Episode 111
Coup de tabac
Aujourd’hui , la tempête. Cela faisait un bon bout de temps qu’on s’étiolait dans les calmes et les ciels repeints en bleu. les élans à marée basse. Enfin, le vent en bourrasque, les vagues enragées qui montent à l’assaut du sable et des rochers. Le souffle du diable dans les feuillages. Les mouettes ont déserté les pistes d’envol. On s’est replié dans l’arrière-salle du bar de la plage, un feu de bois tente d’en chasser l’humidité. Toujours les mêmes photos sur les boiseries : les bateaux de l’America’s Cup, époque 12M JI, un poster de Leonard Cohen en noir et blanc, l’affiche du film “Et Dieu créa la femme”, un tirage de la célèbre photo d’Helmut Newton : dans la nuit de Paris, une ruelle vide, dans la lumière des réverbères, une fille en smoking d’homme, les cheveux tirés en arrière, provoque l’objectif ou le photographe ” Et alors ? Vous avez peur que je me perde ? Ou que je me fasse enlever ? Allons, vous voyez bien que je suis une grande fille, je n’ai plus peur des fantômes… Depuis quand ? Depuis que je fais partie de leur bande… Gardez donc ma photo en souvenir…” Un journal traîne sur une banquette : l’actualité. Comment est-elle arrivée là ? comme un passager clandestin… Dans une typo grasse, un peu partout des hommes s’entretuent. Et puis des gens qu’on aime et qui meure : la chronologie est désossée. Le rock’n’roll aussi était mortel, on aurait dû s’en douter. On se croyait immunisé ; pas de bol : le destin ne se laisse pas feinter si facilement… Line entre , les cheveux tout mouillés, son ciré dégouline ; petite soeur de Gérard de Nerval, elle cite ” Mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie”. Elle réécrit un peu les paroles : le luth devient guitare.
La météo s’alerte, Jules appelle Chateaubriand à la rescousse : “Levez-vous vite, ô orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie.” A la radio du bar : c’est Johnny qui répond…toute la musique que l’on aime… Elle vient de là, elle vient du blues…
– Georges, t’aurais pas quelque chose de plus fort que le martini ?
Dehors, la tempête charrie des larmes. On dira que c’est de la pluie…
Episode 112
Pas d’inquiétude, rien n’est sous contrôle
Le temps se tenait à sa place, simple toile de fond aux humeurs et aux envies des humains présents. Ils avaient suffisamment à faire avec leur propre condition sans devoir se mêler de celle de la planète et de ses dérives cosmiques. Imaginez, un beau jour, les volcans d’Auvergne qui se réveillent, ou une marée d’équinoxe un peu forte démontant le mont Saint Michel, sans compter quelques agitations magnétiques équatoriales mélangeant un peu les positions respectives du pôle Nord et du pôle Sud ; satellites, boussoles et GPS en déroute, le lac Léman à sec, les trésors planqués révélés au commun des mortels, une récolte miraculeuse de fraises des bois au beau milieu du Groenland…. D’accord, il n’y a pas là de quoi déranger le regard brouillé de Line, signe d’un grand amour naissant ou d’un petit amour finissant. Les filles aux yeux gris-vert un peu tristes sont énigmatiques. On peut seulement pressentir l’infime probabilité d’un bouleversement sentimental de grande amplitude sans pour autant en deviner la nature et la cause. Les filles comme Line abrite des océans de mystères à provoquer une épidémie de dépressions chez les horoscopistes et les cartomanciennes débutantes. Ce matin,le cosmos et Line étaient très incertains. Cela laissait de la place au reste de la journée.
Episode 113
Paul McCartney m’a dit
Vent insignifiant. Mer ondulée.le soleil éclairait le sable comme une rangée de projecteurs illuminent la scène quelques instants avant que les musiciens ne fassent leur entrée. Lumière ! Si Madame, Monsieur, je plante ce décor, prends le micro et monte le volume des amplis, c’est pour vous annoncer ainsi qu’aureste du monde qu’un numéro collector du magazine Rolling Stone est disponible : 100 pages entièrement consacrées à la vie et à la musique de Paul McCartney. A vous de voir si votre marchand de journaux au coin de la rue est un gars à la hauteur ou si son commerce est dévoyé à la seule distribution de ragots et de pronostics hippiques de courses truquées. Evidemment, la tentation est grande d’en recopier de larges extraits comme le font les critiques paresseux dans les magazines hautains et savants. Ici, le sujet est trop sensible pour céder à ces mauvaises manières. Macca – diminutif affectueux de Paul McCartney – est le gars qui a écrit la chanson “Hey Jude” qui a bien failli s’appeler “Hey Jules “. Dans la voiture en allant voir Cynthia Lennon, il fredonnait un bout de chanson qui faisait “Hey, Jules” en pensant au fils de Cynthia et de John, Julian, un gamin qu’il aimait bien et à qui il voulait faire plaisir en lui écrivant une chanson… Et puis, il se dit que “Hey, Jude” conviendrait mieux : ça sonnait carrément plus country. Macca composa donc “Hey Jude” et un autre jour “Ibony Ivory”. et rien que pour ça, Sir Paul McCartney mérite bien la reconnaissance de la Couronne britannique et des peuples du Commonwealth. Leslie prétend qu’elle connaît toutes ces histoires par coeur et que, si elle était née à Liverpool au bon moment, Paul l’aurait sans doute épousée pour son deuxième ou troisième mariage. Leslie charrie un peu parfois. Le titre préféré de Line est ” Silly Love Songs”. Louise de V est sceptique. L’après-midi était déjà presque épuisée, Georges préparait les dry-martini du soir.
Ah oui… A la fin d’un long interview, Paul dit : “Soit cool , et tout ira bien. Ainsi en va-t-il dans la religion du rock’nroll” (Ce n’est pas Kant qui aurait inventé un truc comme ça)/