Jean Durosier Desrivières a quitté son île natale à l’âge de vingt-six ans. Il a vécu en Martinique, avant de revenir en Haïti quelques mois avant le séisme du 12 janvier 2010. Les poèmes réunis dans Bouts de ville à vendre (1) expriment la sidération de l’auteur face à la ville retrouvée, Port-au-Prince, qui défie toute logique sinon celle de son indestructible vitalité. Si le titre n’était déjà celui d’une autre œuvre inaugurale, d’un autre poète caribéen, mondialement célèbre, ce recueil pourrait s’appeler Cahier du retour au pays natal (2). La catastrophe du 12 janvier 2010 n’est évoquée nulle part, en effet, dans ces quatrains seulement inspirés par la confusion des retrouvailles avec le pays des origines.
Le poème sent le cafard. Ce premier vers indique une première tonalité du recueil, une désespérance que la beauté de la forme ne parviendra pas à occulter.
Ville à la criée gorgée d’eau et de puanteur rassasiée de son œuvre plastiquePort-au-Prince, ville à la criée, ville à vendre, tellement elle semble s’abandonner elle-même. Une ville qui se laisse aller, qui se laisse envahir aussi.
La mer étale nombre de marques déposées aux pieds de la capitale dé(ca)pitéeL’auteur, néanmoins, refuse de se laisser submerger par la tristesse. D’où une deuxième tonalité qui fait résonner une sorte de dérision joyeuse. Port-au-Prince apocalypse, certes. Port-au-Prince tragédie, sans doute. Mais encore Port-au-Prince résiliente, et vivante, et jouisseuse.
Au bas de la ville une fille en taille-basse offre au passage sa raie à l’arrêtParfois, le poète se fait surréaliste, nous laissant libre d’interpréter ce qu’il a voulu dire, ou, plus simplement, nous laisser dériver au fil de sa chanson.
La petite commerçante qui crée la musique du caniveau du fond de sa culotte en stéréo j’ouïsIl faut mentionner pour terminer les illustrations de Gérald Bloncourt, peintre, photographe et poète d’origine haïtienne. Le recueil reproduit six linotypes, faisant appel à des techniques différentes, qui représentent des personnages, hommes ou femmes, plus ou moins stylisés. L’illustration retenue pour la couverture est particulièrement évocatrice du message contenu dans les poèmes.
Michel Herland.
(1) Jean-Durosier Desrivières, Bouts de ville à vendre, poésie d’urgence. Avec six linotypes de Gérald Bloncourt. Paris, Éditions Caractères, 2010, 39 p.
(2) Une lettre manuscrite d’Aimé Césaire à l’auteur est reproduite en fac-similé p. 11.