Chroniques Comptes-rendus

45éme Festival de La Roque d’Anthéron – Lucas Debargue et Arielle Beck

Soirée du 20/07/2025  –  Lucas Debargue

A 35 ans, Lucas Debargue ne fait plus partie de ces nombreux jeunes espoirs du piano, c’est aujourd’hui un artiste confirmé.

Il a d’ailleurs abandonné son look juvénile, et se présente avec une attitude sérieuse.

C’est cet adjectif qui va caractériser sa prestation.

Pas de grands mouvements, pas de grands gestes des bras, rien de racoleur, une grande discrétion : tout en sobriété.

Il en est de même de sa musique, qui reste maîtrisée, et assez linéaire.

Pas d’envolées romantiques, une retenue permanente,

Même dans les morceaux de Chopin, il garde son style et ne se libère jamais.

Ce contrôle permanent l’empêche de se libérer, et de transmettre au public une passion cachée.

C’est net, précis, ciselé, sans enthousiasme.

Cette régularité finit par produire une certaine monotonie, il est vrai que tenir seul un amphithéâtre en plein air contenant plus d’un millier de spectateurs, ce n’est pas une tâche facile.

L’écoute du public est aussi sérieuse que le jeu du pianiste.

Ce manque d’aspérité, notamment dans la longue sonate de Scriabine, qui n’appartient pas à mes compositeurs préférés, finit par me mettre en difficulté face aux tentatives séductrices de Morphée.

Je m’aperçois que je ne suis le seul dans ce cas, autour de moi quelques têtes dodelinent dangereusement.

Mais, héroïquement, je résiste et finis apprécier le morceau final, « Après une lecture de Dante » de Franz Liszt, qui me rappelle de bons vieux souvenirs, et le jeu remarquable du grand Youri Boukoff, que j’ai eu la chance de voir jouer Liszt à Budapest, dans sa maison natale et sur son piano, en septembre 90.

Cette comparaison n’est évidemment pas favorable à Lucas Debargue, qui devra mettre un peu plus de fantaisie et de romantisme dans son jeu, se « lâcher », pour venir égaler les plus grands.

Programme du 20/07/2025

Fauré : Sicilienne opus 78
Fauré : Après un rêve
Fauré : Cantique de Jean Racine opus 11
Chopin : Scherzo n°2 en si bémol mineur opus 31
Chopin : Balade n°4 en fa mineur opus 52
Scriabine : Sonate n°3 en fa dièse mineur opus 23
Liszt : Balade n°2 en si mineur
Liszt : Après une lecture du Dante (Fantasia quasi sonata), extrait des Années de pèlerinage, 2ème année (Italie)

 

Soirée du 21/07/2025  –  Arielle Beck

Grande et mince jeune fille de 16 ans, Arielle Beck avale la scène d’une démarche souple et déterminée, ne semblant pas intimidée le moins du monde.

Attaquant immédiatement les Variations Sérieuses de Mendelssohn, elle affiche une assurance de bon aloi.

Elle domine son sujet et communique le charme et le mystère « sérieux » de ce morceau.

Enchaînant avec la Balade n°1 de Chopin, et sa Barcarolle en fa dièse, elle transmet ses émotions, et nous transporte sur les canaux vénitiens. Nous voguons allègrement sur les eaux de la Sérénissime.

Son style, fluide, quasiment liquide, n’est pas sans rappeler celui de Hélène Grimaud, tout en douceur dans « Water ».

La sonate n°1 de Schumann lui permet d’affirmer toute la qualité de son talent et la profondeur de son jeu.

Elle bisse avec la suite anglaise de Bach, montrant ainsi l’étendue de son répertoire.

D’une grande sobriété, pas le moindre geste racoleur, elle parvient à transmettre aux auditeurs toute l’énergie de sa passion.

Les applaudissements nourris sont au rendez-vous.

Elle quitte finalement la scène avec son traditionnel bouquet de fleur, digne et sans marque particulière d’émotion.

Elle est très jeune, possède déjà un talent affirmé.

Avec le temps, elle va encore se bonifier, et deviendra une star, suivant le cheminement d’une certaine Joao Pirès, avec qui elle a une certaine ressemblance, et bien sûr Hélène Grimaud.

Cette troisième soirée nous a enfin permis d’écouter de la bonne musique, avec une pianiste d’un excellent niveau, capable de transmettre au public la beauté des morceaux composés par de grands créateurs.

Qualité musicale et transmission, c’est tout ce que nous venons chercher à La Roque d’Anthéron !

 

Mendelssohn : Variations sérieuses opus 54
Schubert : Sonate n°14 en la mineur opus posthume 143 D. 784
Chopin : Ballade n°1 en sol mineur opus 23
Chopin : Barcarolle en fa dièse majeur opus 60
Schumann : Sonate n°1 en fa dièse mineur opus 11

Bis du concert :
Bach : Suite anglaise n°2 en la mineur BWV 807 : II Allemande