Conditions de l’écriture.
J’aimerais, si vous me le permettez, évoquer rapidement deux petites anecdotes. Je suis, comme vous le savez peut-être, depuis bientôt un mois en résidence d’écriture à Limoges au Festival des francophonies et souvent, quand je rencontre des français, il y a une question qui revient et qui est la suivante : dis-moi, est-ce que tu vis de ton art ? et là bien malheureusement je suis contraint de répondre non, de leur dire que je suis bien obligé de consacrer mon temps à cette chose franchement détestable nommée travail. A Maurice, par contre, quand on apprend que j’écris on me pose une question différente, on me demande ki travay to faire ? , ce qui signifie quel est ton métier ?.
Je crois qu’il faut éviter les caricatures : il n’y a pas un Français type ni un Mauricien type, on a à faire à des réalités complexes, mais ces anecdotes sont tout de même assez significatives; elles démontrent qu’en France l’activité littéraire est légitime, qu’il y a même un certain prestige à s’affirmer auteur alors qu’à Maurice le travail littéraire ne dispose de peu ou de pas de légitimité, on le considère superflu ou inutile. Il est important, à mon avis, de comprendre, que la société mauricienne est foncièrement utilitaire, le mauricien est un pragmatique dont le souci principal est la réussite sociale et économique. S’il en est ainsi, il me semble, c’est parce que pendant longtemps le pays a été très pauvre et que donc les mauriciens se sont surtout acharnés à survivre. Ainsi l’Indo-Mauricien préserve la mémoire de ses origines, c’est après tout un immigré qui a fui la pauvreté et qui a été pendant longtemps exploité et même dans le cas où il est épris d’éducation je crois qu’il lui est difficile de comprendre le travail de l’artiste, de l’écrivain, qui n’a rien d’utile, qui ne lui permet pas de gagner sa vie.
La vie de l’auteur mauricien est rendue d’autant plus compliquée que le lectorat est quasiment inexistant; Brigitte Masson, une sociologue mauricienne, estime qu’il y a moins de 300 lecteurs potentiels pour un roman mauricien, ce qui est dérisoire quand on sait qu’on a une population de plus d’un million deux cent mille habitants. Par ailleurs, une étude réalisée en 2006, toujours par Brigitte Masson, intitulée Les pratiques de lecture à Maurice , révèle que plus de 70 % des mauriciens ne lisent pas. Les maisons d’éditions publient essentiellement des manuels scolaires et les tentatives de créer des maisons d’édition à vocation littéraire se sont toutes soldées par des échecs. Il faut ajouter qu’on ne peut compter sur le Ministre de la Culture, qui ne pratique pas une politique cohérente de soutien aux artistes, et qu’au fond l’état ne se soucie guère des écrivains parce qu’il n’arrive pas à les embrigader et aussi parce qu’il sait bien que la littérature, dans un lieu d’indifférence ne peut guère être subversive. Il faut aussi noter l’absence d’une “vie littéraire” à Maurice, de lieux de rencontres, d’association d’auteurs. Dans l’ensemble, on a le sentiment d’une grande dispersion, de la présence de nombreuses énergies, mais qui s’exercent dans la solitude.
Il y a un autre aspect qu’il est important à mon avis d’évoquer aussi, celui de la langue. En effet, si le mauricien parle plusieurs langues, il n’en maîtrise parfois aucune suffisamment pour en faire sa langue d’expression; il parle le créole couramment mais souvent, estimant encore que ce n’est pas tout à fait une langue, il choisit d’écrire en anglais ou en français mais n’y arrive pas parce que ce sont des langues qu’il a du mal à dominer. Comment parvenir, vous vous le demandez peut-être, dans de telles circonstances à écrire ? Je crois que nos auteurs sont avant tout des passionnés, des êtres possédés par le goût des mots, qui éprouvent un besoin viscéral d’écrire. Dans mon cas personnel, je ramène ça à l’influence d’une mère qui m’a toujours encouragé à lire, de même qu’à une grande timidité qui m’a incité à me réfugier dans les mots et ,surtout, depuis toujours, à une fascination pour les livres et à ce désir parfois de passer de l’autre côte, de se mettre à écrire, sans trop y croire. Ecrire, pour moi, c’est être hanté par des émotions vives et contradictoires ainsi que par le besoin de les transposer sur la page pour, peut-être, découvrir un beau jour que cela ne déplaît pas aux autres, que cela parvient à susciter du désir chez l’autre.
Donc, s’efforcer toujours d’écrire sans doute imparfaitement mais écrire parce qu’on ne peut faire autrement; parce que c’est ultimement un enjeu de vie et de sens.
On dira pour conclure qu’il n’est guère simple d’écrire à Maurice, que nos auteurs s’y trouvent confrontés à de nombreux obstacles, tels indifférence, manque de soutien. Ceci posé, cela n’empêche en rien que les mauriciens écrivent et qu’ils parviennent à se faire publier; la littérature trouve petit à petit sa place au soleil, qui n’est pas toujours celui des tropiques, phénomène dû, je pense, à la détermination, à l’abnégation de nos auteurs.
On parle souvent du miracle économique mauricien mais il y a aussi un miracle littéraire, chaque livre publié à Maurice est un miracle, un véritable miracle. Ainsi l’écrivain mauricien est -t-il, pourrait-t-on dire, semblable à The Invisible Man, l’homme invisible de l’auteur afro-américain Ralph Ellison, qui parle de la conditions du Noir aux Etats-Unis : quelqu’un qui existe mais qu’on ne voit pas, qui demeure invisible aux yeux de ses concitoyens tout en étant, paradoxalement, essentiel. Mais cela, le mauricien ne le sait pas encore, on se demande même s’il le saura un jour…
Maintenant on va aborder une nouvelle question, qui est la suivante : le dynamisme littéraire à Maurice, leurre ou lueur ?, et, là , je reprends le titre d’un article, publié par un ami de l’Île Maurice, Christophe Cassiau, sur le site Africultures.com, article par ailleurs fort intéressant.
Donc dynamisme littéraire à Maurice, leurre ou lueur ?
Lueur quand on sait que de plus en plus de mauriciens, notamment, ceux qui écrivent en français, se font éditer chez de grands éditeurs en France, par exemple, Ananda Devi, Amal Sewtohul ou encore Natacha Appanah chez Gallimard, Barlen Pyamootoo, Shenaz Patel ou Carl de Souza chez l’Olivier.
Lueur aussi parce que nos auteurs sont souvent primés, ainsi Ananda Devi a eu le prix des Cinq Continents de la Francophonie en 2006, Natacha Appanah, le prix Fnac 2007 pour son quatrième roman, Le dernier frère, Shenaz Patel, Prix Soroptimist de la Romancière francophone pour Le Silence des Chagos ou encore le poète Édouard Maunick, grand prix de l’Académie française en 2003.
Lueur aussi parce que les textes publiés sont souvent de très grande qualité, ainsi Amal Sewtohul, auteur de Histoire d’Ashok, parvient dans un savant mélange de créole et de français, à évoquer avec force les contradictions de notre identité insulaire, Ananda Devi, dans une langue magnifique, explore la psyché de la mauricienne et nous incite au rêve d’une Île Maurice autre, plus humaine, plus juste tandis que Shenaz Patel dans un roman sobre et puissant, Le Silence des Chagos, raconte l’exil des Chagossiens, peuple dépossédé de ses terres.
Lueur parce que contre vents et marées, des auteurs s’organisent et publient des revues, notamment, la revue de poésie Point Barre, qui en est à son dixième numéro et qui a publié des auteurs de tous les horizons, d’Inde, d’Haïti, du Liban et même de Chine, ou encore l’Atelier d’Ecriture, revue animée par l’écrivain Barlen Pyamootoo, qui publie des nouvelles, de la poésie ou des extraits de roman, Barlen qui par ailleurs a mis sur pied à l’IFM ( I’Institut Français de Maurice), un atelier d’écriture qui réunit tous les samedis des écrivains en herbe, une démarche, qui j’en suis certain, permettra l’émergence de nouveaux talents.
Lueur aussi parce que des liens solides ont été noués avec des éditeurs en France et aussi ailleurs, liens qui serviront à faire connaître d’autres écrivains et aussi parce qu’avec l’internet on a les moyens d’établir rapidement des contacts, ainsi de nombreux poètes mauriciens se font publier dans des revues étrangères et aussi sur d’excellents sites francophones tels que africultures.com ou mondesfrancophones.com. Lueur aussi car paradoxalement notre avenir est tributaire de notre développement économique. L’ile Maurice est loin d’être un pays riche, il faut le souligner, mais elle a fait un bond en avant de géant en seulement quelques décennies, de sorte que l’ on peut envisager l’avenir avec une certaine sérénité. Je pense que prospérité signifie aussi émergence d’une solide classe moyenne qui aura le temps et les moyens de se consacrer à la chose culturelle.
Lueur aussi, du moins pour ce qui est des auteurs qui écrivent en français, car on peut compter sur le soutien de la France; ainsi, pour citer des exemples, l’Ambassade de France, en collaboration avec une association France-Maurice, permet-elle à plusieurs auteurs de se rendre tous les ans au Salon du Livre de Paris, tandis que l’IFM est incontestablement une oasis dans le désert culturel mauricien.
Lueur aussi parce qu’on peut malgré tout, envers et contre tout, compter sur le soutien de la presse locale qui accorde une belle couverture aux publications mauriciennes; ainsi, par exemple, des journaux à grande diffusion comme l’Express ou encore Week-End publient-ils des pages spécialement consacrées à la culture.
Lueur finalement parce que, je le pense, il y a une part d’indéfini à notre identité, une identité mêlée, faite de fragments qui viennent de tous les lieux, identité insulaire, identité impossible, identité qui est propice à la création littéraire, identité qui suscite l’urgence d’écrire.
Mais leurre parce qu’il faut parler de la souffrance et de la solitude de l’écrivain mauricien, cet incompris, que personne ou presque ne prend au sérieux. L’écrivain mauricien n’est pas, à mon sens, un narcissique en quête de vivats, d’applaudissements; c’est bien plutôt quelqu’un qui désire une reconnaissance légitime, reconnaissance qui relève essentiellement pour le moment, de l’utopie.
Leurre, parce que comme je viens de l’expliquer les mauriciens ne lisent pas ou peu, moins de 300 lecteurs pour un roman mauricien, un recueil de poésie se vendant, lui, dans le meilleur des cas à vingt exemplaires et un best-seller à seulement trente .
Leurre parce que nos maisons d’éditions ne s’intéressent guère à la chose littéraire.
Leurre parce que nous sommes les prisonniers de notre insularité, l’ile Maurice étant une île perdue au beau milieu de l’océan indien, nous demeurerons pour toujours à la périphérie des grands courants culturels. Leurre parce qu’on ne pourra pas compter sur le soutien de nos politiques, bien trop épris d’abord de leurs jeux pour l’acquisition du pouvoir. Relevons ici, à titre d’exemple, un fait extraordinaire : en 2010 nous n’avons toujours pas de Bibliothèque Nationale digne de ce nom ! Notre Bibliothèque Nationale est logée dans un bâtiment commercial .
Leurre parce que la littérature n’est pas dans l’air du temps, parce que les mauriciens sont empêtrés dans la société de l’hyper-consommation, parce que des hypermarchés, centres commerciaux poussent comme des champignons vénéneux, alors que les librairies ferment leurs portes. Le mauricien qui a de l’argent préfère débourser une coquette somme pour écouter un guru self-help débiter des âneries sur la pensée positive au lieu d’acheter un livre qui suscitera l’éveil de son esprit !
Lueur ou leurre, donc, je ne sais trop, c’est l’avenir qui le dira.
On dit de l’ile Maurice, quand on tente de la situer dans l’économie mondiale, qu’elle est un tigre comparée aux pays africains mais un chaton quand on la compare aux pays asiatiques, notamment Singapour.Je suis d’avis qu’il en est de même pour la littérature et qu’il faut se demander à bon droit si le chaton littéraire mauricien parviendra, un jour, à devenir un tigre. Est-ce que notre beau miaou, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, se transformera en un rugissement ?
L’avenir le dira, je le répète.