Provenance de la Dialectique et de la Didactique dans les Fables :
Hommage au fabuliste.
« Au XVIIème siècle, les récits didactiques les plus
célèbres sont bien sûr les Fables (1668/1693)
de Jean De La Fontaine (1621/1695). »
(Leu Meunier (A.), 2002, p 27).
Introduction
L’écriture fabuliste se rejoint à une tradition antique. Elle nous renvoie aux fabuleux Fables ésopiques. Ésope, le déclare et nous parle de la fable comme étant une forme d’écriture allégorique qui se divise en corps (récit) et âme (morale). Elle ressemble en apparence l’être humain (corps et âme / vertu et corruption) et exprime sous une apparence animale une idée instructrice. La Fontaine imite le modèle d’Esope, mais il innove en choisissant le vers (Poésie) au lieu de la narration (Prose). Ainsi, les leçons sont plus faciles à retenir et tous les nivaux manichéens de la société Classique y apparaissent : pauvre et riche, fort et faible, rusé et con, roi et peuple, courtisans et ennemis, etc. La devise du fabuliste est d’instruire et plaire par l’art de dire.
- Fusion des ARTS de dire…et origines du modèle
La mise en situation du discours fabliau et de ses différents stratagèmes argumentatifs logiques, pathétiques, éthiques, dialectiques et rationnels, est la mission la plus ardue du lecteur, et aussi du fabuliste ayant inscrit son écrit dans la tradition rhétorique.
1.1. Etymologie…un retour aux maîtres de l’Antiquité
« Fable » est héréditée « du latin fabulam, propos, parole, […] formé sur le verbe fari, parler, dire. ». Les sens de parler et de parole sont porteurs d’une charge sémantique latine renvoyant à « comparaison, métaphore […] et propos, parabole, discours. », (Bertrand (O.), Menegaldo (S.), 2006, p.113). Si nous rendons compte de quelques sens de parler, nous obtenons un lien avec des figures de la rhétorique telles que la métaphore, la comparaison et la parabole. Bref, fable et le discours oratoire sont en intercommunication inhérente l’un à l’autre. Ainsi l’art oratoire, est « la science de bien parler […] a pour objet tout ce qui peut tomber dans le discours » comme le dit le philosophe de l’Antiquité, Aristote (Molinié (G.), 2006, p.10). Quand à la rhétorique, elle prolifère trois genres de discours oratoire : le délibératif, l’épidictique et le judiciaire. La fable, selon ces trois situations n’est que la piste la plus parfaite pour illustrer ces genres. Nous évoquons ces trois situations car « selon les gens à qui on s’adresse, on ne dira pas les mêmes choses, et on n’en parlera pas de la même façon. », (Reboul, (O.), 1994, p.57.) La responsabilité du choix du « dit » n’englobe pas seulement, la nature du rhéteur comme le propose Aristote (ceux qui sont spectateurs d’un discours, ceux qui sont juges d’une situation passée ou ceux qui sont juges d’une situation future), mais aussi les parties qui ont provoqué le « dire » de ce « dit », à savoir celui qui parle, le sujet dont il parle et celui à qui il parle. Une fable se présente, en général, comme un lieu d’usage de la langue, bien qu’un discours ne soit que l’oral et la praxis de la langue puisqu’il appartient au langage. Ces deux domaines, à savoir la fable et le discours, s’appliquent à partir d’un seul mode : l’oral !
1.2. Les Arts de Dire dans le dit de la Fable
En outre, la fable se définit encore, en tant que un espace de dialectique discursive. La question qui se pose dès le début donc, est : qu’est-ce que est-ce que la dialectique ? Il est, alors, impératif de la définir avant de l’intervenir. Étymologiquement, le mot est du grec ‘dialektikê’, traverser de part en part par le langage ou la raison, discussion, de ‘dia’ à travers, et ‘legein’, signifie parler. Mais, dans le langage courant, la dialectique désigne l’art de la discussion et de l’argumentation. C’est-à-dire les méthodes mises en œuvre en vue de démontrer, de réfuter et de convaincre. Georges Molinié la transcrit comme « toutes les démonstrations se faisant ou par induction ou par déduction, soit par exemple ou par syllogisme enthymème, la dialectique régit le système démonstratif logique de la rhétorique. Il s’agit de discuter sur le probable[1] concernant tous les cas de tel ou tel type », Molinié (G.), 2006, p.113/114). D’une manière plus explicite, il s’agit dans la dialectique de trois types :
– la maïeutique qui est pour Socrate l’art d’accoucher qui conduit l’interlocuteur à découvrir la connaissance vraie qu’il porte en lui,
– l’art de la discussion ou le moyen de s’élever des connaissances sensibles aux Idées comme le pense Platon,
– et la dialectique éristique des Sophistes qui la décrivent comme étant ” l’art d’avoir toujours raison ” .
Quand à la rhétorique, domaine des arguments rationnels ou des preuves intra – techniques ou intra rhétoriques, elle englobe les exemples ou le raisonnement par induction, syllogismes ou le raisonnement logique résultant une vérité et enthymèmes, à savoir les syllogismes dialectiques fondés sur le probable (Molinié, (G.), 2006, p.146).
L’argumentation, en tant que stratégie de rhétorique, est un mode de défense en faveur d’un avis ou de lutte contre un autre. C’est une démarche cohérente et cohésive qui tend à convaincre. Il s’agit de la conviction et de la persuasion par l’effet des interactions verbales, de la force de l’activité langagière et de la capacité des moyens d’action de l’argumentateur. L’effet de ce « dire » a produit la conviction et la réaction qu’attend l’interlocuteur de la part du locuteur. Mais pour La Fontaine, c’est un moyen de produire le rire : l’une des fonctions essentielles de la fable par la motivation des figures macrostructurales de l’ironie. Il faut agrandir la notion des « Animaux » vers sa plus grande capacité générale : les animaux parlants d’où les humains et aussi les non-parlants. « Dans ce cas, l’argumentation est indirecte, car les idées de l’auteur n’apparaissent pas directement, mais sont exprimées de manière explicite à travers une histoire fictive », (Leu Meunier, (A.), 2002. p. 34).
Toute prise de parole, qui induise une opposition entre deux interlocuteurs ou plus, a un aspect agonistique car un dire est toujours en batail avec l’autre dire. Par les propres moyens argumentatifs de chaque interlocuteur, il est évident que la conviction et la persuasion d’un locuteur, supposé en conflit idéologique avec l’interlocuteur, seront la piste à atteindre pour chacun. Si nous disons persuasion, c’est car nous pouvons argumenter seulement pour plaire, pour faire l’humour, pour marquer une intention subjective ou pour donner un tel effet de manipulation d’avis et pas certainement, d’un raisonnement logique. Mais, lorsque nous évoquons la conviction, nous invitons automatiquement la raison. Le rationnel sert à convaincre à l’aide d’une simple cohérence et cohésion d’idées enchaînées en faveur de l’acquis d’un schéma cognitif pertinent et logique dans la cervelle du locuteur.
En effet, dire selon les moyens de la persuasion, c’est manipuler une situation discursive ou plus précisément un avis subjectif. Or, dire selon les moyens du raisonnement, c’est plutôt convaincre par le calcul cognitif pour changer un autre calcul. La persuasion collabore avec l’esprit de La Fontaine dans Les Fables car elle invite et les intentions de ce dernier et les fonctions de sa fable (critiquer, produire le rire, éduquer…). Mais n’oublions pas que la tradition oratoire invite dans son discours et les arguments pathétiques et les arguments logiques.
- La méthode d’un discours : Informer, Instruire, Eduquer…
La fonction argumentative dans la fable fait écho avec toutes ses autres fonctions telles que la fonction pédagogique, la fonction historique et la fonction humoristique. L’argumentation chez La Fontaine est une stratégie en réseau communicatif avec toute autre fonction de la fable.
2.1. Enonciation implicite : Le mimique
Le fabuliste fait appel à un deuxième mode d’expression dans les relations interactionnelles et interchangeables entre les animaux. Il ne s’agit pas seulement de recourir au linguistique mais aussi, au sémiotique à travers l’usage du mimique. La Fontaine additionne ces deux modes pour bien tracer la scène de la société animale. Une addition qui a pour fins : éduquer, informer, produire le rire, etc.
2.2. Enonciation explicite : Informer par la pertinence des dialogues animaliers
Le décodage des intentions de l’énonciateur (animal) et de l’auteur (La Fontaine) face aux intensions des discours est inhérente à la compréhension des implicites et des allusions. L’écriture des Fables, comme nous avons démontré, ne se doit pas être lue d’une manière gratuite. Elle est essentiellement une écriture d’interaction. Le discours chez les interlocuteurs – animaux de La Fontaine ne fait qu’éclater les actions et les réactions dans la scène de la fable. En fait, nous pouvons dire que le moteur d’une fable est l’acte langagier et ses effets. « Le dialogue est aussi le moyen privilégié de faire apparaître les contradictions ou le ridicule d’un personnage », (Leu Meunier (A.), 2002, p.20-21).La Fontaine fait manipuler le contenu de ses fables en fonction de cette essentielle fonction. Ce n’est pas gratuit alors, de s’intéresser à la vie animale au lieu de la vie sociale, de raconter des histoires et des anecdotes sans poser la question « pourquoi ? » ou plutôt « pour qui ? ». C’est à ce niveau que le lecteur va se charger de la mission de l’interprétation du message explicite inclus dans Les Fables.
2.3. La Fable : une pédagogie, une idéologie, une philosophie …
La fable a des fonctions desquelles sous-tendent des sens implicites. Ces sens sont bien évidemment des messages envoyés au lecteur. Et c’est à ce dernier, de prendre en considération qu’il est le premier impliqué. Elle peut aussi provoquer une telle réaction chez le récepteur (c’est généralement l’humour et le rire). La fable est un espace didactique et artistique. Elle a des missions engagées par rapport à son lecteur. Ses apports sont de type artistique, historique, philosophique, épistémologique, idéologique et pédagogique.
- Nous disons artistique et historique car nous l’allusion d’une mise en scène nous rappelle du théâtre grec (Homère).
- Nous disons idéologique et pédagogique, puisque nous sommes des simples écoliers dans l’universelle école de Jean de La Fontaine.
- Nous employons les termes épistémologie et philosophie, vue que le créateur des Fables est devant une mission de recherche : la recherche de la vérité humaine.
Tous ces domaines coulent dans un seul ruisseau : le ruisseau de l’existence humaine, le ruisseau qui a pour ondes la lecture intelligence de l’argumentation dans ces Fables, et ont pour pêcheur la sagesse du lecteur.
À partir de cette optique, nous ciblons l’enjeu biparti de la fable.
- Le fabuliste, arbitre et créateur des enjeux fabliaux, corrobore l’enjeu langagier avec l’enjeu formel en associant aussi, l’enjeu des genres d’où le baroque stratégique.
- Lorsque nous lisons Les Fables, il est évident que nous nous rappelons la mise en scène d’une pièce de théâtre. Le tout appelle à voir et non pas seulement à lire. La lisibilité de l’écriture fait une mutation en une visibilité d’un spectacle. L’ère du spectacle comique en France est le XVIIème, La Fontaine est le père du spectacle animalier !
Le choix des Fables comme support, s’explique par des raisons scientifiques et pédagogiques. Pour les raisons scientifiques (savantes d’où le côté didactique), nous marquons que :
- La fable en tant que parole, peut facilement se prêter à des analyses linguistiques surtout d’ordre sémantique et pragmatique.
- La fable ainsi comme un genre (qui cible de la satire, du prologue et de la prose à la fois) nécessite absolument d’être cohérente. Elle a cette double dimension de concerner le temps de l’énonciation en le dépassant au temps absolu. Elle s’adresse à un interlocuteur co-présent lorsqu’elle est prononcée oralement à n’importe quel autre interlocuteur. La cohérence de la fable se traduit par les liens logico-sémantiques entre l’entrée et la sortie. En conséquence, l’interlocuteur est invité à établir des liens de cohésion entre les différents constituants de la fable. Les liens de cohésion sont les liens syntaxiques entre les composantes de la phrase et les liens entre les phrases (Par exemple, l’anaphore qui est un élément de cohésion très fondamental). La fable opère au niveau des constituants de la phrase et ensuite entre les différents liens de la proposition par des liens logiques. Il faut aboutir à la cohérence dans le tout du discours à partir des éléments de la cohésion.
Le lecteur n’est qu’un simple écolier dans l’école des Fables dont le directeur est monsieur De La Fontaine « ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint. Ce qu’elles nous représentent, confirment les personnages d’âge avancé dans les connaissances que l’usage leur a données, et apprendra-t-elles […] ce qu’il faut qu’ils sachent […] », (Leu Meunier (A.), 2002, p. 95).
Chaque fable, de ce fait, a un sens. Il est évident que l’écriture est plutôt didactique et pourquoi pas de parti-pris. La narration des actions n’est qu’un simple alibi qui fait l’ancrage des idéologies et des principes de Jean de La Fontaine. Il faut s’inscrire humain, puis se définir humaniste et enfin défendre ce principe pour se définir disciple de cette école universelle et atemporelle.
« L’apologue est le genre qui répond le plus clairement à une visée persuasive. Il n’a jamais recours au raisonnement logique pour susciter l’adhésion du lecteur, mais c’est par le biais du récit qu’il cherche à instruire. Dans ce cas, l’argumentation est indirecte, car les idées de l’auteur n’apparaissent pas directement, mais sont exprimées de manière explicite à travers une histoire fictive. », (Ibidem , p. 95).
2.4. Les finalités du texte
La classification des personnages, dans Les Fables, est très pertinente. Nous avons une hiérarchisation entre les différents acteurs de la scène animale. Le lion s’impose comme roi, il a des courtisans, il a un peuple ! La noblesse représentée par exemple, par le loup, le renard, le bœuf, la grenouille, etc. Quant à la bourgeoisie d’affaire qui renvoie aux savants et aux marchands, elle est présente par le renard et le corbeau. La classe sociale des tiers-êtas est considérée surtout par le mouton, l’agneau et l’âne qui ne représentent que les payants, les savants, les chasseurs et les mendiants. Ces animaux sont alors des symboles renvoyant chacun à un représentant d’une catégorie sociale classique.
En agissant ainsi, la fable fait rire en concrétisant son statut de macro acte de langage destiné à plaire ou à émouvoir et donc à agir sur l’auditeur ou l’interlocuteur. Ce macro-acte a une force illocutoire qui en fait un acte perlocutoire dont la satisfaction est signe de réussite. De même, elle apporte des informations sur la vie des hommes et sur celle de l’homme en général, et fonctionne ainsi comme le miroir de nous-mêmes. L’information apportée par la fable se situe dans un réseau de communication, également d’argumentation, car le but ultime de l’information est l’éducation. Et pour finir, il est à préciser que toutes les informations visent à transformer le comportement de l’interlocuteur. La fable acquiert une dimension pragmatique réelle qui caractérise la dimension perlocutoire de la fable et même sa dimension performative.
Conclusion
L’écriture fabuliste chez La Fontaine permet à épouser les critères définitoires de l’Argumentation et de la Dialectique hérités des maîtres de l’Antiquité, le modèle de la fable prosodique reçu d’Esope et permuté en vers, la sagesse humaine Atemporelle et Universelle, l’ironie qui frappe le lecteur par le Rire éducationnel, les contraintes de l’écriture littéraire du XVIIème siècle, l’Art Baroque en confrontation avec l’âge Classique, les figures animalières avec l’image de la réalité humaine et la voix Populaire face au Pouvoir absolu.
En bref, les fonctions de l’écriture de la fable chez Jean de La Fontaine face au lecteur et à toute la société se résument en trois actions : le rire pour l’ironie, l’information pour l’éducation et l’allégorie pour transmettre la pensée critique.
Bibliographie
Les dictionnaires
Dubois (J.) et All, Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 2001.
Molinié (G.), le Dictionnaire de la Rhétorique, le Livre de Poche, 2006.
Les ouvrages de linguistique
Bertrand (O.), Menegaldo (S.), Vocabulaire de l’Ancien Français, ARMAND COLIN, Paris, 2006.
Ducrot (O.), Dire et ne pas Dire (Principes de sémantique linguistique), Edition HERMAN, Paris, 1998.
Leu Meunier, (A.). Problématiques essentielles, Hatier, Paris, 2002.
Maingueneau, (D.), Pragmatique pour le Discours littéraire, SUP, Paris, 1990.
Reboul, (O.), Introduction à la Rhétorique, Paris, PUF, 1994.
Récanati, (F.), La transparence et l’énonciation pour introduire la Pragmatique, seuil, Paris, 1979.
Les écrits des Fables
La Fontaine, (J. de), Fables, Livre de Poche, Paris, 2002.
Sitographie
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/louagneau.htm.
http://www.linguistes.com/phrase/enonces.html.
http://pagesperso-orange.fr/philo-lettres/la_fontaine1.htm.
http://www.lafontaine.net/lesFables/afficheFable.php?id=3.