Scènes

Avignon 2021-5 : August Strindberg, Oscar Wilde (OFF)

Mademoiselle Julie

Même si Stindberg n’est pas aussi connu en France qu’en Suède, Mademoiselle Julie est chérie de nos comédiens, la pièce commençant par une scène au cours de laquelle Mademoiselle Julie, la fille du château doit donner le maximum pour séduire Jean, le valet à la fois tenté et réticent car, plus mûr, il est capable de mesurer les risques d’une telle liaison. Il finira par céder et la deuxième partie montre le désarroi des deux protagonistes mis en face des conséquences de leur acte. Jean essaiera bien de tourner la situation à son avantage mais… Il faut également compter avec le troisième personnage, Christine, la cuisinière de la maison et maîtresse-fiancée de Jean.

A l’instar des comédiens, les spectateurs ne se lassent pas de revisiter cette pièce… au risque de la saturation. D’autant que toutes les interprétations ne se valent pas. Rien à dire contre celle-ci, mise en scène par Christophe Lidon, au contraire. On avouera même que l’on n’avait jamais vu jusqu’ici une Julie aussi éblouissante que Sarah Biasini dans la scène de séduction. Elle est à proprement parler extraordinaire. Nous apprenons qu’elle a été nominée en 2008 aux Molières en tant que révélation féminine. En 2021, treize ans plus tard, elle a gardé une apparence juvénile et un comportement primesautier, ses moues, ses mimiques, ses déplacements sont ceux d’une jeune fille qui a décidé coûte que coûte de s’amuser. A-t-elle vraiment conscience de jouer un jeu dangereux ? Se rend-elle compte de sa sensualité, de son indécence ? Elle semble si spontanée, si jeune enfin, que nous l’absolvons volontiers, même si, spectateurs avertis, nous connaissons la fin.

Face à une telle Julie, il faut un Paul à la hauteur. Yannis Baraban est l’homme de la situation. Il montre bien les hésitations de qui veut et ne veut pas céder aux avances de la jeune fille. Il a également cette assurance propre aux hommes conscients de l’attraction qu’ils exercent sur les femmes. Bref, sans être aussi exceptionnel que S. Biasini, il est l’homme de la circonstance. Enfin, il serait dommage de ne pas citer Deborah Grall qui porte vaillamment le rôle ingrat de Christine.

Bien que la deuxième partie conduise à modérer quelque peu ces éloges, ceci est moins lié aux acteurs qu’à la pièce elle-même. Alors que les tergiversations des deux protagonistes passionnent dans la scène de séduction, elles agacent un peu dans la suite. Il y a – c’est mon point de vue – trop d’écart entre les personnalités… des personnages entre les deux parties. Strindberg a-t-il voulu pousser la démonstration trop loin ? Quoi qu’il en soit, il paraît abusif, selon nous, de ranger cette pièce dans le théâtre dit « naturaliste », comme cela est fait habituellement. Quant à la conclusion, elle est si mélodramatique qu’il faut faire un effort, aujourd’hui, pour admettre qu’elle ait pu paraître réaliste à la fin du XIXe siècle (1888).

 

August Stindberg, Mademoiselle Julie. M.e.s. Christophe Lindon. Avec Sarah Biasini, Yannis Barabaran, Deborah Grall.

 

Le Portrait de Dorian Gray

1888 Mademoiselle Julie, 1890 Le Portrait de Dorian Gray. Les deux textes portent la même vision d’une décadence des mœurs qui surprend aujourd’hui, car cette époque fut celle où, grâce au progrès des techniques, la population laborieuse commença à sortir de la misère effroyable qui avait marqué le début de la révolution industrielle ; elle est encore, sur le plan artistique, celle du triomphe de l’impressionnisme. Cela étant, on ne niera pas que les personnages principaux des deux textes soient des exemples patents d’immoralisme. Dans Dorian Gray, en particulier, Wilde s’est amusé à introduire un personnage proprement diabolique, Lord Henry, qui entraînera Dorian Gray à sa perte. Ses aphorismes ont une telle séduction qu’il n’est pas abusif de craindre qu’ils puissent encore avoir une influence délétère sur la jeunesse. Car si Le Portrait de Dorian Gray a fait scandale en son temps, comme Mademoiselle Julie, contrairement à la pièce de Strindberg il n’a rien perdu de son odeur de soufre. Le cynisme de Lord Henry a ceci de pernicieux, en effet, qu’il s’appuie sur un discours non seulement brillant mais qui a toutes les apparences du bon sens.

Dorian Gray a demandé comme une grâce de rester éternellement jeune et que le tableau qu’a peint de lui son ami Basil vieillisse à sa place :

« Si c’était moi qui toujours devais rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir !… Pour cela, pour cela je donnerais tout !… Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais… Mon âme, même ! »

Grâce accordée. Les choses auraient pu en rester là si Dorian Gray n’avait pas entrepris de vivre suivant les principes de Lord Henry, d’où une série de drames affreux et une fin tragique.

Pour interpréter ce texte au théâtre ou au cinéma, il faut être capable de restituer les comportements, l’attitude des aristocrates britanniques les plus raffinés et les plus snobs de l’époque victorienne. Autant dire que cela représente pour les jeunes comédiens français du début du XXIe siècle un défi difficile à relever. Or si Jean-Baptiste Siew (dit Imago des Framboisiers), le directeur – metteur en scène de la troupe Les Framboisiers paraît assez crédible en Lord Henry, ses deux partenaires convainquent plus difficilement.

 

Le Portrait de Dorian Gray d’après Oscar Wilde. Adaptation, m.e.s. Imago des Framboisiers. Avec Imago des Framboisiers, Charlotte Peltier, Antoine Trevoux, Tom Bouchardon.