À la croisée des mondes Chroniques

Sylvestre II – Le Pape qui aimait Allah – Un Livre de Ahmed Youssef

 

C’est en parcourant les allées du Festival de la Biographie de Nîmes, fin janvier 2025, que je tombais en arrêt devant ce titre insolite.
En toute honnêteté, je n’avais aucun souvenir de ce Pape.
Saisi d’une brusque curiosité, je pris le livre en main, et pus lire cette accroche intrigante : « Gerbert d’Aurillac, premier pape français de 999 à 1003, fut un apporteur de Lumière Nouvelle, que ce soit en astronomie ou en mathématiques, au fond des ténèbres du Moyen Âge. Ce concentré de Léonard de Vinci, et de Jules Verne, fut également un fin politique, faiseur d’empereurs germaniques et de dynasties françaises ».
Il fut aussi le Pape de l’An Mil.
Ce fut suffisant pour revenir interroger l’auteur, l’historien égyptien Ahmed Youssef, qui m’éclaira sur l’histoire de ce personnage extraordinaire.
Silvestre II eut l’occasion au cours d’une vie très riche, d’entrer en contact avec les savants arabes andalous. Au cours de séjours à Séville, il put étudier les sciences plus avancées dans le monde de l’Islam que dans le monde Chrétien. Il introduisit les chiffres arabes en Occident. Trop admiratif, aux yeux de l’Église, des sciences arabes, il fut accusé d’avoir pactisé avec le diable, et sa mémoire fut progressivement effacé, comme cela se pratique dans les pays totalitaires…
Il n’en fallait pas plus pour acquérir ce livre et aller à la découverte de ce premier pape français coupable aux yeux de l’église catholique d’objectivité scientifique…

Une Vie consacrée aux Sciences : la Soif d’Apprendre
On ne sait rien de ses origines, il serait né entre 945 et 950 à proximité d’Aurillac, dans le hameau cantalou de Belliac, dans une famille ni noble, ni riche, comme il l’a écrit.
Il apparaît dans l’histoire comme oblat à l’abbaye St Géraud d’Aurillac.
Brillant élève, il a la chance d’être remarqué par Borell II, comte de Barcelone, de passage à l’abbaye, sur le chemin de Rodez, où il va épouser Ermengarde de Barcelone, fille du comte Raymond II de Rouergue.
Le comte Borell l’amène à Barcelone, pour parfaire sa formation.
Il va travailler, d’abord au monastère de Ripoll, sous la direction d’Arnulf. Il y apprend astronomie, arithmétique et géométrie, à partir de livres arabes, puis à celui de Vic (ou Vich), en 967 sous la direction de Aton de Vic, où il approfondit ses connaissances scientifiques.
Il découvre la numération arabe, le calcul matriciel, et s’initie même à la musique.
Utilisant les chiffres arabes, sans le zéro, il invente l’abaque de Gerbert.

Modèle de l’addition 908+95 sur une partie de l’abaque de Gerbert (avec les chiffres modernes, non ceux de Gerbert).
Et il lit les nombreux ouvrages scientifiques en cours de traduction de l’arabe en latin.
En 970, il accompagne le comte Borell et Aton de Vic à Rome.
Il est remarqué par le pape Jean XIII et rencontre l’Empereur, Otton 1er, qui l’engage en tant que précepteur de son fils Otton II.
En 972, lors du mariage de Otton II, il fait la connaissance de Garamnus, envoyé de l’archevêque de Reims, Adalbéron, et du Roi des Francs, Lothaire premier.
Reims est alors le plus puissant archevêché de France, où les rois sont baptisés, et Gerbert se voit confier la direction de l’école cathédrale de Reims, sous le titre d’écolâtre. C’est l’une des écoles les plus réputées de l’Occident Chrétien.
D’une érudition exceptionnelle, il réintroduit la dialectique et imagine et construit un certain nombre d’objets à vocation culturelle : abaques, globe terrestre, orgue et horloges…

Il sera plus tard placé par Otton II à la tête de l’abbaye de Gobbio, près de Gênes, qui dispose de la plus riche bibliothèque de l’Occident. On remarquera que Gerbert a la chance, ou le mérite, de se retrouver à la tête des lieux les plus savants du siècle.
A Gobbio, il découvre de nouveaux ouvrages scientifiques latins qu’il fait traduire et envoyer à Reims.

Un Rôle Politique et Diplomatique
Proche des puissants de l’époque, Gerbert va jouer un rôle politique et diplomatique dans le jeu qui oppose les Ottoniens, les Francs, les Bourguignons et le Pape.
D’abord en lutte contre Hugues Capet, il finira par l’aider dans sa prise de pouvoir et sera ainsi à l’origine de la dynastie Capétienne
Il est nommé Archevêque de Reims, après avoir été excommunié par le pape Jean XV.
En 997, le jeune empereur Otton III, âgé de 14 ans, demande à Gerbert de devenir son précepteur.
A ce poste il va œuvrer pour l’instauration d’un empire universel, théorisé dans un traité : » Sur le Raisonnable et l’usage de la Raison », qui développe un programme de rénovation de l’Empire Romain.
Sur demande de Otton III, le pape Grégoire V nomme Gerbert Archevêque de Ravenne en avril 998.
Ce pape étant décédé le 18 février 999, Gerbert est élu pape le 2 avril sous la pression de l’Empereur, tout puissant et résidant même à Rome.

Il prend le nom de Sylvestre II.
C’est le 139ème pape et le premier pape français.

Rencontrant des difficultés avec les Romains, Otton III et Sylvestre II quittent Rome pour Ravenne en février 1001.
Otton va mourir en janvier 1002, et Sylvestre va retourner à Rome, où il meurt le 12 mai 1003, après 4 années de pontificat.
Il est enterré à St Jean de Latran, où une épitaphe évoque son parcours exceptionnel, à la fois intellectuel et religieux.

Une réputation sulfureuse
La narration de sa vie n’a rien de choquant pour un profane, et sa réputation sulfureuse, qui en fit un pape maudit, fait l’objet des recherches de l’auteur Ahmed Youssef.
La légende satanique de ce pape de Lumière est née du hasard qui l’a mis en relation avec des savants arabes andalous. Cet introducteur des chiffres arabes (en fait indiens), en Occident, fut accusé de magie et de nécromancie.
Au goût de l’Église, il s’était montré trop admiratif des sciences arabes. Des historiens européens, notamment anglais, feront de Gerbert un pape qui pactisait avec le diable.
Ainsi, Guillaume Malmesbury, historien anglais brosse vers 1119 un tableau noir de Gerbert, en introduisant les premières calomnies islamisantes.

Même de son vivant, le français Hugues de Flavigny, affirme que sa carrière est due à des artifices (prestigia), grâce à la magie arabe tournant autour de la lettre « R ». C’est la raison pour laquelle il n’aurait accédé qu’à des fonctions dans des villes qui commençaient par la lettre R : Reims, Ravenne et Rome.
Même Victor Hugo, 9 siècles plus tard, parlait de « Gerbert, l’âme livrée aux sombres aventures ». Il est évident que ses recherches scientifiques inspirées directement de l’Islam, jettent 1000 ans plus tard un trouble dans l’Église Romaine à cause de l’épineuse question de la contribution du monde arabe à la civilisation occidentale.
L’Église finit par réhabiliter Sylvestre II.
Le discours de Jean-Paul II, pape polonais de l’an 2000, le 11 mai 2003, pour le millénaire du décès du pape français, rend hommage à son œuvre, tant sur les plans religieux que scientifique. Il souligne même la dimension européenne de son action.

L’héritage Gerbertien
Ahmed Youssef fait de Sylvestre II un homme qui a œuvré toute sa vie, à un rapprochement des cultures chrétiennes et musulmanes.
Cet héritage aurait été repris par l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, au début du 12ème siècle, qui opéra un incroyable rapprochement avec les sultans musulmans, puis par Napoléon Bonaparte, dans sa conquête de l’Égypte, menée en 1798.
La création de l’Institut d’Égypte la même année, validait le retour des sciences occidentales dans le monde musulman, qui a pris entretemps plusieurs siècles de retard, en matière scientifique, après en avoir eu autant d’avance 1000 ans plus tôt à l’époque du Royaume Andalou.

L’auteur établit en annexe de son ouvrage, la liste exhaustive des livres grecs et indiens traduits par les musulmans et les juifs avant d’être transmise en latin dans « une fabuleuse valse des traductions ».

C’est à cette vaste opération que contribua Gerbert d’Aurillac, en passeur scientifique entre les mondes musulmans et chrétiens, dans le but de rattraper le retard considérable accumulé par les royaumes et l’église d’occident.

En conclusion, nous pensons avoir clairement démontré tout l’intérêt de Sylvestre II pour le monde scientifique musulman. Il n’apparaît nulle part qu’il ait aimé Allah, et le titre du livre n’est donc pas légitime.
Gageons que l’auteur l’a volontairement utilisé de manière provocante, voire racoleuse, pour attirer l’attention du lecteur. Il y a parfaitement réussi dans mon cas, ce qui m’amène à lui pardonner son excès de langage, car il m’a permis la découverte d’un personnage qui mérite une place plus importante dans l’Histoire, pour son apport culturel vers les Lumières contre l’Obscurantisme…

Le livre : « Sylvestre II – le pape qui aimait Allah
De Cordoue au Vatican
Mille ans de malentendus »
Éditions Dervy 2019