« Cette Anthologie de poésie louisianaise comble une lacune jusqu’ici très regrettable dans le corpus franco-louisianais. »
Clint Bruce
Brown University
« L’Anthologie de poésie louisianaise du XIXe siècle, projet récompensé par le Centre de la francophonie des Amériques dans le cadre du concours Jeunesse francophone en action, illustre bien la riche diversité de la littérature louisianaise issue d’auteurs aux parcours et aux origines variés. Elle contribuera à mieux faire connaître le patrimoine littéraire créole en faisant découvrir la passion qui animait la quarantaine de poètes dont les textes sont repris dans cet ouvrage. »
Michel Robitaille
Président-directeur général
Centre de la francophonie des Amériques
« …un recueil impressionnant qui sera d’une grande utilité dans les cours sur la littérature louisianaise. Cette Anthologie réunit un excellent choix de textes avec des essais dans lesquels le lecteur découvrira de nouvelles perspectives sur le développement et l’évolution de la littérature louisianaise dans son contexte sociopolitique. La sélection de poésies en créole louisianais qui clôt cette étude est tout particulièrement provocante. »
Chris Michaelides
University of Louisiana at Monroe
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L’Éveil poétique de la colonie
Introduction
Si la première colonie permanente en Louisiane fut établie à Biloxi en 1699 près d’un siècle après la fondation de Jamestown par les Anglais, les conditions primitives et difficiles défavorisèrent la création d’une littérature indigène dans le territoire louisianais pendant encore un autre siècle. Tout ce qui reste de cette ère, dans le domaine littéraire, est une série de récits de voyages et de mémoires rédigée par des colons et voyageurs qui s’identifiaient non pas comme Louisianais mais comme Français. Leur poésie arrivait donc avec eux, véhiculée dans les chansons apportées de France. Il fallut de nombreuses années avant qu’un art poétique et une littérature véritablement louisianaise naquissent de l’expérience coloniale. Ainsi, les premières créations poétiques coloniales furent des sortes d’hybrides, c’est-à-dire, des ouvrages avec des sujets louisianais mais écrits pour un public européen.
Par exemple, la première publication de poésie en Louisiane fut la « Prise du Morne du Bâton Rouge » par Julien Poydras de Lalande, un Breton qui quitta la France vers 1768. Imprimée en 1779 à la Nouvelle-Orléans pour le roi d’Espagne, cette allégorie mythologique met en scène la nymphe Scaesaris s’adressant au dieu du Mississipi. Poydras s’inspira de la bataille de Bâton Rouge où les soldats combattirent pour le fort anglais. Les forces espagnoles attaquèrent les Anglais parce que l’Espagne avait déclaré la guerre à la Grande Bretagne pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis. Ainsi, le poème ne célèbre pas un événement proprement louisianais, mais un épisode de la guerre entre deux rivaux coloniaux européens.
Le deuxième ouvrage poétique d’envergure, La Fête du petit blé, tragédie en cinq actes imprimée en 1814, fut la première pièce française écrite en Louisiane. LeBlanc de Villeneufve, inspiré par ses expériences avec les Houmas pendant les années 1752 à 1758, retrace l’histoire d’un jeune Amérindien houma qui s’enfuit après avoir tué un guerrier de la nation chactas. Suite à son évasion, le devoir amérindien prescrivit que le père du jeune homme devait mourir à la place de son fils coupable. LeBlanc de Villeneufve, impressionné par le sens de devoir du père, Poucha-Houmma, célèbre son sacrifice à l’honneur en tant que « bon sauvage » si apprécié des écrivains préromantiques tels que Chateaubriand, Rousseau, et Bernardin de Saint-Pierre.
Le vrai essor poétique en Louisiane dut attendre la floraison des journaux de langue française à la fin du XVIIIe siècle quand la fortune des planteurs s’agrandit et qu’ils eurent besoin de s’informer des affaires du monde et de la colonie. En 1794, Louis Duclot, anciennement imprimeur à Saint-Domingue, fonda le Moniteur de la Louisiane, premier journal de la colonie louisianaise.
Établi pendant la domination espagnole, le Moniteur, qui ne traitait que des affaires et ne publiait pas de littérature, resta longtemps le seul journal de la colonie, même après la vente du territoire aux États-Unis en 1803. La création littéraire, la poésie, et les nouvelles commencèrent à paraître, ironiquement, non pas sous la domination française, mais sous celle du gouvernement américain puisque la vente de la colonie amena aux États-Unis de nombreux réfugiés des révolutions de France et d’Haïti et des guerres au Canada. Parmi ces réfugiés politiques, souvent bien instruits, se trouvaient des journalistes qui apportèrent une contribution non négligeable au rayonnement intellectuel du territoire. Au même moment, les Américains anglophones, qui avaient été présents en Louisiane depuis l’établissement de la colonie, entrèrent en concurrence directe avec la population française et créole et provoquèrent l’assimilation lente et irréversible de la population francophone.
Ainsi, huit journaux néo-orléanais furent fondés pendant les sept premières années de la domination américaine ; de 1810 à 1820, trois journaux furent établis ; les années 1820 virent la naissance de six journaux ; après 1830, le nombre de nouveaux journaux de langue française déclina fortement. Si la ville du croissant vit la création de plus de cent périodiques, aussi éphémères les uns que les autres, seule l’Abeille de la Nouvelle–Orléans vit l’aube du nouveau siècle. Fondée en 1827 par François Delaup, immigrant de Saint-Domingue, l’Abeille, fut publiée en français et en anglais pendant presque la totalité de son existence et la section française offrit régulièrement des poésies françaises entre 1827 et 1849. Cependant, après 1849, le rédacteur supprima la moitié de la poésie indigène car bon nombre des auteurs créoles refusaient de signer leurs œuvres. Pendant des années on ne trouva que des ouvrages signés de la main d’auteurs tels qu’Alexandre Dumas, Alphonse Daudet, et George Sand. L’Abeille cessa la publication en 1925, quatre ans après avoir été achetée par le Times-Picayune.
On peut relier l’impulsion de créer une littérature véritablement louisianaise au lecteur qui envoya une lettre signée au rédacteur de l’Abeille en 1827 dans laquelle il se plaignit que le journal n’avait jamais manifesté d’intérêt pour la poésie. Après cette date, les journaux néo-orléanais, toujours sensibles au journalisme des affaires, se réorientèrent lentement vers une nouvelle tradition plus tournée vers les idées et l’analyse critique de la musique, du théâtre, et de la littérature. Ainsi, les journaux répondirent aux goûts littéraires d’un lectorat de plus en plus sophistiqué, composé de diplômés créoles assez riches et cultivés pour apprécier les arts littéraires. Nés en Louisiane après 1800 et éduqués en France, ils rapportèrent à l’ancienne colonie une sensibilité littéraire française enracinée dans un vécu pourtant profondément louisianais.
Amanda Leigh Russel, Parker Jarnigan, Stephen Lioy.
Julien de Lallande Poydras (1746-1824)
Lorsque l’on pense à l’histoire française de la Louisiane, le nom de Julien Poydras renvoie surtout au monde littéraire et politique. Poydras naquit à Nantes en France au milieu du XVIIIe siècle. Après avoir terminé l’école préparatoire, il s’engagea dans la marine française. À l’âge de 20 ans il fut capturé par la marine anglaise mais réussit à s’échapper à Saint-Domingue à bord d’un navire de commerce. Il arriva à la Nouvelle-Orléans en 1768. Un an plus tard, il entra dans le monde du commerce et voyagea autour de la Louisiane vendant de l’indigo, des écharpes et des bijoux de pacotille. En peu de temps, Poydras devint riche et acheta une grande maison à la Pointe Coupée d’où il put vendre ses marchandises aux gens des Opélousas, des Natchitoches et de la Nouvelle-Orléans. Il poursuivit son commerce et, grâce à son honnêteté et son intégrité, sa réputation et sa fortune se développèrent.
En 1779, inspiré par la guerre pendant laquelle le général Bernardo de Galvez réclama la Floride au nom de l’Espagne, Poydras écrivit « La Prise du morne du Bâton Rouge par monseigneur de Galvez ». Imprimé aux frais du roi Carlos III pour célébrer la victoire espagnole contre les troupes britanniques pour le contrôle de la région, « La Prise du morne de Bâton Rouge » fut un des premiers ouvrages littéraires publiés dans le territoire louisianais. Alcée Fortier, qui le reproduisit dans ses Louisiana Studies, remarqua le ton pompeux et froid du poème, mais nota que son style enflé et déclamatoire était usuel à l’époque.
Vers la fin de sa vie, il contacta ses neveux et nièces en France et les fit venir en Louisiane. À sa mort, ne s’étant jamais marié et n’ayant jamais eu d’enfants, il leur laissa la plupart de ses biens.
Randi L. S. Weeting
La Prise du morne du Bâton Rouge
Quel fracas et quel bruit vient frapper mon oreille?
Je dormois, tout à coup la foudre me réveille.
A ses coups redoublés, je vois frémir mes Eaux,
Et trembler mon Palais, retentir les Echos.
Quel Mortel, ou quel Dieu vient ici dans sa rage,
Troubler la douce paix, de mon heureux Rivage,
Où sous mes sages Loix, mes habitans chéris,
Couloient les plus beaux jours, sans peine et sans soucis.
Chers objets de mes soins, ils voyoient l’abondance (…)
Table des matières
Introduction
L’Éveil poétique de la colonie 13
Julien de Lallande Poydras 15
La Prise du morne du Bâton Rouge 16
Paul Leblanc de Villeneufve 21
La Fête du petit blé 22
Les Poètes créoles 69
Louis Allard 71
L’Amour enfant 72
Pour le portrait de… 72
Trois impromptus… 72
À Églé 73
À Zoïle, orgueilleux 73
À Céditianus 73
De Calliodore, gourmand 73
Les Bons Époux 74
À l’épouse de Charidème 74
À Émile 74
À Thaïs 74
Tullius Saint-Céran 75
La Louisiane en 1840 76
Dominique Rouquette 77
La Fête des Morts 77
Midi 79
Adrien Rouquette 79
Le Génie 80
L’Arbre des Chactas 81
Charles Deléry 84
Le Chat gras et le Rat maigre 84
Les Dix Frères 85
La Guêpe et l’Abeille 87
Changement de commerce 87
Alexandre Latil 88
Le Délire 89
Désenchantement 92
À mon grand-père Lazare Latil 95
Prière 96
Alfred Mercier 97
La Curée 98
L’Homme – l’Araignée 100
Charles-Oscar Dugué 102
À une étoile tombante 102
Désenchantement 103
Souvenirs de la Louisiane 104
Souvenirs du désert 105
À M*** 107
Le Génie des savanes 107
Albert Delpit 110
L’Ami 110
La Mort et l’Amour 111
George Dessommes 113
La Vie 114
Coucher de soleil 115
Afternoon 115
Regrets ! 116
Ô grands bois 117
L’Orage 118
Un soir au Jackson Square 123
Léona Queyrouze 128
Le Désir 129
Vision 130
Sonnet – Sous son premier baiser… 132
Allégorie – Pensée d’un Créole 133
Sonnet – À mon amie Magda Turpin 133
Fantôme d’Occident 134
Sonnet – Sous un souffle d’amour… 135
Les Exilés français en Louisiane 137
Stephen Bernard 138
Distribution septennale de la vie de l’homme 139
Émilie Evershed 139
Le Laurier rose 140
Alexandre Barde 146
Les Morts 147
La Fièvre jaune 148
Réponse 154
Charles Testut 157
Le Convoi du pauvre 159
La Langue française en Louisiane 160
À M. A. Barde 161
Joseph Déjacque 165
L’Huître et la Perle 166
Le Carancro et le Tireur à la cible 166
Le Chasseur 167
Voile au vent ! 169
François Tujague 170
La Guerre 171
Joseph Maltrait 174
Le Melon 174
La Chatte et les Chatons 175
Les Nez 177
La Poésie engagée des Créoles de couleur 179
Hippolyte Castra 182
La Campagne de 1814-1815 184
Armand Lanusse 185
Épigramme 186
Un frère au tombeau de son frère 186
Camille Thierry 187
L’Incube 188
Mariquita la Calentura 189
Eugène B… 190
Le Suicide 191
Amélie Girardot 192
Le Général Magloire d’Hoquincourt 193
Aristide Mary 195
Un martyr inconnu ! 196
Auguste Populus 201
À mon ami P*** 201
Deux poèmes anonymes 202
La Guerre et l’Avenir 202
Le Triomphe des opprimés 206
Adolphe Duhart 208
Le 13 avril 208
À une enfant 210
Mon trésor 211
Pierre l’Hermite 212
Au Père Chocarne 213
Camille Naudin 214
La Marseillaise noire 215
Victor E. Rillieux 216
Amour et Dévouement 217
Une larme 219
Le Timide 220
Pierre-Aristide Desdunes 221
L’Idéal 222
Les Pensées d’un esclave soldat 223
Ressentiment d’un être sans patrie ! 225
Élégie 226
La Poésie d’expression créole 229
Alfred Mercier 232
Étude sur la langue créole en Louisiane (extrait) 232
Alcée Fortier 234
La Chanson de Roland 235
Jules Choppin 236
Les Animaux malades de la peste 236
Le Lièvre et la Tortue 238
Le Singe et le Léopard 238
L’Huître et les Plaideurs 239
La Chasse Chaoué 240
Charles Jobey 242
Chant du vié Boscugo 243
Joe Beaumont 245
Toucoutou 246
Adrien Rouquette 248
Mokeur Shanteur 248
Weird Solo by a Zombi-Frog 250
Poèmes anonymes 251
La Caze du nègre 252
Élégi d’un Affranchi 253
Françoése et les races 254
Valentine 255
Sources bibliographiques 257
Ce recueil a reçu une bourse du Centre de la Francophonie des Amériques.
Copyright © 2010 Éditions Tintamarre, Centenary College of Louisiana, Shreveport, ISBN : 978-0-9820558-4-7