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Mangeurs d’anémones : Un texte pour mastiquer

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Auteur: Károly Sándor Pallai

Pays d’origine: Hongrie

Éditeur: Éditions Arthée (Victoria, Seychelles)

Année: 2013

 

 Note de lecture par Paul Balagué

 

Lorsque j’ai rencontré Károly c’était à Budapest. Il était en costume trois pièces, bien droit debout derrière une table présentant les textes de Magie Faure à une assemblée attentive. Je n’imaginais pas en commençant à lire sa pièce, trouver cette écriture en soubresauts, en saccades qui traverse ce texte.

Mangeurs d’anémones est une pièce courte. Courte au sens fulgurant. Elle est faite de traversées de corps et de phrases brûlantes. Le décor où elle se déploie est fait de flashs de nos lieux modernes, une chambre, une station de métro, un aéroport; des lieux de passages, des lieux instables. Ce sont les lieux du monde d’aujourd’hui, pleins de « smartphones », de « produits de beautés », de « chaises roulantes ».  Et dans ces lieux, dans ces espaces jonchés de détritus, il y a les corps de ces personnages. Personnages, person-anges peut-être, qui fusent, qui expulsent. Qui ont besoin de jeter, de se déshabiller, d’exulter. Leur charge contre notre modernité se fait dans le rouge à lèvre qui coule, les corps qui tremblent et la sensualité à fleur de peau.

La pièce est découpée en Psaumes, une parole musicale, chantée, entrecoupée de musiques qui se déploie, qui circule entre les personnages. L’un reprend les phrases de l’autre et chacun se répond. « J’étais » dit Usoa, « perdue » lui répond Lénaik. Et dans cette danse à deux chacun pousse sa phrase jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement total, dans un souffle : « sans énergie, sans secours, sans couleurs dominantes, sans vêtements, sans masques. sans. ».  Dans cette alternance de paroles et de poussées du corps, le lecteur voit se déployer des personnages qui prennent d’assaut une tribune improvisée pour clamer en tremblant.

Dans ces lieux, à la fois là et jamais complètement, il y a le chœur, figures alternatives, qui vont et reviennent, hantent les personnages et ponctuent les psaumes. Ce choeur qui peut ressembler à un groupe de baigneurs, est associé à un personnage de voix off décalé. Ironique et commentateur, les personnages-figures travaillent en contrepoint, participent à la chorégraphie scénique de la pièce. Car si pièce il y a, c’est aussi une partition corporelle que nous livre l’auteur. Son écriture en alternance de paroles et de didascalies nous révèle une scène tendue de forces, une écriture toujours soulignée par le geste, un mouvement qui prolonge les mots. Une abondance de gestes d’amour, de gestes de caresses, une frénésie de corps et de mouvements sur les ruines des lieux.

Il y a une fragilité, des fantômes et la volonté de prendre une douche, de laver la saleté qui colle à la peau. Une distorsion des choses et de l’espace, des bottes énormes, des objets géants, dans lesquels le corps est en équilibre.

Ce texte est pour mastiquer, un texte qui ronge et qui grince, un texte qui laisse une trace.

 

Paul Balagué

Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Metteur en scène de la Compagnie en Eaux Troubles