L’édition 2024 des Zébrures d’automne, festival des créations théâtrales en Francophonies s’est déroulé, comme toujours à Limoges, du 25 septembre au 5 octobre. Une quarantaine de spectacles (théâtre, musique, danse) en salles, des conteurs, des déambulations dans la rue, des rencontres avec les artistes, des ateliers de formation, des remises de prix, une programmation très diversifiée aussi en raison de l’origine des artistes (du Canada aux Comores), tout cela fait de ce festival dirigé par Hassane Kassi Kouyaté le lieu de rencontres incontournable pour tous les créateurs de la Francophonie. Et le public est au rendez-vous, public d’ailleurs, mais aussi public de Limoges et de sa région (avec en outre quelques spectacles dans d’autres localités), y compris de nombreux collégiens et lycéens pour lesquels ces représentations constituent une ouverture exceptionnelle.
Ce n’est pas après deux petites journées à Limoges que l’on espère donner un image un tant soit peu complète de la physionomie de cette édition qui a débuté pour nous par les Paroles croisées de cinq compteuses et compteurs venus (dans l’ordre alphabétique) de Belgique, du Burkina Faso, du Niger, de RDC, de Suisse, sous la houlette du Libanais Jihad Darwiche, une première mise en oreilles avant quatre pièces de théâtre venues respectivement et toujours dans l’ordre alphabétique (dans ce cas il recouvre celui de nos préférences) du Cameroun, des Comores, du Nouveau-Brunswick et du Sénégal.
Réservant pour un autre article la pièce Cœur à vendre de l’auteur camerounais Kouam Tawa, je dirai simplement quelques mots des trois autres pièces, en commençant par Je suis blanc et je vous merde du Comorien Soeuf Elbadawi, déjà l’auteur de nombreuses pièces, également à la m.e.s., une personnalité controversée dans son pays, qui n’hésite pas à prendre son public à rebrousse-poil. Il le fait ici dès le titre car on en aura rarement vu un de plus laid au théâtre ! Heureusement, la pièce qui explore les thèmes familiers d’Elbadawi n’est pas au diapason de ce titre, lequel annonce bien néanmoins, si l’on ose dire, la couleur. Car il sera bien question d’un blanc, nommé Gaucel, qui se retrouve dans une geôle à Moroni, accusé – probablement injustement, mais sait-on jamais ? – d’avoir voulu fomenter ou participer à un coup d’État. Le texte fait appel à six personnages qui se croisent dans la prison parmi lesquels un autre prisonnier, un sage (interprété par l’auteur) qui entretient avec Gaucel de longues conversations, tournant le plus souvent autour du thème de l’identité, du colonialisme et de ses séquelles : « Quand un blanc entre en toi, il te grattouille le cerveau jusqu’à l’os ». Lors du bord de plateau qui a suivi la représentation du jeudi 3 septembre, l’auteur a pu apporter des développements instructifs concernant les situations respectives de l’Union des Comores (indépendante) et de Mayotte, cette île de l’archipel restée française en dépit de la loi internationale. Mais sa pièce est bien du théâtre avec six personnages hauts en couleur, en particulier les deux personnages féminins, une « mamma » et une diplomate toutes deux plus vraies que nature.
Changement total de genre avec Vent à vendre de Matthieu Girard, à nouveau auteur, m.e.s. et interprète, puisqu’il s’agit ici d’un théâtre documentaire qui s’intéresse en l’occurrence à un projet d’installation d’éoliennes à l’Anse-Bleue, un village du Nouveau-Brunswick, au bord de la Baie des chaleurs. Bien que cette pièce faisant appel à quatre comédiens ne soit pas complètement aboutie (avec certains morceaux du texte qui sont lus), elle l’est déjà suffisamment pour retenir l’attention de bout en bout. M. Girard qui fait office de meneur de jeu conduit sa petite troupe tambour battant. On passe sans transition d’un personnage à l’autre grâce à des changements de costumes minimaux (un gilet, une casquette, etc.). Il y a des chansons accompagnées à la guitare… Nous sommes en milieu acadien, celui de ces Francophones qui continuent à défendre leur langue dans des conditions bien plus compliquées qu’au Québec voisin. M. Girard nous donne à entendre cette langue (quelquefois à l’aide des surtitres projetés sur un écran) si pittoresque aux oreilles d’un Français.
Le projet d’éoliennes échouera et la pièce laisse deviner pourquoi, moins pour des raisons environnementales véritables que par un défaut de communication de la part du promoteur comme des autorités provinciales.
A côté des deux pièces précédentes, La Grande Ourse de Penda Diouf, m.e.s. par Anthony Thibault, qui mobilise sept comédiens déçoit. Le pari de porter au théâtre un conte fantastique n’était de toute façon pas facile à tenir mais là s’ajoute une autre difficulté qui tient à l’argument de la pièce : une femme a laissé tomber dans la rue un papier de bonbon ; elle est repérée par une caméra, présentée devant un juge et condamnée à l’humiliation publique ; révoltée par ce qu’elle considère comme une injustice, de rage elle se transforme en ourse. Ce qui pose deux problèmes. D’abord, la pièce pourrait laisser croire que souiller la voie publique n’est pas si grave et qu’il faut laisser les pollueurs en paix. Ensuite, la réaction de la femme paraît excessive, l’auteur aurait pu imaginer une « injustice » bien plus traumatisante que celle-ci. Ce d’autant que la comédienne qui interprète le rôle principal est une grande et belle femme qui ne dégage a priori aucune fragilité.
Le décor, un plateau qui s’ouvre pour faire apparaître une sorte de plate bande avec quelques plantes, censée représenter la forêt où se cache la femme-ours : les comédiens qui doivent marcher dessus avancent hésitants, de peur d’abîmer les plantes artificielles. Une belle image à la fin, cependant, la scène du massacre de la femme-ours où la foule haineuse est représentée par une dizaine de lampadaires.
Faute de pouvoir accorder beaucoup de crédit à la révolte qui s’exprime sur le plateau, on s’intéresse surtout à deux personnages secondaires bien campés, le vieux sage qui tire la morale de l’histoire et celui de la comédienne incarnant la foule hostile et humiliante.
Crédit photos : Christophe Péan.