Revenons à l’Académie française… L’élection a lieu le 11 juin 1931. C’est une élection rapide : 18 voix au deuxième tour. Le fauteuil occupé par Georges de Porto-Riche est le fauteuil numéro 6, qui fut aussi celui de Chamfort, « de ce Chamfort, rappellera plus tard Pierre Benoit, qui connut lui aussi la souricière et le panier à salade, et qui pour se soustraire à l’abjecte parade, à l’abjecte exécution en place publique, préféra s’ouvrir les veines dans son cachot. »
Pierre Benoit apprend son élection dans l’appartement de la rue d’Assas où il attendait sagement la proclamation des résultats, en compagnie de sa mère et de ses deux sœurs. Fuyant les journalistes qui sont déjà annoncés, il quitte l’appartement, descend l’escalier, et monte dans la voiture de Francis de Croisset qui l’emmène fêter l’événement, dans un restaurant, en compagnie de ses amis de toujours : Francis Carco, Claude Farrère et Pierre Mac Orlan. A deux heures du matin, il n’est toujours pas rentré chez lui. Lors de ce dîner il confie à ses amis qu’il va partir à Saint-Céré, se réfugier à l’hôtel de Mme Prunet pour y terminer son roman en cours : Notre-Dame de Tortose…
Comment réagit la presse ? Elle est unanime, glorifie le nouvel élu – « L’académicien le plus lu, lu par tous et goûté par tous » titre Le Matin – mais ne peut s’empêcher d’ironiser. « L’Académie, taxée de sénilité et de tristesse, a élu un homme jeune et joyeux, auquel, demandant un jour d’écrire un livre sur l’automobile, il répondit que n’ayant jamais tenu un volant, il était l’homme de la situation. Peut-être n’est-il, de même, entré à l’Académie que pour s’être montré dans la vie, sinon dans son œuvre, le moins académique des écrivains », écrit Noël Sabord dans L’Intransigeant. Vlan, dans sa rubrique « Le coup de patte », persifle : « Pierre Benoit est un homme heureux. Le voici qui, du premier coup, enfonce la porte de l’Académie française. (…) Mais pour être académicien, il ne suffit pas d’avoir du talent : le talent est même souvent un empêchement dirimant. » Quant à L’Eclair, il rappelle qu’avec Pierre Benoit on ne sait jamais vraiment à quoi s’en tenir : « Pierre Benoit, à l’Académie !… Il semble qu’on n’y ait pas cru jusqu’à ce jour… » André Rousseaux, dans Paris-Soir, note : « Il faut seulement prendre garde que la vérité, chez Pierre Benoit, revêt le plus souvent la tunique chatoyante et déconcertante de l’ironie. C’est pourquoi certaines gens lui en veulent de ne l’avoir pas compris. Son esprit est à l’image de la vie : on ne sait parfois s’il faut rire de ce qu’il nous propose, ou bien le prendre au sérieux. » André Germain, dans La bourgeoisie qui brûle, résume le sentiment éprouvé par de nombreux observateurs : « En régularisant sa liaison avec lui, la vieille dame du quai Malaquais, dont les autres maris avaient généralement de soixante-dix à quatre-vingt-dix ans, crut épouser un bébé. Les généraux fatigués, les branlants évêques, les amiraux cacochymes et les littérateurs retournés à l’enfance qui, selon les cruelles descriptions de Claudel, forment le personnel du palais Mazarin se sentirent, soudain, tout ravigotés. »
Du côté des amis, les félicitations pleuvent. Personne ne manque l’appel, à commencer par d’illustres inconnus, comme un certain commandant Lespinasse, ancien du « brave 218e » : « Je revis, en écrivant ces lignes, les heures tragiques que nous avons vécues là-bas, près de Craonne et du Chemin des Dames ; je me remémore nos conversations dans le triste ‘gourbit’ où nous attendions – sans trop d’angoisse, n’est-ce pas ! – l’obus qui, trop souvent, venait troubler nos conversations. » « Bravo ! Bravo ! Bravo ! » lui écrit de sa grosse écriture ronde Tristan Derème. « Enfin, vous avez une adresse, et quelle, Bon Dieu », ironise affectueusement Léo Larguier. « Amicales félicitations de vos camarades versaillais », lui télégraphient Simone et André Maurois. Quant à Jean Paulhan, il calligraphie sagement sur ses petites feuilles jaunes pliées : « Mon cher ami, le choix de l’Académie me paraît tout à fait sage. Je songe à vous avec amitié. » De Valéry à Hébertot, de Bernstein à Richepin, de Jouvet à Edouard Herriot, en passant par André Maginot – ministre de la Guerre – et Philippe de Rothschild, la liste est interminable. La missive la plus drôle, ce qui n’étonnera personne, c’est l’ami Marcel Pagnol qui la lui envoie : « Mon cher Pierre, ça, c’est tout de même épatant, et ça fait plaisir bougrement. Je vous félicite, mon cher ami, d’avoir pu obtenir ce qui vous était dû. Plusieurs doivent râler, ce qui complète votre succès. Je vous envoie toute mon affectueuse admiration. »
Pour fêter l’événement, Pierre Benoit décide de réunir ses amis à Saint-Céré, le 27 septembre.
A suivre…