RIEN N’EST VRAI. TOUT EST POSSIBLE
1. RUSSIE NOUVELLE
Peter Pomerantsev connaît bien la Russie d’aujourd’hui. Il a longtemps oeuvré dans ses rouages médiatiques. Il a lui-même contribué à la construction de la Russie poutinienne, pays qu’il qualifie d’imaginaire, n’existant qu’en mots, en images et en représentations mentales.
<< Peu importe la vérité.
Ce qu’on ne montre pas aux gens n’existe pas. >>
1.1. LA CONCEPTION Dès son arrivée au Kremlin, le premier acte de VIadimir Poutine est de mettre sous tutelle les principales chaînes de TV, acte fondateur dans ce pays multi-ethnique, qui s’étend sur 11 fuseaux horaires, et où la télévision constitue le seul véritable ciment d’union nationale.
1.3. LES AMIS DE L’ETRANGER
Pour l’aider à embellir le décor, les mercenaires, dont l’auteur lui-même, affluent de partout en Russie et dans les succursales occidentales.
Dans la foule des sollicités, demandeurs d’emploi et invités, on trouve de tout, Julian Assange bien sûr, l’extrême gauchiste Georges Galloway, l’extrême droitiste Nigel Farage et même … Larry King, à l’occasion, quand cela sert l’intérêt du Kremlin.
Les « anti/alter » sont particulièrement bienvenus: les anti-globalisation, anti-hégémonistes, anti et altermondialistes, anticapitalistes, avec une petite préférence pour les Américains anti-américains, si possible universitaires ou people, conspirationnistes ou intellectuels anti-pax Americana.
Selon Piiiter, certains sont tellement aveuglés par la haine de l’Amérique et de l’Occident, qu’ils ne veulent pas se savoir instrumentés, ou, s’ils s’en rendent compte, ils considèrent que ce n’est qu’un mal bien innocent pour servir une cause juste où se joue l’avenir de la planète.
D’autres sont lucides et finissent par quitter le yacht où la croisière s’amuse mais une partie reste quand même: les uns, carriéristes et fascinés par la TV, travailleraient pour n’importe qui, les autres, désabusés, se disent « Bof, de toute façon, tout le monde manipule tout le monde, aucune info n’est vraie ni fausse, on ne peut rien savoir de vraiment vrai ».
Quoi qu’il en soit, nulle inquiétude pour la machine à mensonges, car les postulants et les nouvelles recrues ne manquent pas, à l’instar du chef du bureau de la BBC à Moscou; parfois ils se justifient: « Ça doit être un job passionnant ! » « C’est un défi à relever ! » « ça change,de travailler pour l’adversaire d’hier » « un peu exciting, n’est-il pas ? »
Nous sommes loin de l’hermétisme et de la censure bornée de l’URSS.
Poutine achète aussi, sans compter, ses amis de l’étranger, il achète tout, des encarts dans les journaux, des politiciens, des artistes, des écrivains, des lobbyistes.
1.4 DEUX EVENEMENTS-CLEFS
1) On sait que des attentats attribués à des Tchétchènes ont servi de prétexte au martyre de la Tchétchénie : Poutine, après une guerre sans image et sans mémoire, a imposé Ramzan Kadyrov dont le régime, d’une cruauté inouie, fait l’objet d’une mise en scène digne d’un communisme à la sauce hollywoodienne.
Malheureusement pour les réalisateurs de la comédie-dramatique, dès le prologue, la TV russe a malencontreusement rendu public le fait que des membres du FSB ont été découverts blessés alors qu’ils posaient une bombe dans un immeuble d’habitation, et le président de la Douma a annoncé un attentat qui n’a pas eu lieu !
Impardonnables erreurs qui ne devraient plus se reproduire.
On se souvient de la prise d’otage du théâtre de la Doubrovka à Moscou :
Devant les caméras, les spectateurs, gazés par les forces de l’ordre, à demi inconscients, baignant dans leur vomi, sont entassés les uns sur les autres dans les bus garés à proximité et plus d’une centaine mourront.
– Plus jamais ça !
– Plus jamais de telles horreurs ?
– Mais non ! Plus jamais de telles images !
Parole tenue: depuis lors, aucune image sensible n’est diffusée par la TV russe sans avoir été dûment contrôlée et autorisée. Piiiter se rendait en métro à son travail à la chaîne TNT tous les matins. Le 29 mars 2010 à 9h du matin, deux veuves tchétchènes s’y font exploser: une quarantaine morts et une centaine de blessés. « A mon passage, quelques heures plus tard, toute trace avait disparu. Le temps d’arriver à TNT, c’est comme s’il ne s’était rien passé » Avec quelle nouvelle faire la une ? Pas de policier blanc qui aurait tiré sur un noir à Milwaukee ? Non, alors va pour une exhibition culturiste du Président !
Tout baigne au pays de la vodka. L’Amérique est pourrie.
1.5 LA RECOLTE DES FRUITS
Elle fut même nominée aux Emmy Awards pour sa couverture du mouvement Occupy aux USA.
L’éternel anti-américanisme et le néo-ancien-antigermanisme-hist
Pendant que la situation bassement terre-à-terre des masses populaires russes dans les régions situées en-dehors des projecteurs se détériore encore, à un point inimaginable chez nous, dans le monde des images rayonne une Russie dynamique, prospère, novatrice, heureuse, glamour, youp là boum.
1.5.3. A l’étranger on s’en f….
Les anciens relais marxisants et sympathisants de la Russie sont réanimés et réactivés.
L’antiaméricanisme reste bien sûr un support de choix pour Poutine, au même titre qu’il reste l’indéfectible trait d’union entre les idéologies et les tendances politiques les plus ignobles.
2. L’INVERSION DU RAPPORT MEDIAS/REEL
Peter Pomerantsev souligne que le rapport Médias/Réel est, en Russie, inversé par rapport à ce que nous pouvons observer en Occident.
2.1 En Russie
Mais dans les médias et dans la plupart des productions culturelles, la vie est peinte en rose et les dirigeants en blanc.
Les mots-clefs, synonymes de bon et de bien sont « Stabilité » et « Efficacité
2.2 En Occident
Aux USA, la machine judiciaire, les terribles commissions parlementaires, et le quatrième pouvoir, plus concrètement indépendants que n’importe où ailleurs, et dotés de moyens ad hoc, peuvent se montrer d’un irrespect dégradant pour les dirigeants du plus haut niveau et les instances qu’a priori on croirait à l’abri.
Même le président américain, censé être l’homme le plus puissant de la planète, peut être contraint, par un obscur petit juge ou un journaleux de base, d’exposer au grand public le fond de son caleçon ou de ses poubelles et court constamment le risque de voir son intimité la moins honorable dévoilée et scrutée. Les services secrets eux-mêmes ont bien du mal à rester secrets et à échapper au démasquage, déshabillage et démaquillage.
La culture, en dehors de celle de divertissement pur, repeint la vie de couleurs sombres. Les injustices de la société et les inégalités sont constamment mises en exergue. Le contraste entre les défavorisés et les nantis bourre les crânes.
Le cadrage est systématiquement à connotation négative… beh oui, ce serait-y pas meilleur pour le moral de pointer, au lieu de p.ex. 20% de malheureux chômeurs, 80 % d’heureux détenteurs d’un emploi !?
Tout à l’inverse de la Russie, l’information « lave plus sale », va jusqu’à distiller de la désespérance, à offrir à tous les dépressifs de quoi rationaliser leur état et à ouvrir une inépuisable corne d’abondance à tous ceux qui haïssent le bonheur d’autrui et se plaisent à nourrir la sinistrose et le catastrophisme.
C’est le revers, sans doute inévitable, de la liberté d’expression dont l’effectivité est d’ailleurs souvent contestée par ceux qui en usent, en abusent et en mésusent le plus.
Tout ceci bénéficie bien évidemment grandement à l’entreprise poutinienne de fabrication d’un monde d’images et de mirages qui favorise ses ambitions.
Il est vraisemblable que nous tous, plus ou moins consciemment, rêvions du pouvoir de modifier la pensée d’autrui.
Tendance sans doute en moyenne plus puissante chez les politiques, quel que soit le système culturel où ils ont grandi, où ils furent formés et où ils jettent le dévolu de leurs ambitions.
Sur ce plan, Poutine devrait faire des envieux parmi les politiques occidentaux !
On peut imaginer ses fous-rires, loin des photographes et des micros, avec ses potes, quand ils évoquent les « affaires » auxquelles sont confrontés nos dirigeants.
Imaginons aussi sa profonde jouissance quand, après avoir fait assassiner un ennemi de manière volontairement telle qu’il n’y ait aucun doute sur son implication, il constate qu’aucune chancellerie occidentale n’ose dire ce qu’elle sait pendant que l’opposition interne se tasse !
Ivresse de la puissance et de l’impunité même si elle n’atteint pas les sommets de la perversité stalinienne !
4. QUESTIONS
. Les références à la Grande Russie – historiquement attaquée, meurtrie, envahie, violée, déchirée, martyrisée, non par les auto-dévastations communistes bien sûr, mais par les invasions polonaises et germaniques, et maintenant menacée par l’OTAN – sont-elles porteuses d’une ambition mondiale du même ordre que celle de l’URSS ?
Vraisemblablement non.. Ouf, on peut respirer, cool !
. Poutine croit-il vraiment à l’hostilité viscérale de l’Occident à l’égard de la Russie et à l’impérialisme américain à l’encontre de la Russie ? Il semble bien que oui.
Rappelons d’abord que cette référence à l’idéologie fut centrale durant septante ans, que son interprétation fluctuait au gré des changements à, et dans, la tête de l’Etat-Parti, et que ladite interprétation était décisive, à chaque instant de chaque jour de chaque année, quant au sort de chaque citoyen-camarade.
Avec Poutine, tout au contraire, on est dans le flou spirituel, il ne s’agit plus du tout de se soumettre à une idéologie sans transcendance (le marxisme), fondée sur une vision délirante de la nature humaine, des rapports sociaux et de l’Histoire et visant à créer un homme nouveau et une société nouvelle, anti-nature et sur-réalistes.
Non, sauf pour ceux qui risquent de mettre en péril le Pouvoir du Président Poutine, son système de prédation, et son assise indispensable: l’ignorance historique généralisée.
. L’Etat russe a-t-il de nouveau le monopole de l’éducation, de l’enseignement et de la médiatisation ? Non, sauf en ce qui concerne l’enseignement de l’Histoire et la production d’images susceptibles de nuire au Kremlin. Contrairement à la RPC, l’accès a internet est libre malgré l’enrôlement de milliers de blogueurs et forumeurs, l’accès aux médias étrangers, à la production intellectuelle, littéraire et culturelle occidentale, est aussi possible, les restrictions sont surtout d’ordre pratique. La vis se resserre quand même, lentement mais implacablement, autour des quelques médias d’information russes encore vraiment autonomes.
. Les provocations à l’égard de l’OTAN, les visées vers les pays Baltes et la Pologne, l’accroissement du budget militaire sont-ils inquiétants pour l’UE ? A ce stade, pas vraiment.
Les provocations sont surtout matamoresques et servent d’abord à impressionner favorablement la population russe. Les 40 nouveaux engins balistiques « capables de transpercer n’importe quelle défense antimissile » ne sont, de facto, pas plus dangereux que des pétards mouillés.
. Les sanctions occidentales consécutives à l’agression contre l’Ukraine sont-elles efficaces? Oui.
Ces dirigeants post nomenklaturistes sont avant tout motivés par leur intérêt personnel, familial et clanique, par le maintien et l’extension de leurs privilèges matériels, de prestige et de pouvoir. En témoignent les lamentables représailles de Poutine à l’encontre de personnalités occidentales. Le seul véritable retour de flamme des sanctions est de donner un atout supplémentaire au Kremlin pour:
– nourrir l’esprit de paranoïa d’une grande part de la population russe.
– imputer à l’action de l’étranger au moins une part de responsabilité dans la baisse de qualité de vie, la déglingue, les pénuries, la corruption et la criminalité, en croissance exponentielle selon Pomerantsev.
5. POUR CONCLURE SUR LES RUINES DE L’URSS
Une Russie en kit préfabriqué tient lieu de Russie réelle dans le monde des représentations pendant qu’une majorité croissante de Russes se croit menacée par le Vilain Américain et ses valets.
L’Histoire de l’URSS, malgré l’ouverture et le décryptage, toujours très partiels, des archives, les recoupements de témoignages de survivants, et les efforts de Memorial, cauchemar de Poutine, reste occultée dans sa majeure partie.

Je plussoie.
Une partie de ma famille vit toujours en Russie.
Et la plupart de ses membres sont imperméables à tout éclaircissement qui remettrait en question ce que la TV et les médias russes, et aussi, pour les jeunes, l’enseignement, leur inculquent quotidiennement.
Je suis convaincue qu’il n’y a pas plus de 10 % de la population russe qui a conscience de la manipulation dont elle est l’objet, manipulation effectivement beaucoup plus efficace que du temps de l’URSS.
Pour le reste je trouve l’approche de Druez innovante surtout en ce qui concerne les effets de l’information dans les sociétés occidentales.
http://www.écho.msk.ru/programs/year2015/1500184-echo/
Traduction de ces derniers mots de la dernière interview de Nemtsov 5 heures avant sa mort:
“Non, non. Poutine est absolument cynique et rationnel. Il a transformé Ostankino [les principales chaînes de la tv nationale] en centre de recrutement [pour les Russes combattant volontairement en Ukraine]. Si vous demandez aux familles de ces morts, mais pourquoi votre frère, votre mari, votre ami est-il allé combattre?Il a vu à la télévision sue l’Ukraine à été envahie par les fascistes. Il a vu comment un enfant a été crucifié à Slaviansk, il a vu comment les supporters de Bandera.. vendent les organes des prisonniers.. Il a vu ça, il n’a pu le supporter et il est parti combattre. Le gouvernement est cynique: en alimentant la haine, il envoie ces gens naïfs se faire abattre comme de la chair à canon. Et ça va continuer exactement comme ça pour que ces naïfs continuent à aller se faire tuer dans le Donbass.
Vladimir Polonium :
http://www.dailymail.co.uk/news/article-3181431/Putin-personally-ordered-Litvinenko-s-murder-QC-inquest-Russian-spy-s-death-says-direct-solid-evidence-ties-morally-deranged-President-killing.html
PRAVDA, merci pour cette leçon de savoir-vivre. Extrait du Canard enchaîné de ce jour: “Le sénateur Pozzo di Borgo (UDI), en Crimée avec 9 autres élus français, a posé pour une chaîne d’information russe, tenant un tee-shirt à l’effigie d’Obama avec une inscription en cyrillique. Les traductions varient, mais Obama y est, en gros, traité de “merde” ou de “connard”. Diplomate, c’est un talent… ”
Oui, gentlemen.
Je passe sur votre vulgarité à l’égard du président Poutine et je relève que, sans oser le citer, vous faites allusion, je suppose, à l’assassinat de Boris Nemtsov quand vous écrivez “Imaginons aussi sa profonde jouissance quand, après avoir fait assassiner un ennemi de manière volontairement telle qu’il n’y ait aucun doute sur son implication, il constate qu’aucune chancellerie occidentale n’ose dire ce qu’elle sait pendant que l’opposition interne se tasse !”
D’une part rien ne permet d’affirmer que le président Poutine ait quoi que ce soit à voir avec cet assassinat. D’autre part, on ne voit pas pourquoi il aurait eu le moindre intérêt à susciter ou couvrir un tel acte puisque la popularité de Boris Nemtsov était ridiculement basse, cet homme n’était même pas un opposant digne d’intérêt.
A voir ce que vous sous-entendez de façon usante derrière vos multiples allégations invérifiables, je crois que c’est vous qui, comme bien d’autres occidentaux, êtes intoxiqué par la déferlante de la propagande américaine et européenne hostile à la Russie et à son président !
Ce sont des gens comme Pomerantsev et vous qui inventez une Russie imaginaire et qui détruisez la vraie Russie en mots à défaut de pouvoir le faire en actes.
Je suppose que vous renvoyez à l’assassinat de Boris Nemtsov quand vous écrivez “Imaginons aussi sa profonde jouissance quand, après avoir fait assassiner un ennemi de manière volontairement telle qu’il n’y ait aucun doute sur son implication, il constate qu’aucune chancellerie occidentale n’ose dire ce qu’elle sait pendant que l’opposition interne se tasse !”
Rien ne permet d’affirmer que le président Poutine soit impliqué dans cet assassinat. Et on se demande bien pourquoi il risquerait de commanditer un tel acte alors que la popularité de Nemtsov était ridiculement basse.
Je crois que c’est vous qui êtes intoxiqué par la déferlante de la propagande hostile à Poutine et à la Russie. Cela me paraît beaucoup plus vraisemblable que ce que sous-entendent vos assertions et allégations invérifiables.
Vos sources dépassent largement l’ouvrage de Peter Pomerantsev et ses autres écrits. Je pense spontanément à Michel Etchaninoff (“Dans la tête de Vladimir Poutine”), aux diatribes de Garry Kasparov et même à Dominique Noguez (“Lénine Dada”).
Quelques pistes peut-être ?