Francis Huster a Molière pour passion. N’a-t-il pas publié quatre ouvrages entièrement consacrés à son idole, dont, récemment, un Dictionnaire amoureux ? Il tourne par ailleurs avec un spectacle à intention pédagogique, Molière étant victime, selon lui, de trop de contre-vérités ou d’approximations qu’il importe de redresser. Si nul ne conteste que la vie de Molière demeure à bien des égards mystérieuse, tenter de rétablir la vérité est pour cette raison un exercice délicat. Nulle hésitation, pas le moindre doute, pourtant, dans l’exposé de F. Huster.
Se présenter, ainsi qu’il le fait, comme seul détenteur de la vérité, prendre à partie sans arrêt le public, lui asséner qu’il n’a appris que des fariboles et que les enseignants racontent donc n’importe quoi, pourrait passer à l’extrême rigueur si ses conclusions s’appuyaient sur des démonstrations, ce qui est loin d’être le cas. Comment affirmer sans aucune réserve, par exemple, que Molière est mort empoisonné à l’arsenic ou que sa tombe au Père Lachaise est vide, son cadavre ayant été jeté aux chiens ? Car si ce scénario a bien circulé, c’est sans la moindre preuve.
D’autres explications présentées comme des évidences sont fortement sujettes à caution. Ainsi, les tapissiers du roi (une charge détenue par le père de Jean-Baptiste puis, temporairement, par lui-même) étaient-ils vraiment chargés de meubler des logements où le roi en déplacement aurait été susceptible de s’arrêter, mais qui n’étaient en réalité pas sur son trajet, et ceci dans le seul but de tromper d’éventuels assassins ? J’ai beau chercher dans la documentation existante, je ne trouve rien de tel.
Par contre, il est vrai que le tapissier de service (trois mois par an) faisait partie de la nombreuse suite assistant au lever du roi et que, placé au pied du lit, il aidait ensuite les deux valets placés de chaque côté à refaire le lit royal. Vrai aussi qu’il était chargé de décorer les logis du roi en déplacement, à une époque où les grands voyageaient effectivement avec leurs meubles, tapisseries et autres (1).
Si F. Huster en dit souvent trop, il nous laisse aussi parfois sur sa faim. Par exemple, l’explication annoncée du mot « personnage » tourne court. C’est dommage car « personnage » vient – bien sûr – de « personne », soit du latin « persona » : « per », à travers + « sonum », le son. « Persona » signifiait ainsi le masque des acteurs, un sens oublié lorsque le mot « personne » s’introduisit dans la langue française au XIIIe siècle mais qui reviendra au théâtre, quelque peu modifié, avec « personnage ».
Ces quelques remarques n’empêchent pas de saluer la performance de l’auteur-comédien qui, à soixante-quinze ans, tient son public en haleine pendant deux bonnes heures. Et sans aucun artifice, en dehors d’un micro pour une fois si bien réglé qu’on ne le remarque pas : aucun accompagnement musical ni de lumière, la salle restant éclairée de bout en bout. Alors, même si son Molière a peu de chances d’être tout à fait le vrai, on ne peut que le lui pardonner.
Molière de et avec Francis Huster, en tournée au Théâtre municipal de Fort-de-France du 9 au 12 septembre 2022.
(1) Xavier Bonnet, Les tapissiers ordinaires du roi (1766-1789) https://www.persee.fr/doc/versa_1285-8412_2017_num_20_1_1166