Chroniques Comptes-rendus

Le Nouveau Monde ?

 

Submergé par des impressions inconnues à son arrivée à New York, Anton Dvorak va composer la symphonie du Nouveau monde en 1893. Le contraste avec l’Ancien Monde européen est tel qu’il ressent un violent sentiment de nouveauté et de modernité.

Aujourd’hui l’ex « nouveau monde » américain a vieilli, et porte bien les stigmates de son âge. Pour comprendre les impressions de Dvorak, il faut aujourd’hui se rendre au Moyen et en Extrême Orient. C’est ce qui vient de nous arriver en découvrant de manière tout à fait occasionnelle 3 pays du moyen orient : le Qatar, Dubaï et Abu Dhabi.

Un véritable choc : c’est là, sous nos yeux, que se construit le monde de demain !

Impressions de Voyage : un choc de modernité

Quand on arrive de nuit à Dubaï, et que l’on traverse la ville par l’autoroute Sheikh Zayed, on est frappé par la dimension des gratte-ciels illuminés sur un territoire de 30 kms le long de la mer. C’est à la fois New York et Las Vegas, revus et corrigés par la taille exceptionnelle des buildings, et la modernité de l’ensemble. Même les ensembles résidentiels sont neufs et modernes.

C’est vraiment la découverte d’un nouveau monde, qui se confirmera à Doha, avec des constructions un peu moins hautes, et paradoxalement plus humaines…

Tous ces bâtiments modernes présentent des formes originales et souvent d’une beauté architecturale époustouflante : c’est ici le paradis des architectes, qui disposent de gros moyens, et ne sont pas bloqués par une profusion de normes administratives coûteuses et génératrices d’un allongement des délais.

Une rue de Doha vue du 9ème étage du Hilton

Les plus grands architectes du monde se sont exprimés sur ces nouvelles terres, comme Jean Nouvel pour le Louvre à Abu Dhabi et le Musée National du Qatar à Doha.

Dubaï est fier de montrer le bâtiment le plus haut du monde, Burj Khalifa, qui culmine à 828 m, construit par Adrian Smith.

Et même le style original est intégré dans cette nouveauté : tout est neuf, où l’ancien, le quartier des souks de Doha, en est l’illustration, mis en valeur dans un écrin environnemental moderne.

Les Centres Commerciaux

Leur nombre et leur originalité architecturale s’ajoutent à la surprise du voyageur occidental. Chacun d’eux est conçu d’une manière originale, avec des dimensions inconnues dans nos centres commerciaux. Les allées sont très larges, les boutiques immenses, on voit bien qu’il n’y a pas ici le souci du coût du m2.

Pas de dépaysement au niveau des enseignes, on retrouve toutes celles que nous sommes habitués à trouver en Europe. Pas de difficultés pour acheter un roman français à la FNAC de Doha au centre commercial Vendôme.

Ce dernier centre commercial dans le quartier de Lusail, contient plus de 600 magasins sur 4 niveaux. Une place centrale en plein air est traversée par un canal et des fontaines projettent des jets (jeux) d’eau colorés. C’est Versailles dans le golfe persique !

Un Super Monoprix bien achalandé offre pratiquement les mêmes produits qu’à Paris, notamment les produits frais (superbes rayons boulangerie et fromages). Manquent bien sûr les alcools et la charcuterie.

Les boutiques de mode s’étendent sur 2 ou 3 fois plus de surface. Il y a beaucoup d’espace libre dans ces vastes magasins, où les prix sont les mêmes qu’à Paris.

On retrouve les Galeries Lafayette dans le quartier culturel de Katara, avec une immense verrière en façade qui rappelle le Grand Palais (photo ci-dessous).

Une Urbanisation intelligente

L’urbanisation est réalisée de manière intelligente, en ayant pris en compte toutes nos erreurs, notamment pour faciliter la vie des handicapés. Pratiquement jamais d’escaliers à gravir, mais des escalators de toutes tailles. La vie est ainsi facilitée pour les Personnes à Mobilité Réduite (PMR).

Une circulation aisée, grandes avenues à 3 voies, vue dégagée. Un trafic bien régulé, pas de folie au volant : grand respect des règles de conduite.

On se déplace facilement en utilisant les taxis où mieux les « Uber », disponibles et bon marché

Un parc automobile flambant neuf avec des véhicules de moyenne et haut de gamme. Pas de vieilles voitures. Pas de petites cylindrées, type Clio ou FIAT 500. Pas de femmes au volant.

Peu de vélos, mais des trottinettes et des vélos électriques en location.

Bizarrement, tout fonctionne (sauf déluge).

Comme il n’y a pas d’assainissement urbain, et que le terrain est plat, la pluie tombée en abondance le 16 avril s’est vite accumulée dans les rues, provoquant des inondations et bloquant la circulation pendant 2 jours, le temps de pomper avec des citernes toutes les mares sur les routes et les autoroutes. Peu habitués à ce type d’intempérie « cévenole », les conducteurs émiriens ont vite noyé leurs moteurs, ajoutant encore au chaos.

Deux points forts : hygiène et sécurité

Propreté, Hygiène, Sanitaires. Partout des agents municipaux, munis d’un seau/poubelle et d’un balai, arpentent les rues et les allées. Nombreux sanitaires publics dotés d’employés dédiés.

Une sécurité exceptionnelle (rapporté par les impatriés, notamment Sarra, réceptionniste tunisienne au Hilton Doha).

Une main d’œuvre abondante : indiens (27,5%), pakistanais (12,7%), philippins (5,6%) etc. Le smig est à 170 € à Dubaï. Il y a 9 millions d’impatriés aux Émirats, heureusement, ils ne sont pas tous au smig. Les 3000 français qui travaillent chez Total ou Thalès à Doha par exemple, touchent des salaires très intéressants : le prix de l’expatriation.

Un melting-pot exceptionnel

Comme dans les BD’s de Mézières et Christin, « Valerian et Laureline », on retrouve à l’aéroport de Dubaï toutes les ethnies du monde. Un séjour à l’aéroport permet de rencontrer tous les morphotypes de la planète.

On peut ainsi constater visuellement l’évolution physique d’homo sapiens selon pays et continents…

On trouve par exemple ces quelques destinations dans le même terminal : Bakou, Addis Adeba, Muscat (Moscate à Oman), Doha, etc.

On y rencontre la belle éthiopienne mince et élégante, et l’ouzbèque porteur d’un drôle de chapeau bleu marine avec le devant relevé vers le haut et l’arrière rabaissé vers le bas. Il y a aussi le petit bureaucrate égyptien, qui change de place toutes les 10 minutes en regardant autour de lui, serrant sa sacoche contre son cœur, et l’imposant cheik émirien, vêtu de la tunique blanche et de la coiffe saoudienne caractéristique, précédant sa femme voilée et ses enfants…Plus près de nous, un groupe d’indiens sikhs, reconnaissables à leur turban, et un solide rouquin vêtu d’un maillot vert. Dans l’avion où nous le retrouvons, je l’interroge : « Irish ? – Yès – And You, French or Italian ? »

Aéroport de Dubaï, notre petit-fils Charles au Travail (free-lance en cryptomonnaies) à droite notre ami irlandais, de dos de solides pakistanais…

Il n’y a plus, pour occuper le temps d’attente du prochain vol, qu’à étudier chacune des personnes présentes et d’essayer d’imaginer son métier, sa vie, son destin…

C’est une occupation passionnante !

Dans les hôtels de standing séjournent aussi toutes les nationalités, avec une forte proportion de russes en exil, qui ont les moyens de financer leur séjour : les prix dans les émirats sont comparables aux prix européens. Un plat moyen dans un restaurant correct varie entre 15 et 30 €.

La restauration est mondiale, avec une forte proportion d’italiens, suivis par les syriens/libanais, et les français. Les fast food tiennent le haut du pavé. Bizarrement, peu de restaurants chinois.

On ne parle le français nulle part, l’anglais est dominant, même s’il est difficile à comprendre, chaque ethnie l’accommodant à sa manière. A la réception du Hilton Doha, une jeune tunisienne parle français.

Tous les panneaux indicateurs ont le double alphabet. Il est donc facile de se repérer.

L’emprise religieuse semble plus forte au Qatar qu’à Dubaï. A Doha, on vit en noir (les femmes) et blanc (les hommes). Dubaï semble s’être plus mondialisée, plus libérée.

A condition de respecter les lieux sacrés, comme les mosquées, il n’y a aucun problème de tenue à respecter, contrairement à ce que d’anciens voyageurs nous avaient déclaré.

Un peu d’histoire

Les Émirats Arabes Unis regroupent 7 émirats, dont les plus connus sont Dubaï et Abu Dhabi. Ils sont séparés du Qatar par l’Arabie Saoudite et le golfe persique. Une heure d’avion entre Doha et Dubaï, et aussi une heure de décalage horaire. On quitte Dubaï à 13 h pour arriver à Doha à la même heure.

Ces zones étaient encore désertes il y a 50 ans. La découverte du pétrole et du gaz a provoqué cette génération spontanée, d’un monde Nouveau et Moderne.

Il y a 60 ans, ces 3 pays (Qatar, Dubaï et Abu Dhabi), ne présentaient que quelques bourgades, peuplées surtout de pêcheurs (notamment de perles), entre désert et Golfe Persique. La soudaine découverte du pétrole à Abu Dhabi en 1962, puis à Dubaï, et du gaz au Qatar, va bouleverser la donne et apporter à ces états une richesse inattendue.

Dubaï en 1960 l’embouchure de la Creek river

Soucieuses de conserver leurs richesses nouvelles, les quelque familles dominantes von s’organiser pour les maîtriser et éviter toute concupiscence extérieure. Deux familles dominent Dubaï et Abu Dhabi. Elles se partagent le pouvoir sur les Émirats : la famille Zayed à Abu Dhabi (Présidence), et la famille Al Maktoum à Dubaï (Premier Ministre).

Le fait que les émiratis reçoivent une dotation annuelle substantielle (l’inverse de l’impôt), les dispense de tout travail, ce qui pose un grave problème : 99% des postes du privé sont occupés par des étrangers, et même 91% dans le secteur public. L’émiratisation des emplois fait l’objet d’un vaste projet gouvernemental, mais il reste très difficile de trouver des nationaux capables d’exercer des emplois qualifiés. Se pose aussi un problème d’envie : difficile d’aller travailler quand on s’est habitué à ne rien faire en attendant son allocation mensuelle de l’état !

Un Gros Effort Culturel

Quand on dispose de gros moyens financiers, il faut savoir les utiliser intelligemment, et dans ce domaine, c’est la culture qui fait la différence. Le passé de ces jeunes États est pratiquement vierge sur un plan culturel. Et si l’on veut se donner une belle image et attirer les touristes du monde entier, on peut certes organiser toutes les compétitions sportives possibles et imaginables, ce qui est le cas aujourd’hui, et nous citerons pour mémoire la Coupe du Monde de Football, en 2022, à Doha, mais il faut aussi travailler la touche culturelle. Et c’est ce volet qui mériterait une seconde chronique consacrée au « Nouveau Monde », avec les visites du Louvre et de la mosquée Sheikh Zayed d’Abu Dhabi, au musée Islamique de Doha, tout en évoquant le musée du futur de Dubaï, et tous les projets en cours, comme le Guggenheim d’Abu Dhabi.

Moravia a écrit : « Pour gagner de l’argent, il faut un don, mais pour le dépenser, il faut une culture », cité par Marc Lambron, dans son dernier opus : « De vive voix » chez Grasset.

C’est cette culture que ces nouveaux et riches états veulent acquérir.

Un Monde Nouveau mais pas un Monde Modèle

Ce récit factuel d’un voyage dans les émirats est construit à partir des impressions ressenties. Quelques éléments complémentaires décrivent la vie des habitants, avec en creux tous les problèmes que nous posent ces états théocratiques.

Si l’image d’un Nouveau Monde s’impose, on est cependant aux antipodes d’un Monde Modèle. Des questions diverses se posent, notamment celle de l’avenir de ces états quand les réserves d’énergie fossile seront épuisées ? En effet, tout le système économique repose sur du sable. On peut s’inquiéter aussi de voir que toute cette richesse a été acquise sans travail. On sait ce qu’il est advenu des civilisations construites sur une richesse naturelle, qui ont connu l’oisiveté et se sont retrouvées fort dépourvues, lorsque la bise fut venue (cas de l’Espagne avec l’or des Amériques, voire du Portugal).

Par ailleurs, on peut affirmer que Anton Dvorak n’aurait pas trouvé l’environnement culturel, humaniste et démocratique qui l’a tant séduit lors de son arrivée en Amérique.

Posé tel une soucoupe volante, le Louvre de Jean Nouvel

Annexes

Les architectes de renommée mondiale

Le Musée du Futur à Dubaï a été conçu par Shain Kinna

Paul Andreu a réalisé l’aéroport d’Abu Dhabi.

Frank Gehry construit actuellement le Guggenheim d’Abu Dhabi.

Norman Foster a conçu le futur musée historique Sheikh Zayed d’Abu Dhabi.

C’est le français Jean-François Bodin qui a imaginé le Mathaf, musée arabe d’art moderne de Doha.

Peï a imaginé le musée d’Art Islamique de Doha.

 

Note de l’Auteur : Cette chronique, diffusée initialement dans un premier cercle, a suscité d’intéressantes réactions. Je reprendrai ci-après in extenso celle de mon ami Jerry.

Ro’ger,

Grand récit de tes pérégrinations au Moyen Orient… Mais nouveau monde ?

A voir. J’y vois plutôt comme une sorte de réserve « indienne », quelque chose entre Miami, Las Vegas et Disneyland, aux mains de quelques tribus oisives, théocratiques, et gavées du Revenu Maximum Universel (Piketty n’a rien compris avec son R Minimum U) leur permettant de satisfaire tous leurs caprices, les tâches ordinaires étant dévolues à un peuple d’esclaves, les nécessités supérieures confiées à des escouades de mercenaires surpayés. Le tout sous perfusion de la rente pétrolière et gazière.

Il y pousse des gratte-ciels, délires d’architectes, des autoroutes, des marinas, des centres commerciaux clinquants, un ou deux musées alibis par-ci par-là, mais il n’y pousse ni une carotte, pas même une salade ; rien ne s’y fabrique pas même un cachet d’aspirine, rien ne s’y invente. On y sert des œufs au bacon sans bacon.

Arrête le pont aérien, détourne les porte-conteneurs et demain plus de caviar de chez Pétrossian, plus de sacs Vuitton, plus de pièces détachées pour les Ferrari et les McLaren, l’herbe repousse, le sable recouvre…

J’exagère…

Pas de restaurant chinois : normal, le porc est un élément de base de la nourriture chinoise. Bon, je n’ose imaginer le Gers sous contrôle d’une quelconque religion bannissant le canard.

Jerry