Courage, générosité, altruisme, débrouillardise, ténacité … ce sont toutes les qualités des femmes qui éclatent dans cette histoire de fuite en avant, vers un pays lointain où tout est hostile, tout à construire, où aucune souffrance ne sera épargnée. Léonie, qui croit avoir trouvé un statut de patronne en épousant l’Antoine, bien plus âgé qu’elle mais déjà bistrotier au faubourg, la belle Jeanne Sabour, à la colle avec le fainéant Raoul, Catherine Dubac, Mélanie Artevel …
Après les sanglantes barricades des journées de juin 48, la répression fait rage. Une issue possible est proposée à ces âmes perdues : partir s’installer en Algérie, où la République leur promet des terres à cultiver, des semences, la protection de l’armée, l’espérance de devenir propriétaires de leur concession. Pour certains, il n’y a pas d’autre choix pour survivre. Et je ne peux m’empêcher de penser à ces hommes et femmes qui échouent aujourd’hui sur les côtes d’Europe …
C’est la solution qu’ont trouvée les autorités pour se débarrasser de ces fauteurs de troubles. Ce n’est pas cependant une déportation, puisqu’ils sont volontaires : ils doivent simplement être mariés et produire un certificat stipulant qu’ils n’étaient pas des émeutiers … c’est tout ce qu’on leur demande.
Ce premier convoi d’octobre 1848 compte 843 transportés, Il y en aura 17 comme celui-ci. Ensuite, à partir de 1850, on enverra en Algérie des déportés après deux années d’emprisonnement passés à Belle-île … Commence le voyage de ces enfants de paysans échoués à Paris. C’est tout d’abord le charme d’une croisière par les canaux de Bourgogne puis sur le Rhône, et puis la mer qu’ils voient pour la première fois. Ils sont enfin débarqués sur le sol aride de Saint-Cloud, poste militaire tout près d’Oran, dans des baraquements car leurs maisons sont à construire …. Les illusions s’effondrent.
Quand j’étais plus jeune et que mon beau-frère était mobilisé du côté de Colomb-Béchard, on nous disait que cette guerre d’Algérie protégeait les riches colons, que ces jeunes gens qui y laissaient la vie ne les méritaient pas … Mais personne ne nous avait jamais raconté comment se fit l’arrivée des premiers colons, leurs relations avec les immigrés espagnols déjà installés le long de la côte, leurs souffrances, leurs désillusions, leur ignorance de tout ce qui les attendait. Des hommes et des femmes rudes au mal, avec des courageux et des salopards, des malins prompts à cumuler les terres, les faibles qui ne survivraient pas à la rudesse du climat et aux fièvres. Aucune information et surtout, une incapacité à communiquer avec les Arabes, méprisés par la troupe, éternels humiliés.
Le roman se lit dans un souffle. On « voit » les décors, les costumes, les trognes, les violences – celle de la nature, des hommes, de la maladie – on souffre avec eux, et surtout avec elles. Un seul regret : ne pas savoir ce qu’il advient à la belle Jeanne, qui a retrouvé l’Antoine avec l’assentiment de Léonie, partie avec un officier … une suite, peut-être ?
Michèle Perret, LE PREMIER CONVOI, Editions Chèvre-feuille étoilée.