement passer de la marche à d’autres formes de transport « porté ».
Pascal Picq a vécu le début de cette évolution aux USA, quand il était chercheur à l’université de Duke, à Durham en Caroline du nord. Surpris par une patrouille de police en train de marcher, il fut arrêté et s’en tira en expliquant qu’il était français et qu’en France on se déplaçait encore en marchant. Dans les années 80, dans l’Amérique profonde, il n’y avait plus que les pauvres pour se déplacer à pied, ou les sportifs pratiquant le jogging !
Et on trouve même aujourd’hui des américains qui ne se déplacent plus qu’en voiturette électrique à l’intérieur de leur maison…Pas étonnant que l’obésité soit devenue un fléau et que l’espérance de vie baisse, la malbouffe en étant la deuxième cause.
Voilà qui va venir conforter la théorie de Darwin sur l’évolution, qui contrairement à ce que pensent certains, ne va pas forcément dans le sens d’une progression vers le mieux.
Évolution ne veut pas dire amélioration, l’état de la planète aujourd’hui, vient hélas le démontrer.
Fort heureusement certains ont compris le danger, pour la terre entière en général et leur santé en particulier. Nombreux sont les marcheurs qui parcourent, seuls ou en groupe, plusieurs kilomètres par jour, sans tomber dans l’excès, et qui ont compris l’intérêt d’une alimentation saine.
Pour sauver la planète, et notre santé, un seul mot d’ordre :
« Marchons, marchons… **»
*Septembre 1955 – Les Sables d’Olonne – Marche en famille sur le remblai, de gauche à droite, ma mère Emma, mon frère Bernard, moi-même et mon père André
** et faisons du sport avec modération…