Les seniors conservent habituellement le souvenir d’un Corneille qui campe des héros trop grands pour notre époque et, de ce fait, quelque peu rébarbatifs. Quant aux jeunes illettrés (à prendre au sens de ceux qui n’ont pas « des lettres ») d’aujourd’hui, qui ont eu affaire tout au plus à quelques scènes du Cid, ils n’en ont probablement aucun souvenir. Les uns et les autres auront tout à gagner à se précipiter au Théâtre de Poche Montparnasse où le Le Menteur fait salle comble. Ils y découvriront un Corneille au verbe étincelant et plein d’humour, adapté et mis en scène par Marion Bierry et joué par une pléiade d’acteurs au diapason avec, dans le rôle titre, un Alexandre Bierry survolté.
Avec le Menteur, Corneille revient à la comédie de ses vertes années « pour contenter les souhaits de beaucoup qui, suivant les humeurs des Français, aiment les changements et […] m’ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir ». Dans cette même préface, Corneille indique qu’il s’est étroitement inspiré d’une pièce en espagnol, La Verdad sospechosa qu’il attribue par erreur à Lope de Vega (en réalité Alarcon) : « Ce n’est ici, écrit-il modestement, qu’une copie d’un excellent original ». On ne connaît pas l’original mais la copie, à coup sûr, est excellente ! Elle est, ceci dit, moins cruelle puisque dans l’original Dorante, le menteur, se voit contraint d’épouser une femme qu’il n’aime point.
Dorante ment comme il respire. Alors qu’il vient d’arriver à Paris, ayant délaissé à Poitiers des études de droit qui ne lui seyaient point, il se présente à la belle Clarice à peine rencontrée comme un soldat paré des plus grandes vertus militaires.
Clarice : « Quoi ! vous avez donc vu l’Allemagne et la guerre ? »
Dorante : « Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre. »
Se prétendant amoureux depuis « l’autre hiver », il termine ainsi sa déclaration :
« Vaincre dans les combats, commander dans l’armée,
De mille exploits fameux enfler ma renommée,
Et tous ces nobles soins qui m’avaient su ravir,
Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir. »
Le reste est à l’avenant, Dorante multiplie les vantardises, s’invente un mariage secret pour échapper à celui que son père a prévu pour lui, s’enferre dans le mensonge, s’en délivre par un autre mensonge, se laisse finalement prendre à un banal qui pro quo. Plus que les situations, proches de la farce, c’est le verbe de Corneille qui séduit, bellement servi par le jeu des acteurs, à commencer, on l’a dit, par celui d’Alexandre Bierry qui en fait des tonnes sans que cela pèse pour autant.
Marion Bierry n’en est pas à son premier Corneille, ayant déjà fait jouer Horace, La Veuve, L’Illusion comique. Grâce lui soit rendue de faire revivre un auteur dont la gloire demeure éclipsée par Racine. Modernité oblige, elle a souhaité adapter Le Menteur , avec, par exemple, l’adjonction au début et à la fin de quelques morceaux de La Suite du Menteur (1), emprunts justifiés en l’occurrence puisque Corneille y fait référence à la pièce initiale.
Dorante : « Les vers en sont-ils bons, fait-on cas de l’auteur ? »
Cliton : « La pièce a réussi quoique faible de style ;
Et d’un nouveau proverbe elle enrichit la ville ;
De sorte qu’aujourd’hui, presque en tous les quartiers,
On dit, quand quelqu’un ment, qu’il revient de Poitiers. »
En dehors d’Alexandre Bierry, on a particulièrement apprécié le jeu du comédien qui interprétait le valet Cliton, sans savoir s’il faut nommer Benjamin Boyer ou Thierry Laval, les deux faisant partie de la distribution, et Brice Hillairet dans le rôle de l’ami, Alcippe. Ainsi que le décor de Nicolas Sire.
Le Menteur de Pierre Corneille au Théâtre de Poche Montparnasse depuis le 1er septembre 2022.
(1) Quoique La Suite du Menteur soit tombée dans l’oubli, on en a retenu une tirade sur le coup de foudre : « On s’estime, on se cherche, on s’aime en un moment », etc.