Voici l’introduction du prochain livre de Lucien-Samir Oulahbib, Nature et politique, aux éditions l’Harmattan.
L’appât du gain, du toujours plus, (jusqu’à « l’irrationnelle exubérance des marchés financiers »…), la cruauté, le goût du pouvoir, l’inégalité, l’injustice, le surtravail, l’aliénation, le conflit, mais aussi l’envie d’aller au bout de ses désirs, la joie de réaliser ses projets, la soif de beau, de transcendance, de connaissance, de justice, de liberté, bref, ce que les Anciens nommaient les passions humaines, avec leurs excès et leurs défauts, (la vertu étant leur mesure disait Aristote), ont-elles comme origine le « groupe » comme le pense Rousseau ? Ou alors la « propriété privée » exacerbée par le « capitalisme » et la culture « bourgeoise » comme le croyait Marx ? Ou encore, et ce aujourd’hui même, est-ce que leur avidité actuelle s’avérerait être la marque, indéniable, de la « domination mondiale du néolibéralisme » comme pense l’observer cette brillante essayiste, Naomi Klein, en articulant « désastres » de toute nature, écologiques et guerres au Moyen Orient ? (1)
Ce serait si simple : il suffirait de supprimer ces causes et leurs dysfonctionnements (qui peuvent toujours trouver des exemples éloquents), mais ce comme des sortes de défauts anciens d’un monde souillé alors que ce dernier a été posé dans l’Idée comme pouvant être pur et parfait, « multipolaire » c’est beau, grand, cela fait tolérant, ouvert ; du moins si son mal, celui qui refuse donc la tolérance et la différence, était extirpé définitivement disent (toujours)(2) certains, à savoir, vous l’aurez deviné, l’Occident libéral et bourgeois (ploutocratique énonçait Charles Maurras) ; déjà en exigeant de lui qu’il se repente ; puis qu’il « négocie » : jusqu’où ? Jusqu’à sommer les Italiens quelques compensations de la conquête de la Gaule ? Jusqu’à changer de culture, jeter dans les poubelles de l’Histoire les droits humains, en particulier ceux de la femme, dissoudre les acquis des luttes émancipatrices, et n’accepter que les cultures autres qui, elles, auraient, en plus, seules le droit de refuser de changer, s’affiner, (puisque l’émancipation ne suffit pas en réalité…) ? Nul ne le sait encore. Ainsi, l’on passerait d’un extrême à l’autre, de l’universalisme uniformisant au relativisme absolutiste en ce sens qu’il serait interdit de critiquer le discours de l’autre, sous prétexte de respect de la différence, alors que l’on confond ce faisant tolérance et indifférence : tolérer par exemple le créationnisme ou l’intelligence design est une chose, considérer qu’ils ne sont pas critiquables en est une autre. Idem pour l’inverse : interdire d’enseigner le darwinisme, y compris dans les écoles religieuses, serait une violation des droits humains. Et il ne s’agira pas de l’indiquer comme une production littéraire similaire à une autre, car la Science n’est pas seulement un langage, des symboles, elle renvoie aussi à des faits réels et non pas seulement crus.
De même, admettre l’existence d’un monde pluripolaire, (et non pas multipolaire)(3) ne peut se faire qu’à partir du moment cependant où l’on conçoit que la différence entre le pluri et le multi s’institue dans l’idée que l’on partage des valeurs communes, au-delà de nos différences, ce que récusait Hitler, ce que récusent aujourd’hui les émules de Ben Laden et de Khomeiny, dont le totalitarisme vise bien plus loin que le seul terrorisme.
Mais peine perdue ! Puisque, disent certains, toute cette idéologie sécuritaire, les attentats du 11 septembre, ne seraient-ils pas de la responsabilité de la politique occidentale en général et de l’administration américaine en particulier ? Ou encore ne marqueraient-ils pas l’émergence d’un « champ d'(in)sécurité » dont l’institutionnalisation créerait en fait l’objet « terroriste » de toutes pièces pour satisfaire à de sordides jeux de pouvoirs occultes ? (4)
Voilà ce que l’on entend ici et là, qu’il s’agisse d’un Emmanuel Todd ou d’un Hubert Védrine, déniant à l’autre, l’ennemi, – celui qui massacre jusque dans les enterrements, ses motivations propres en tant qu’acteur stratégique et non pas victime réactive d’un ordre répressif ; sauf s’il est lui aussi occidental (ainsi glosera-t-on sur le retour russe actuel). Dans ces conditions, évidemment, il s’agira donc de ne rien demander d’identique aux dirigeants du « Sud », ils seront absous, automatiquement, même corrompus, puisque, jusque dans leurs vices, ils ne seront que les victimes du « charme discret de la bourgeoisie » comme le dirait Luis Buñuel.
Ben Laden, Saddam Hussein, n’ont jamais eu des motivations de conquête, non, il s’agirait seulement de ressentiment ou de manipulation occulte. Quant à la conquête d’antan, celle par exemple de l’Afrique du Nord par l’arabo-islamisme, oublions-la, elle fut, paraît-il, une libération, passage de l’obscur vers la lumière…
Ainsi, l’on doit extirper « le » pouvoir, caché, évidemment, (ou théorie du Complot, si en vogue), du monde « occidental » qui crée « le sentiment d’insécurité » en réalité et tout y irait pour le mieux dans le meilleur des mondes de la démocratie pure et parfaite. Ou alors d’une monarchie, retrouvée enfin, une révolution (conservatrice, guevariste…) espérée si fort que d’aucuns aspirent en de nouveaux interdits durs comme un couteau qui égorge au fond d’un ravin afghan ou d’une cuve baasiste.
On l’a cru en 1917 en extirpant bourgeois et aristocrates, massacrés, en interdisant même à leurs enfants d’aller à l’école. Ou en 1933 en extirpant « le capitalisme apatride » : entendez, « le » Juif, à exterminer, jusque dans les berceaux (5), en tant que symbole même non seulement de l’étranger, mais de cette révolution techno-urbaine qui semble les propulser à la tête tant « ils » sont opportunistes. (6)
Max Weber avait horreur d’un tel amalgame, par exemple entre soif d’acquérir et capitalisme (7). Le second ne pouvant être seulement réduit à l’affairisme. De plus, les passions, leurs motivations cristallisées en des intérêts (8), le désir d’aller le plus loin possible dans la possession de sa propre liberté comme l’avait vu Hobbes (9), ne peut néanmoins se réduire à la guerre, même si la recherche de la vanité est constante comme l’avait souligné d’Adam Smith dans son analyse des sentiments moraux, et peut déboucher sur la mort de l’autre : pourquoi ?
Parce que la paix est plus propice pour développer la bonne vie. (10) Banal ? Oui, surtout depuis que le judéo-christianisme, en surgissant, a nettement distingué le devenir humain du devenir hybride de l’animal/humain puissance de mort (celle d’Anubis) : en effet, le meilleur ne le prouve pas seulement par les armes et la brillance de son orbe, y compris en… Occident, terre de l’universel et des droits humains, mais aussi dans son savoir-faire et son savoir être comme le chantait déjà l’amour courtois ; le meilleur se prouve sur-le-champ (choisi) et non pas de façon héréditaire, ce que n’ont pas compris les adeptes du sang (bleu), les fanatiques du retour ou de l’avènement de valeurs si vagues qu’on ne sait guère si elles participent au désir d’affinement ou à sa résignation en pure conservation négative de soi.
Il ne suffit pas de regarder vers Rome.
Jérusalem compte d’abord désormais disait Léo Strauss (après Augustin il est vrai).
Mais Jérusalem est sur Terre et pas uniquement dans le ciel (des idées). D’où la nécessité de ce lien fort entre nature et politique. Liberté et justice.
Donc, toute nature, humaine (11), préexiste aux formes historiques en tant que coextensive au déploiement même des capacités ou potentiel donné qu’une culture développera ou/et amoindrira. Car il s’agit d’une interface.
D’où le long apprentissage des enfants qu’il ne s’agit pas de réduire à de l’instruction : il est également question d’une maturation de potentiel qui exige une expérimentation propre. Konrad Lorenz insistait sur le fait de ne pas confondre les deux : maturation et apprentissage. (12)
En fait, le « droit de nature » comme le dit Hobbes ne se résume pas à la violence du survivre, (y compris chez cet auteur). Même les bêtes sont curieuses et ont du plaisir à chasser ; certaines d’entre elles ne poussent-elles pas un cri de triomphe lorsqu’elles sont satisfaites de leur agir ? Telle l’oie cendrée de Konrad Lorenz. De son côté Hobbes soulignait que même les bêtes « délibèrent ».(13)
Nous parlerons de l’universalité d’une Nature dont le potentiel à la recherche de sa maturation singulière est mise en forme dans sa particularité par l’Histoire, surtout, ici, lorsqu’il s’agit d’animaux politiques comme les humains en paraphrasant Aristote lorsque celui-ci se met à chercher la meilleure des constitutions permettant précisément de prendre en compte toute cette complexité, là. (14)
D’ailleurs, qu’est-ce que l’Histoire sinon la chronologie sociologique des actions humaines saisies en l’ensemble des complexes culturels fabriquant les solutions politiques, dont la Technique est l’un des aspects, comme leur méthodologie ?
Ainsi, la dite culture « bourgeoise » si honnie d’un extrême à l’autre de l’échiquier,correspond plutôt à la culture urbaine telle qu’elle a été érigée en Occident à partir du XIIe siècle autour de la notion de bourg, ou la ville, pour Max Weber(15) dont l’émergence réalise l’idée de démocratie étendue au plus grand nombre ; tel le serf qui, se réfugiant en ville, était libre au bout d’un an et un jour ; la ville dont la division organique du travail comme le disait Durkheim permit un plus de liberté et de justice au fur et à mesure des luttes émancipatrices autour de la notion de personne.
Le fait de s’approprier la culture, c’est-à-dire les solutions techniques, économiques, politiques, de l’enrichir, autrement, comme cela fut surtout fait à partir de la Renaissance avec la redécouverte de l’Antiquité (qui ne fut en fait jamais vraiment oubliée au Moyen-âge, comme on l’a cru (16)), la pleine émergence de l’humanisme et de la science, ne veut pas dire qu’il faille en réduire les lemmes aux conditions sociales de sa production comme on le pense surtout depuis Marx.
Quant au concept de nature, il est toujours curieux d’observer qu’il a été réduit à celui de jungle, de renard dans le poulailler, l’homme est un loup pour l’homme, bref, nature=violence (17), suivant ici l’acception hobbesienne et ensuite darwinienne, reprise par Marx et Nietzsche, alors que même celle-ci, dégagée de tout anthropomorphisme, indique que si un « meilleur » survit, cela n’explique pas pourquoi il y arrive, seulement comment (lutte à mort) ; ce qui montre, certes, qu’il est le plus fort, mais, justement, un autre comment reste oublié (que ne néglige pas un Pierre Janet (18)) celui de savoir pourquoi le meilleur est le plusfort.
L’homme n’est pas seulement un loup pour l’homme. Surtout depuis l’avènement du christianisme qui a encore plus accentué dans cette direction le message biblique.
Or, se précipiter à nicher unilatéralement dans une seule cause l’origine de l’agressivité humaine comme le firent l’eugénisme et le lamarckisme, bref, le fixisme et le matérialisme mécaniste, bref, ou les gènes ou l’environnement, c’est, précisément, manquer la singularité de ces deux facteurs et leur intrication bien mise en valeur aujourd’hui par les travaux psychologiques, qu’ils soient anciens comme ceux d’un Pierre Janet par exemple, ou actuels ceux d’un Maurice Reuchlin et d’un Joseph Nuttin.
Ainsi, le premier montre que des enfants issus de milieux défavorisés peuvent avoir un Q.I plus important que des enfants des classes supérieures (19), alors que le second précisera les recherches de Piaget en indiquant que l’enfant de deux ans aspire à continuer à agir sur le réel non pas pour répéter un acte qui l’a stimulé, mais parce qu’il prend plaisir à agir sur la réalité (20), poussant un cri de triomphe lorsque l’action a réussi, cri déjà perçu par Konrad Lorenz en observant ses oies cendrées.
Cette approche est aujourd’hui intégrée dans la recherche sociologique qui compte, celles, par exemple, d’un Jean Baechler (qui fut l’un des premiers à le faire) et d’un Raymond Boudon.
Rappelons aussi que cette banalité anthropologique bien connue des Anciens, de Platon, en passant par Aristote (que discute Thomas d’Aquin dans sa Somme), Hobbes et son Léviathan, Hegel et son Négatif, (mal compris par Marx, incompris par Lénine et ses disciples, par exemple Bataille et surtout Derrida qui occulte, comme Deleuze, la notion de dépassement (21)), jusqu’à Dilthey et la notion de motif, et enfin Weber celle de motivation.
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Pourtant, telle la lumière de ces étoiles mortes qui nous arrive encore, le contenu de cette banalité, « le mal, c’est le capitalisme (du néo-libéralisme) », domine toujours l’air du temps intellectuel ; même si les peuples s’en lassent de plus en plus au vu des résultats électoraux qui voit la droite et la gauche réformiste arriver au pouvoir. N’oublions pas que les idées, même fausses, peuvent justifier la guerre d’extermination de l’autre (bourgeois, juifs…) lorsqu’elles prennent le pouvoir – d’où la surprise permanente des savants qui pensent que si la sagesse estampillée es science était aux commandes, il n’en serait pas ainsi :). On l’a vu dans les années 30… de sinistre mémoire, malgré un Husserl et un Gide.
Le capitalisme accélère-t-il tout de même les éléments de ces différents grands mots comme « l’exploitation », « l’aliénation » ? Non. L’affairisme, la volonté de puissance débridée, oui.
Le capitalisme, cette organisation rationnelle du travail comme le disait Max Weber, a besoin plutôt d’une forte demande ; ce qui est impossible si la population est misérable, exploitée sans vergogne, on le voit ces temps-ci en Chine, en Inde, au Brésil où les inégalités injustifiées – au sens, dit Boudon, qu’elles ne dépendent pas de compétences, mais de passe-droits liés à la proximité avec le pouvoir – passent de moins en moins.
Le capitalisme a aussi besoin d’un État de Droit, d’une capacité renouvelée d’innovation. Par contre, et ce dans le même temps, des abus et des injustices, existent, des profits se créent sur la base de rapports de force favorables. Mais comme ceux-ci préexistent au capitalisme, voire même à la propriété privée, ne faut-il pas plutôt y avoir les conséquences d’une donnée anthropologique permanente, la volonté de puissance d’une nature humaine cherchant à assouvir ses passions, plutôt que de réduire l’existence de celles-ci à une histoire particulière ?
Il n’est pas essentialiste ni substantialiste en un mot fixiste que de mettre en avant cette donnée permanente qui n’explique pas tout, mais, déjà rend compte que pour échapper à sa persistance l’histoire politique des peuples, en particulier en Occident, (mais aussi en Afrique) a peu à peu inventé la séparation des pouvoirs. Or, on a trop tendance à confondre une telle réalité transhistorique, celle de la condition humaine, avec la forme qu’elle prend dans le Temps et qui peut sembler rattacher uniquement l’inégalité et le conflit entre les hommes à l’existence de la propriété, voire même du groupe.
Une telle distinction n’est pas chose courante, bien au contraire ; force même est de constater en effet qu’une certaine radicalité, non pas celle qui va à la racine comme le souhaitait Marx, sans pouvoir y parvenir, hélas :-), mais plutôt celle que Camille Desmoulins qualifiait déjà « d’exagération » (22), ne la fera surtout pas. Elle assènera plutôt que c’est « à cause » du capitalisme, et dans ce cas elle en décrira uniquement les injustices diverses, et à juste titre, à la façon d’un syndicaliste, (d’où le succès d’une Arlette Laguiller et aujourd’hui d’un Olivier Besancenot ou d’un Oscar Lafontaine en Allemagne) puisque tout est déjà expliqué, ce qui implique de cataloguer de « réformiste » voire de condamner de « réactionnaire » si on conteste ce verdict pour le moins essentialiste pourtant….
Car, même lorsque le mur de Berlin est tombé, cette « exagération », qui n’est pas majoritaire, loin s’en faut, a non seulement désigné du doigt, elle a aussi émis des fatwas, y compris envers celles et ceux qui ont fait mine de seulement s’interroger sur les origines d’une telle faillite ; ne parlons pas de celles et ceux qui tentent de la penser, tant ils sont voués aux gémonies, on se souvient du scandale qu’avait suscité Le livre noir du communisme.
Ce dernier mot, fatwa, n’est pas trop fort. Puisque les termes énoncés plus haut, exploitation, surtravail, et leur unique explication ont été sacralisés. Ce qui implique que les toucher, ne serait-ce seulement qu’en les interrogeant, et ce, pourtant, dans l’intérêt du plus grand nombre, (la « masse » d’autrefois aujourd’hui suspecte puisqu’elle vote « mal »), relèvera du délit d’opinion qui peut coûter cher au sein des institutions dans lesquelles cette minorité a du pouvoir et sait l’utiliser pour en faire des bastions. On le voit bien aujourd’hui où, dans certaines commissions universitaires, le fait de barrer la route à un candidat taxé de « libéral » apparaît comme un acte de Salut Public, se posant, de fait, encomité de salut public autoproclamé, comme si l’État leur appartenait.
Son caractère minoritaire, malgré la faillite, successive, de ses modèles, (le Zimbabwe en étant l’avant-dernier, puis vint le Venezuela (23)… le cas bolivien, étant, lui, devenu au fil du temps bien plus complexe (24)), ne l’empêche pas de se présenter dans des habits « neufs » : comme appeler « nouveau » la dramaturgie « anticapitaliste » qui continue à confondre bénéfice et injustice, capitalisme et appât du gain, comme le déplorait également Max Weber on l’a vu, alors que l’esclavagisme n’a pas été choisi par le « Kapital » comme mode de production.
Le mode de production capitaliste ne triomphe pas du fait que la consommation serait devenue l’opium du peuple, mais tout bonnement parce que l’intégration de la science abstraite et appliquée au mode de production a produit de quoi satisfaire un confort moyen qui permet de gagner du temps sur le temps et, de là, permet, au plus grand nombre, d’en profiter pour se former à des tâches nouvelles, au sens qu’elles se différencient de la fatalité des destinées sociales qui voyaient les fils faire ce que les pères avaient accompli avant eux.
Le luxe s’est démocratisé en réalité, d’où la recherche de la qualité, de la durabilité dans les rapports à la marchandise. Mais on peut regretter que ce phénomène de la durabilité n’ait pas encore atteint les rapports humains puisque pour certains il semble que l’on puisse changer de vie et rompre avec autrui comme si l’on changeait de chemise ou que la vie n’était plus que du cinéma.
On peut comprendre d’ailleurs par ce biais l’ambiguïté de la révolte des années 60 qui a parfois confondu épanouissement et égoïsme absolu, tout en étant détourné de son but – l’amélioration de la condition humaine – par la dite minorité es exagération en question qui, en réalité, se souciait fort peu en 68 de développement personnel, du droit des femmes, de l’écologie, et qui, aujourd’hui, prétend faire la leçon sur ces sujets désormais à la mode…
Cette minorité est faite de « révolutionnaires professionnels » et donc d’un appareil qui sait attendre le retour des vaches grasses puisqu’elle détient, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, – victoires soviétiques, vietnamiennes, arabo-islamistes (Algérie) (25), aidant -, une position hégémonique sur le marché des idées (médias, éditions, système éducatif).
Et elle le détient plus particulièrement en France (en Italie aussi) du fait des excès dirigistes de la droite conservatrice : par exemple en matière de relations sociales où les syndicats, qu’ils soient patronaux ou salariés, sont encadrés jusqu’à aujourd’hui encore : ainsi, alors que pour la première fois depuis la guerre la CGT avait accepté de signé un premier accord avec les représentants du patronat sur le temps de travail, le gouvernement de Mr Fillon s’est empressé de le dénoncer, croyant ainsi « réformer » ce qu’il cherche à étatiser plutôt : n’oublions pas en effet que la protection sociale fait désormais partie du giron de l’État au grand dam des syndicats réformistes (comme F.O), alors qu’elle coûterait bien moins cher, (et l’économie opérée irait densifier le pouvoir d’achat) si on laissait faire la concurrence, sans nécessairement faire les mêmes erreurs qu’outre-Atlantique (erreurs exagérées là aussi cependant).
N’oublions pas aussi que ce qui donna de l’eau au moulin de cette minorité « anticapitaliste » fut l’orientation systématique des enfants des classes populaires vers les métiers techniques ; ce fut également l’utilisation paternaliste de l’État, pourtant instrument de l’intérêt commun, et la dérive qui s’en suivit, à droite comme à gauche : l’État devint la vache à lait d’ambitions diverses, un État, qui, par ailleurs, avait failli en 1940 et s’était confondu avec le régime de Vichy malgré les tentatives de l’effacer.
N’oublions pas, enfin, le manque certain et continu en matière d’innovation sociale du personnel de droite et de gauche, malgré les efforts d’un Jacques Chaban Delmas ou d’un Michel Rocard, surtout en ce qui concerne la formation continue et les travaux pénibles qui expliquent les grands écarts en matière d’espérance de vie.
Tous ces manques, encore présents, agrémentent alors l’idée que la notion d’exploitation ou de travail non payé serait à la base de l’existence de riches et de pauvres, ce qui est faux, sinon cependant à la marge et précisément comme excès d’une nature humaine débridée. Puisque c’est plutôt la capacité à innover, (pas toujours issue d’un héritage favorable : voyez Google et son garage, Rockefeller et sa pomme, ou NRJ et son deux-pièces cuisine à Télégraphe au tout début des radios libres en 1981…), à vendre des produits attracteurs que leur seul bas coût, relatif, qui reste le vecteur clé ; relatif, car l’accroissement mondial d’une demande, qui fut bridée dans les feux pays communistes (Chine, Russie, Vietnam…) ou adeptes de l’économie bureaucratisée autocentrée – lisez autarcique et monopolistique – (Inde, Brésil, Afrique centrale et équatoriale), pousse les entreprises, y compris les firmes multinationales si décriées, à augmenter le pouvoir d’achat de leurs salariés autochtones qui, par ailleurs, sans cette intégration au marché mondial, resteraient, surtout en situation d’exode rural massif, dans la misère et la prostitution : en fait le débat ici consiste moins à interdire par exemple le travail des enfants (plutôt qu’ils ne se prostituent) que d’aménager celui-ci en exigeant des heures de formation comme certaines O.N.G. ont eu l’intelligence de le faire envers des entreprises comme Nike. En réalité, il s’agit moins de militer pour un monde « no logo » pour paraphraser la bible de l’altermondialisme que de faire en sorte que le politique joue pleinement son rôle au niveau mondial en définissant des règles de Droit équitable….
Mais nous n’en étions pas là à la sortie de la seconde guerre mondiale imbue de solutions communistes masquant une triste réalité qui cependant s’appuyait sur des donnant-donnant réels : peu de choses produites étaient efficientes, les logements étaient surpeuplés et vétustes, les vêtements frustres, mais l’on travaillait peu et tout cela ne coûtait pas très cher. Le sentiment d’inutilité et l’impossibilité d’exprimer ses pensées sonnèrent pourtant le glas de ces sociétés figées qui n’auraient pas dû connaître ses problèmes puisque les cas de conscience ne devaient que refléter le statut économique censé être au-dessus de toute critique…
Restons encore en 1945, avec une URSS auréolée de sa victoire contre le nazisme. L’hégémonie communiste s’installa en France, (mais ne gagna pas grâce à l’action gaulliste et l’indépendance d’esprit radical socialiste), malgré le fait que les communistes aient demandé l’autorisation de rouvrir le journal l’Humanité(gagné sur les socialistes en 1920) quelques mois après la défaite (26) et qu’ensuite ils ne se battirent que lorsque Hitler eut envahi l’URSS : c’est qu’il fallait immobiliser le plus possible de divisions nazies en France pour soulager celle-ci….
De même, on ne leur tint guère rigueur de diverses chasses aux sorcières allant jusqu’à la dénonciation de certains trotskistes ou leur élimination digne d’un règlement de comptes entre mafieux à Chicago ou en Sicile. Ces travers furent (trop) vite mis sur le dos du stalinisme alors que c’est Lénine et Trotski qui inventèrent une police politique qu’imitèrent ensuite Mussolini puis surtout Hitler.
Toutes ces réalités historiques ont été ainsi cachées et escamotées au profit de cette illusion dont parle si bien François Furet, et se croyant encore en 1792 (an I), tout en voulant le combiner à 1917 (an II). C’est-à-dire à l’idée d’ « exagérer » l’idée rousseauiste de « l’Intérêt général » via la nationalisation administrée de toutes les forces productives.
C’était censé créer le bonheur pour tous alors que cela engendra plutôt la pénurie et le passe droit : les communistes oublièrent que la structure qu’ils mettent en place pour gérer leur Idée est composée d’êtres humains en ce que ces derniers poussent le plus loin possible leurs intérêts particuliers, (camouflées dans le cas communiste en intérêt général, mais la droite conservatrice se cache aussi derrière ce label), car tel est leur nature d’animal politique, (voilà la thèse centrale de toute la philosophie politique depuis Aristote), et non pas parce que ce serait le résultat d’une politique basée sur la propriété privée comme haranguent encore les communistes.
On ne comprend pas autrement l’échec des pays socialistes puisque l’expérience démocratique issue de plusieurs siècles de séparation des pouvoirs, de contrôle institutionnel en vue précisément de se protéger des propensions humaines trop humaines à réduire le pouvoir à la puissance et l’autorité à la soumission, a été écartée comme solution (traitée de bourgeoise ou de réformiste) dans les pays communistes, et ce au profit d’une vison simpliste, passive, d’une nature humaine à la conscience reflétant uniquement l’environnement, à la façon d’un miroir, alors que la conscience anime, plus qu’elle ne reflète, des motivations qu’elle cherche à concrétiser en choisissant dans l’environnement ce qui sied, du moins si elle le peut.
D’où l’importance du niveau éducationnel dont cette pseudo radicalité eut le culot de s’emparer à l’époque en se prétendant héritière des Lumières, ou du moins d’une partie d’entre-elles, celles qui prétendaient justement comparer la nature humaine à de la matière passive en attente d’une instruction, d’une lumière, qui l’éveillerait, poursuivant au fond la conception théologique judéo-chrétienne de type janséniste que la droite conservatrice avait durci par la sélection à outrance.
La tradition communiste française s’appuya pour ce faire sur une hypothétique réussite des méthodes pédagogiques soviétiques qui, elles aussi, étaient adeptes de la sélection précoce, mais cela ne se sut guère. Le PCF se battit par exemple pour le plan Wallon qui institua le collège général obligatoire pour tous, sous l’idée fausse que l’intelligence serait donnée par la seule instruction générale alors que l’intelligence, comme on le sait depuis Bergson, Janet, Piaget, est un potentiel dynamique permettant, sans attendre d’être instruit, de saisir et de transformer le réel via des intuitions liées à des intentions.
Cette confusion entre intelligence et instruction, entretenue encore de nos jours par un Albert Jacquard par exemple, fera que tout individu non instruit (donc non diplômé) s’imaginera idiot ; ce qui ne peut qu’entretenir chez certains une haine envieuse, voire dangereuse, envers celles et ceux qui réussissent, par exemple leurs examens pour commencer ; les violences scolaires en sont le symptôme le plus criant ; elles se prolongent aujourd’hui jusqu’aux attaques sournoises de jeunes lycéens, fêtant leur fin d’épreuves écrites du bac, par des jeunes issus des quartiers dits difficiles.
L’hégémonie communiste, progressive dans le secondaire, au fur et à mesure que se déploya la scolarité de masse, refusa également les méthodes basées sur l’approche interdisciplinaire (comme faire de la philosophie des sciences en classe de physique) ou sur l’audiovisuel et le magnétophone, qui faisaient trop américain. Il fallut attendre les années 1980 pour rectifier le tir, (mais la même méfiance revint avec Internet et semble toujours loin de s’estomper) ; elle écarta, après 1968, la réforme Haby qui voulait revenir à une orientation à la carte dès la 5ème ; un tel refus fut renforcé par le plan Gros/Bourdieu qui voulait en finir dans les années 1980 avec les Grandes Écoles, tout en cherchant à tirer encore plus les programmes par le bas alors qu’il fallait faire précisément l’inverse comme le propose Raymond Boudon : aider les enfants issus de milieux défavorisés à se hisser au niveau requis via des bourses d’études et un tutorat adéquat, puis leur ouvrir les Grandes Écoles comme on l’amorce enfin aujourd’hui.
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En règle générale, cette hégémonie communiste -depuis 1968 néo-gauchiste au sens de revenir à l’âge d’or de 1792 et de 1917, a empêché de « bien » percevoir ce qui pourrait être le « mieux » pour le plus grand nombre.
Et ce que l’on peut nommer, avec Jean Baechler, une idéocratie cherche plutôt à imposer des idées qui n’ont rien à voir avec la réalité, mais plutôt avec ses manques, ses maladies… comme l’excès, le déviant, censés d’ailleurs être un produit que l’on pourra supprimer avec la fin du conflit et donc de la politique ; en attendant ils font les beaux jours de la littérature adepte de monstruosités.
En fait, l’idéocratie ne veut pas le « bien » et le « mieux » du plus grand nombre, au sens par exemple de faire en sorte que la singularité si chère à Chantal Delsol puisse s’affirmer.
C’est que l’idéocratie issue du 10 août et de 17 a toujours exprimé les plus extrêmes réserves sur tout ce qui n’émane pas du Collectif (un peu à la façon des Borg de la série SF américaine Voyager) puisque la notion d’intérêt est pour elle uniquement sociale, c’est-à-dire influencée, produite, alors qu’en réalité seule la forme de l’intérêt et son rythme peuvent être ainsi conditionnés, pas du tout la préférence qui en sous-tend la motivation comme l’ont démontré les psychologies motivationnelles et différentielles ainsi que la sociologie de l’action, mais ce dans l’indifférence générale puisque nous surnageons encore, du moins en France, dans le modèle pourtant saturé du freudo-marxisme toujours dominant en sciences sociales, qui prône plutôt l’idée d’une soumission de la matière humaine, donnée comme passive, à son environnement.
Ainsi, l’idée qu’une volonté, pourtant au faîte de sa réussite, puisse non seulement se déployer, mais se développer, c’est-à-dire affiner qualitativement son potentiel, par exemple en créant des œuvres philanthropiques (27), semble, pour cette radicalité, impossible ou exceptionnelle ; de même l’idée que les résultats en termes de différences de statuts ne soient pas toutes injustifiées lui semble inconcevable du fait d’un égalitarisme pervers puisque faire ou ne rien faire revient à la même chose ou le droit à la paresse bien entendu :-). Dans ces conditions, la volonté de passer outre à des conditions défavorables, même si l’on met plus de temps à y arriver (28), lui échappe totalement.
L’idéocratie nie donc toutes ces subtilités, et elle le justifie en s’appuyant déjà sur les errements pédagogiques de la droite conservatrice comme on l’a indiqué.
Mais elle les nie surtout car la nature humaine doit correspondre entièrement à une Idée (bien plus « haute » que le Concept écrit Lénine dans ses Cahiers philosophiques) : celle d’une nature humaine, conditionnée, ignorante, passive, sans cette lumière venant du haut, on l’a dit, émanant non plus de Dieu, mais de bien plus haut encore : le Parti (aujourd’hui « le » représentant du « service public »).
En ce sens la différence entre l’élite de droit divin et l’élite amoureuse de l’Idée (qui forme l’idéocratie) relève plutôt d’une différence de degré et non pas de nature.
L’élite de droit divin veut garder l’espace du pouvoir légué par l’Histoire. L’élite de l’idéocratie veut la remplacer, emplir tout l’espace historique, être enfin cette créatrice de réel qui crut fabriquer à partir du 10 août 1792 du temps nouveau aussi bien que du regard et des attitudes inédites alors qu’elle reproduisit une autre élite bien plus impériale : pour la première fois en effet la France eut un empereur (du moins si l’on excepte Charlemagne), même Louis XIV n’avait pas osé…. D’où la connivence souvent explicite entre les étatistes de tous bords et ces élitistes sans le dire : ils parlent au nom du Peuple, de l’Intérêt général, mais ils aiment tous ou Robespierre ou Napoléon, ce vendeur de la Louisiane, souvent les deux 🙂 ; même les socialistes s’identifient constamment à l’âme du pays (« j’ai mal à la France » disait Michel Rocard) alors que celle-ci périclite depuis Louis XV, si l’on réfléchit bien.
De leur côté, les amoureux transis de l’Idée partagent cette dévotion, spécifique, mais similaire par certains biais, envers l’État posé comme l’Idée même en acte comme le disait Hegel qui avait la tête bien à l’endroit, contrairement à ce qu’en a suggéré Marx.
Dans les deux cas, l’intérêt singulier reste entièrement soumis au diktat d’un intérêt général prétendument universel par-dessus le marché (si l’on peut dire). Ce qui implique par exemple de restreindre la nature humaine dans son appétit à aller le plus loin possible ; cela ne concerne cependant pas les révolutionnaires eux-mêmes.
Comment ? Non pas en limitant la nature humaine par le Contrat, mais en l’empêchant, carrément, de prendre des décisions, voire même de penser (alors qu’elle se vante de l’instruire…), ce qui irait pourtant dans le sens de son « propre » bien-être. Sauf que le « propre » est un terme à bannir pour l’Idée de cette radicalité, prélude et cœur de la « propr/iété » (et donc du mal sur Terre). Il en est de même du « libre arbitre », dangereux, sauf pour les « révolutionnaires », puisqu’il s’agit de ne pas laisser le renard libre dans le poulailler libre de la Ferme des animaux, alors que, nous a appris Georges Orwell, certains sont plus égaux que d’autres :-).
Ainsi, puisque certaines natures humaines vont, en effet, « exagérer » dans ce que Weber nomme donc « l’appât du gain » (l’avidité n’est pas cette passion réservée aux seuls extrêmes), il convient, pour cette idéocratie, de mettre sous tutelle tout le poulailler, de le taxer sur la valeur produite (de plus de 50 % jusqu’à l’infini), continuant en fait, mais sous une autre forme, la gestuelle médiévale enlevant les œufs au paysan (catalogué de « riche »), ou nationalisant le petit cabanon des marins de Cronstadt (catalogué de « contre-révolutionnaire »). Aujourd’hui on se fera plus « raisonnable » en taxant au « nom » de la Sécurité Sociale, ou plus modeste en taxant au « nom » de la Terre, ou alors en se croyant plus juste en taxant au « nom » de l’Audiovisuel public.
Mais, en réalité, il s’agit de survivre sur le dos du Peuple, au « nom » du Bien, celui toujours à venir bien sûr, « le » sommant d’avaler cette nouvelle hostie à coup de films et de romans à la rose qui prônent une frugalité obligatoire.
Elle est de nouveau mise à la mode par la nouvelle génération de l’idéocratie altermondialiste et écologiste, qui recrute aussi à droite, afin de relancer une croissance un peu molle en faisant dans le « propre » (à défaut d’une conception du « propre ») ; ainsi l’hygiène, appelée aujourd’hui « principe de précaution », remplace la réflexion philosophique de toute façon dé(cons)truite ; n’oublions pas aussi que l’idéologie écolo est née à l’extrême droite (par refus de la modernité et son lot de démocratisation).
Cette austérité est cependant réservée, quoique paradoxalement, au peuple : paradoxalement puisque l’élite idéocratique devrait en faire autant, alors qu’elle continue bel et bien à vivre dans le luxe décadent si décrié ; réponse : elle est bien trop « contaminée » pour changer : pas mal non ?… Elle se pavane toujours place du Panthéon, dans le Marais parisien, ou en face de Central Park, malgré quelques icônes vivant évidemment dans un HLM ou affichant cette allure sympa du facteur convivial désormais immortalisée par le film Bienvenue chez les Ch’tis.
Il est temps de tourner la page pour réellement interpréter le monde, du moins si l’on veut le transformer… faire l’inverse, comme le prétendait Marx, a montré, décidément, ses limites.
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(1) La stratégie du choc : La montée d’un capitalisme du désastre, Paris, Actes Sud, 2008. Emmanuel Todd et tant d’autres tentent de lui emboîter le pas…
(2) Depuis plusieurs centaines de siècles : Sodome et Gomorrhe…
(3) Voir notre livre La condition néomoderne, Paris, L’Harmattan, 2007.
(4) Didier Bigo, La mondialisation de l’(in)sécurité. Réflexions sur le champ des professionnels de la Gestion des Inquiétudes et Analytique de la Transnationalisation des Processus d’(in)-sécurisation in Cultures et Conflits, nº 58, 2005, pp. 53 à 100.
(5) Aujourd’hui, Vladimir Poutine, qui considère l’effondrement de l’URSS comme la catastrophe majeure du XXe siècle, veut seulement « les buter jusque dans les chiottes » lorsqu’il parle des… Tchétchènes…. du moins pour l’instant.
(6) Pierre-André Taguieff, La judéophobie des Modernes, Des Lumières au Jihad mondial, Paris, éditions Odile Jacob, 2008.
(7) L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, pp. 14-15, et aussi note 1 pp. 15-16. « (…) La « soif d’acquérir », la « recherche du profit », de l’argent, de la plus grande quantité d’argent possible, n’ont en eux-mêmes rien à voir avec le capitalisme. Garçons de cafés, médecins, cochers, artistes, cocottes, fonctionnaires vénaux, soldats, voleurs, croisés, piliers de tripots, mendiants, tous peuvent être possédés de cette même soif — comme ont pu l’être ou l’ont été des gens de conditions variées à toutes les époques et en tous lieux — partout où existent ou ont existé d’une façon quelconque les conditions objectives de cet état de choses. Dans les manuels d’histoire de la civilisation à l’usage des classes enfantines, on devrait enseigner à renoncer à cette image naïve. L’avidité d’un gain sans limites n’implique en rien le capitalisme, bien moins encore son « esprit ». (…). (Ce) qui fait le caractère spécifique du capitalisme — du moins de mon point de vue — (c’est) l’organisation rationnelle du travail (…) ».
(8) Jean Baechler, Le pouvoir pur, Paris, éditions Calmann Lévy, 1978.
(9) « LE DROIT DE NATURE que les auteurs appellent généralement jus naturale, est la liberté qu’à chacun d’user comme il le veut de son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie, et en conséquence de faire tout ce qu’il considérera, selon son jugement et sa raison propres, comme le moyen le mieux adapté à cette fin. » in Léviathan, Traité de la matière de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, Paris, éditions Sirey, 1983, chapitre XIV, p. 128.
(10) Ibidem., p. 129.
(11) En ce sens et insistons-y encore, parler de terrorisme et de barbarie pour caractériser tel ou tel acte, par exemple venant de l’islamisme radical, en vient à préjuger, à juste titre, de la qualité de leur action du point de vue des valeurs universelles, sans pour autant cependant délimiter précisément les raisons intrinsèques d’un tel comportement, or, celles-ci sont toujours niées et l’on privilégie généralement des causes externes, sociologiques ou géostratégiques induites pour la plupart par l’Occident (entendez l’ex et le néo-colonialisme) ce qui est dommage. Car, s’agissant par exemple de la dite terreur islamiste, elle ne tombe pas du ciel, mais imite, à la perfection, du moins jusqu’à présent, l’enseignement de Mahomet, ce qui est contesté par d’autres, mais ce jusqu’à dénier à l’islamisme la possibilité de lire ainsi l’enseignement de Mahomet, ce qui est, aussi, contestable, voir sur ce point mon livre Le monde arabe existe-t-il ? Éditions de Paris, 2007.
(12) Trois essais sur le comportement animal et humain, Paris, éditions Points/seuil, 1974. p. 20.
(13) Léviathan, op. cit., chapitre VI, p. 56.
(14) Nous nous référons à l’introduction du livre d’Aristote Les politiques de Pierre Pellegrin (éditions GF Flammarion, 1993) lorsqu’il énonce (p. 35) : « (…) si l’on suit le texte d’Aristote, et notamment le début du livre IV, on s’aperçoit que (…) Aristote ne renonce nullement à la constitution excellente. (…). L’objet propre de la science constitutionnelle c’est la constitution excellente. Il n’est donc nullement paradoxal de soutenir que de Platon et d’Aristote c’est celui-ci qui est le plus ambitieux dans ses projets de réforme politique, puisqu’il n’entend pas réserver cette réforme à une ou quelques cités reconstruites sur des principes sains, mais l’étendre à l’univers entier des cités réellement existantes. (…) ».
(15) Histoire économique, esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, Paris, Gallimard, 1991.
(16) Voir sur ce point Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, 2008, où l’auteur récuse l’idée que ces racines grecques auraient été uniquement préservées et transmises par la civilisation arabo-musulmane, celle-ci étant par la suite sinon détruite du moins affaiblie par les Croisades en guise de remerciements, ce qui expliquerait ensuite son manque de développement et de résistance au colonialisme européen ; c’est du moins ainsi que l’analysent l’islamisme et son allié altermondialiste, alors que la destruction de Bagdad par les Mongols, et l’alliance des Califes et des Oulémas contre les Vizirs ont été les causes majeures de l’effondrement d’une civilisation qui s’est exclue d’elle-même du mouvement humaniste et Renaissant cherchant de plus en plus à distinguer (et non à séparer) religion science et politique, or, c’est cette distinction même qui est à considérer comme la base même de l’essor européen à partir du XVIe siècle.
(17) Ce propos personnifie bien tout ce pan de pensée postléniniste qui, en réduisant la nature à son cours absolu ou animal, en vient à négliger que même dans la conservation de soi animale il y a aussi le souci de rechercher les meilleures conditions de vie, de jeu, ce qui implique tout autre chose que la seule lutte ; on ne voit alors pas pourquoi ces données ne seraient pas amplifiées dans la nature humaine ; pourquoi par exemple la recherche du stable, de l’homogène, n’irait pas vers celle du paisible, du bien, et du beau, et ce même si ceux-ci rencontrent leur contraire sur le chemin comme l’a montré Hegel. On a d’ailleurs ri un peu trop vite de la trilogie vulgarisatrice d’un Victor Cousin (que Hegel appréciait).
(18) Voir mon livre (à paraître) Actualité de Pierre Janet.
(19) La psychologie différentielle, Paris, PUF, 1997, p. 191.
(20) Théorie de la motivation humaine, Paris, PUF, 1980.
(21) Nous le montrons en long et en large dans Éthique et épistémologie du nihilisme (2002, même collection). Il s’agit pour eux de retenir seulement la destruction visée pour elle-même, nihilisme mis en scène dans le Batman de Dark Knight, en la personne du Jocker avec l’idée de sortir du « Système », du plan, du projet, (d’où l’idée, surréaliste paraît-il, de tuer au hasard comme le revendiquaient Bataille et Breton, ce que réfutait Caillois), alors que « sortir de » est aussi un système et un plan, le plus terrible, celui de l’instabilité totale, du chaos posé comme seule stabilité ou l’éthique du gang, qu’il soit mafieux ou totalitaire comme sous Lénine, Staline, Hitler.
(22) Le Vieux Cordelier, numéro V daté du 5 nivôse (25 décembre) 1793.
(23) Mais ce fut Uribe le colombien et non pas Chavez le vénézuélien (ce fort en gueule que n’aima guère le roi d’Espagne et le fit savoir lors d’une réunion mémorable…) qui libéra Ingrid Betancourt des griffes des FARC si appréciées en France par nos thuriféraires en exagération…
(24) La Bolivie est un cas intéressant : le succès du président actuel au dernier référendum s’est également doublé d’un succès de plusieurs gouverneurs de provinces désireuses d’atteindre l’autonomie afin de pouvoir avoir accès directement aux bénéfices des richesses minières nationales sans passer par l’État central, or, par cette exigence, se révèle toute l’ambiguïté de la confusion entre État et Nation, au-delà du débat entre Public et Privé.
(25) Voir notre livre Le monde arabe existe-t-il ? Histoire paradoxale des Berbères, op. cit.
(26) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, Paris, Les éditions de l’atelier, 2006.
(27) Lorsqu’un richissime américain décida de donner 80 % de son immense fortune à la fondation Bill Gates, il se trouva quelques malins pour faire remarquer que les 20 % étaient encore de trop…
(28) Voir notre livre, Méthode d’évaluation du développement humain (de l’émancipation à l’affinement), l’Harmattan, 2005.