L’oeil et le cœur affutés, telle une caméra haute fidélité, Claude Luezior capture paysages, activités, personnages et moments rares, non pas comme un chasseur d’images mais comme quelqu’un qui veut se souvenir de son itinéraire de vie , l’itinéraire d’un homme tourné vers les autres.
« L’ITINERAIRE» est une sorte de montage vidéo où l’on peut revivre à satiété les moments forts des rencontres faites par un voyageur de la vie mais quelqu’un qui est tout sauf un touriste.
L’auteur, ici comme dans tous ses livres, est avant tout un cerveau, un œil et un cœur de haute fidélité.
Transmettre l’émotion, sans longueurs ni développements excessifs mais comme dans l’urgence, grâce à de petites scènes du quotidien vivant : voilà ce qui vaut pour Claude Luezior, la peine d’écrire.
« L’ITINERAIRE », donc : une centaine de pages aux mots choisis, pesés, où l’ on sent la profondeur et l’acuité du regard de l’auteur, qu’il s’agisse de cette scène de maternité, en Inde, vue de dos, où l’on se retrouve, qui que nous soyons, enfant endormi dans les bras de sa mère” cet enfant de toutes les dynasties, futur maharadja brahmane ou intouchable”..
ou bien à ”Helsinki, une rue fade sous une pluie luthérienne”, au seuil d’une onglerie ( symbole de futilité), ”la silhouette d’une femme qui reste grise, mais ses mains devenues orchidées”
Et puis nous lisons page 57 une courte scène que l’on pourrait croquer, avec joie, d’un coup de crayon rapide, sans jamais l’avoir vue :
”Toute menue est la kiosquière
puisque tel est son titre de noblesse
dame-écureuil qui semble récolter
force quotidiens et hebdomadaires
collectionneuse à l’ancienne, elle préside
une marée de gris-gris et magazines
dans un édicule hérité des Ottomans
ou d’un minuscule palais perse…”
Le poète qui est avant tout humaniste ( à la fois enseignant, médecin et écrivain) ne retient que ce qui touche à la fois son œil amoureux des arts et son cœur, tout ce qui mérite de réfléchir à notre propre itinéraire de vie.
Chaque page représente une halte sur le chemin qui parfois devient chemin de croix, mais sans insister sur le drame ; telle est l’élégance de Claude Luezior qui sait signaler le danger sans s’y complaire.
C’est cette richesse d’impressions souvent vivifiées par un mot d’humour
qui font de ce livre une exception.
Citons, ne nous en privons pas, à l’attention de tous les ”profs” et de tous les élèves dont nous fûmes tous :
page 102 : « Rentrée scolaire » :
un essaim de guêpes distraites, dans leur cartable un peu de miel…des antisèches…une déclinaison bâclée…
et page 103 : « Ecole » :
De son côté le professeur de mathématiques se dépêche :
”En quoi
La division
Polynomiale
Donne-t-elle
Une asymptote
Oblique ?
Ainsi jaillit l’humour, l’humour fin, qui rend si vrai et si humain cet ouvrage : « L’ITINERAIRE » : un vivant journal personnel, loin de la poésie compassée, trépassée ; un livre si particulier, aéré, précis, vif, intelligent, si vrai qu’on le lit sans différer tant son quotidien nous réveille l’âme, page après page : un véritable bain littéraire vitaminé rajeunissant !
L’Itinéraire, de Claude Luezior, Ed. Librairie – Galerie Racine, Paris, 2024