Coïncidence qui n’est sûrement pas fortuite, la proximité du 8 mars, journée internationale de la femme, s’est traduite en Martinique par la programmation de plusieurs pièces écrites par des femmes, interprétées par des femmes, qui racontent des histoires de femmes. Après Femmes combattantes, Femmes influentes de Marie Alba, interprétée par six comédiennes amateures qui évoquaient respectivement les destins de trois Noires, la Mulâtresse Solitude (Guadeloupe), Lumina Sophie (Martinique), Harriet Tubman (Etats Confédérés) et trois Blanches, Voltairine de Cleyre (Etats-Unis), Olympe de Gouges et Benoîte Groult (France)[i], la pièce écrite et mise en scène Gerty Dambury, La Radio de Bonnes Nouvelles, déjà présentée en 2018 sur une autre scène martiniquaise, était reprise par le Théâtre municipal de Fort-de-France. Enfin la Scène nationale Tropiques-Atrium programmait pour sa part Murs murs d’après l’écrivaine nigériane Zainabu Jallo.
La Radio des Bonnes Nouvelles – écriture et M.E.S. Gerty Dambury
Bis repetita placent. Voici deux ans, nous nous étions montré très déçu par une pièce qui ne tenait pas ses promesses selon nous dans la mesure où les femmes censées être mises en exergue (Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Angela Davis, Gerty Archimède, Ida Wells-Barnett, Claudia Jones) étaient réduites à l’état de caricatures, de simples prétextes pour la mise en valeur des comédiennes. A cela s’ajoutait un accompagnement musical trop envahissant. Autre lieu, autre ambiance, et même si la mise en scène n’a guère varié, notre impression a complètement changé. Une fois admis en effet le présupposé de la pièce qui est de divertir bien plus que d’instruire, on se laisse prendre à la beauté du spectacle offert sur la scène (le texte passe d’autant plus au second plan que – en dépit ou à cause des micros d’oreille dont sont munies les comédiennes – on ne l’entend pas intégralement).
La musique, cette fois, se montre plus discrète et accompagne opportunément les moments superbement dansés par les deux comédiennes déjà présentes lors de la création, Martine Maximin et, un cran au-dessus, Marina Monmirel (il faut saluer à cet égard le travail du « coach-danse » Jalil Leclaire). Maroussa Pourpoint, la troisième comédienne, est un peu en retrait mais elle a un bon moment, vers la fin de la pièce, quand elle raconte comment elle a empoisonné son amant avec des fleurs d’allamanda. On est également séduit par les costumes, les jupes culottes amples des comédiennes, les vestes chatoyantes. Bref, cette Radio des Bonnes nouvelles qui tient bien davantage du music-hall que du théâtre tient parfaitement ses promesses… une fois qu’on a compris desquelles il s’agit.
Murs murs – adaptation et M.E.S. Carole Karemera d’après Onions makes us cry de Zainabu Jallo
Faudra-t-il également revoir Murs murs pour qu’elle suscite notre enthousiasme ? Cette pièce qui questionne la condition féminine dans une société traditionnelle où l’on prend au sérieux l’expression « deuxième sexe », avait pourtant a priori tout pour nous séduire. Et la première impression, face au dispositif retenu, un plateau carré flanqué de 4 poteaux portant des barres de LEDs colorés, lui-même encadré par les spectateurs, n’a fait que conforter un préjugé favorable. D’autant que la conjonction de trois partenaires originaires de trois pays différents du Continent (le Nigéria pour l’auteure, le Rwanda pour la metteuse en scène et comédienne, la RDC pour la deuxième comédienne) était pleine de promesses.
La pièce met face à face deux femmes, l’une est enfermée à la suite, découvrira-t-on, du meurtre d’un mari brutal ; l’autre est la « psychologue clinicienne » chargée d’aider la prisonnière à se reconstruire. Si le projet tient la route. La réalisation déçoit. Pas tant pour le texte, même si le retournement (lorsque la prisonnière se fait la thérapeute de celle qui est là pour la soigner) est attendu, que par l’interprétation. Si Carole Karemera tire plutôt bien son épingle du jeu – bien qu’elle se soit mise en scène elle-même, un exercice toujours risqué – sans jamais varier de son registre sobre, sa partenaire, Cécilia Kankonda, qui tient en réalité le premier rôle, a plombé la pièce par sa diction défaillante. Car on ne peut pas avancer ici, contrairement à la pièce précédente, que le texte importe peu ; il est au contraire essentiel. Or, on a beau tendre l’oreille, la fin des phrases prononcées par C. Kankonda se perd presque systématiquement dans un « mur-mure » indistinct. On sait que – peut-être à cause du cinéma qui n’exige pas les mêmes efforts – beaucoup de comédiens (professionnels !) ne savent plus porter la voix. Mais là, dans une petite salle, les spectateurs étant tous au plus près des actrices, on ne s’attendait pas à se heurter à une telle difficulté. Et quand on découvre dans la notice distribuée aux spectateurs que C. Kankonda enseigne « la voix (sic) et le théâtre » à l’Institut des Arts de Diffusion (Belgique), on devient carrément perplexe.
[i] Selim Lander : « Noires ou Blanches, six Femmes combattantes », Antilla, n° 1911, 5 mars 2020, p. 7.