Comptes-rendus Critiques Scènes

« Article 353 du code pénal » de Tanguy Vieil / Emmanuel Noblet

Un grand moment de théâtre

Moyennant quoi, il n’est pas nécessaire de mobiliser des moyens gigantesques pour produire un spectacle fascinant de bout en bout. Qu’on en juge : un comédien qui ne paye pas de mine accompagné par un comparse. Quelques rares images vidéo sur un peu de musique, des effets de lumière tout aussi rares. Un texte qui n’est même pas écrit au départ pour le théâtre puisqu’il s’agit de l’adaptation d’un roman. Seul le décor signé Alain Lagarde en impose davantage, et encore : un muret encadrant sur deux côtés un espace vide dans lequel baignent quelques flaques.

Pourquoi une telle réussite ? Parce que le texte, tel qu’il est adapté par Emmanuel Noblet du roman de Tanguy Viel, se révèle théâtral à souhait ; parce que l’interprète principal, Vincent Garanger, est non seulement un comédien très expérimenté mais que son rôle – écrasant – semble écrit pour lui ; parce que la mise en scène (toujours Emmanuel Noblet) est au cordeau, d’une sobriété qui convient à la situation et au décor.

L’histoire se déroule dans une bourgade de la rade de Brest. Le protagoniste, Martial Kermeur (on ne fait pas plus breton comme nom) a touché une forte prime de licenciement qu’il a investie dans l’achat d’un bel appartement sur plan, avec vue imprenable sur la mer et tout le confort. Un prologue nous apprend qu’il a fait tomber à l’eau le promoteur et l’a laissé se noyer. Quand la pièce commence vraiment, il est debout, à jardin, dans le trou délimité par ce qui nous apparaissait comme un muret, tout ce qui reste des travaux entrepris pour les fondations de l’immeuble fantôme, tandis que son partenaire (encore Emmanuel Noblet dans le rôle du juge d’instruction), assis dans un fauteuil (accessoire unique) à cour, entreprend de l’interroger. Il n’aura pas beaucoup de questions à poser car le meurtrier n’a qu’une envie, celle de s’épancher.

Le discours très articulé sous un désordre apparent, dans un français précis, permet de comprendre comment Martial Kermeur est arrivé à commettre un assassinat. Ses motivations sont complexes : ce n’est pas seulement qu’il a été grugé, sa femme, son fils sont aussi pour quelque chose dans son acte, sans parler de tout le reste qu’il traîne derrière lui. Quant à l’article 353 du Code pénal dont nous n’en entendrons parler qu’à la fin, il justifiera le dénouement.

Le théâtre repose sur des conventions, pas seulement le fait que tout soit faux depuis le décor jusqu’au jeu des comédiens qui peuvent se révéler dans la vrai vie à l’opposé des personnages qu’ils interprètent, mais aussi bien les situations, comme les coups de théâtre souvent tirés par les cheveux. Dans le cas présent nous sommes tenus d’admettre que le promoteur véreux, au lieu de se planquer le plus loin possible avec son magot, continue de parader dans la contrée avec sa Porsche et son bateau Merry Fisher, narguant tous ceux qu’il a spoliés et qui n’ont même pas eu l’idée de s’unir pour tenter de récupérer leur bien. Mais la magie du théâtre opère : sans être tout à fait dupes, nous voulons y croire, ou plutôt nous acceptons la fable. Parce que, en écoutant Vincent Garanger qui parle et qui parle et qui paraît en avoir tellement sur le cœur, même s’il n’est qu’un comédien qui endosse un personnage, nous sentons les accents de vérité et nous avons l’impression de découvrir un homme, un vrai.

Article 353 du Code pénal, adaptation et mise en scène par Emmanuel Noblet d’après un roman de Tanguy Viel. Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet. Au Théâtre Bois de l’Aune, Aix-en-Provence, 17-18 octobre 2024.