Tribunes

La liberté de conscience

La charte de l’ONU inscrit la liberté de conscience, donc le droit d’apostasier sa religion dans son article 18… A ce titre, l’ONU doit donc prendre des sanctions contre les pays qui l’enfreignent. Les pays adhérents ont signé cette charte. S’ils refusent d’en appliquer les fondements, ils sont parjures et doivent démissionner de l’ONU ou être exclus, toute aide devant leur être supprimée.

Pour l’ONU, la peine de mort pour apostasie devrait être cataloguée comme crime contre l’humanité, étant donné le nombre de gens qu’elle concerne potentiellement et le type de génocide que cela pourrait entraîner si elle était fréquemment appliquée, et les chefs d’Etat qui la pratiquent doivent être trainés devant un Tribunal International comme l’ont été tous les grands criminels car ils ne sont rien d’autres que des criminels.

C’est cet article de la charte de l’ONU, reprise de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui nous a autorisés à réfléchir sur notre avenir, qui nous a autorisés à réfléchir aux systèmes que nous voulions mettre en place pour nos enfants… :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »

C’est cette liberté de pensée qui nous a autorisés à contester un certain nombre de règlements de l’ordre établi, soit par les régimes politiques, soit par les religions. C’est cette liberté qui nous permet de douter du bien fondé d’un certain nombre de lois et de codes sociétaux qui régissent notre vie de tous les jours, et qui nous autorise à les modifier dans le sens de l’intérêt général par le biais du fonctionnement des institutions démocratiques.

Les religions monothéistes ont été bien souvent un frein à l’acquisition de cette liberté de conscience, mais elle a quand même réussi à se développer, malgré elles.

Dès le XVIème siècle, la pensée Européenne cherche à s’affranchir de l’interdiction de penser. En contestant l’autorité de l’Eglise Catholique apostolique romaine par l’interprétation personnelle de la Bible, la Réforme inaugure une nouvelle ère, faisant de chaque individu un être responsable de sa propre foi. Luther annonçait déjà le droit reconnu à chacun de sa liberté de conscience et le devoir d’exercer un esprit critique sur tout, dans tous les domaines.

La première reconnaissance légale est faite par l’Édit de Nantes (13 avril 1598); la liberté de conscience est enfin reconnue à ceux que l’on appelle de la RPR : Religion prétendument réformée.

En France, c’est la recherche sur les libertés individuelles, le siècle des Lumières, Voltaire et les encyclopédistes qui non seulement vont la mettre en relief, la formuler, mais lui donner une expansion qui va traverser les frontières et qui sera l’un des éléments fondateurs de la Démocratie en Amérique.

Plusieurs auteurs seront les pierres angulaires de cette recherche :

John Locke (1632-1704), protestant unitarien, cherche à cerner dans sa Lettre sur la tolérance les limites politiques, étatiques et critiques de la liberté religieuse.

Thomas Jefferson (1743-1826), protestant unitarien, principal rédacteur de la Déclaration d’Indépendance de 1776, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis à Paris entre 1784 et 1789, a été consulté lors de la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

Le Traité sur la Tolérance de Voltaire est une pierre fondamentale dans cette recherche sur la liberté de pensée. Son ouvrage eut un retentissement énorme malgré son interdiction de publication ! Voici ce que Voltaire écrivait sur le droit et le respect individuel :

« Le droit humain ne peut être fondé en aucun cas que sur ce droit de nature ; et le grand principe, le principe universel de l’un et de l’autre, est, dans toute la terre « Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît. » Or on ne voit pas comment, suivant ce principe, un homme pourrait dire à un autre : « Crois ce que je crois, et ce que tu ne peux croire, ou tu périras. » C’est ce qu’on dit au Portugal, en Espagne, à Goa. On se contente à présent, dans quelques autres pays, de dire: « Crois, ou je t’abhorre; crois, ou je te ferai tout le mal que je pourrai; monstre, tu n’as pas ma religion, tu n’as donc point de religion: il faut que tu sois en horreur à tes voisins, à ta ville, à ta province. »

« Le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes.» (Traité de la Tolérance, à l’occasion de la mort de Jean Calas – 1763).

La liberté de conscience est formulée pour la première fois dans le texte de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Le discours du pasteur Rabaud Saint Etienne à l’assemblée Constituante est édifiant :

«Vos principes sont que les libertés de la pensée et des opinions est un droit inaliénable et imprescriptible. Cette liberté, Messieurs, elle est la plus sacrée de toutes, elle échappe à l’empire des hommes, elle se réfugie au fond de la conscience comme un sanctuaire inviolable où nul mortel n’a le droit de pénétrer, elle est la seule que les hommes n’aient pas soumise aux lois de l’association commune. La contraindre est une injustice, l’attaquer est un sacrilège.

L’Eglise Catholique et Romaine n’était pas très favorable à cette liberté de changer de religion qui pouvait provoquer une désaffection de ses fidèles, mais elle fut obligée d’évoluer. Le XIXème siècle, du Concordat à la Loi de 1905 fut jalonné de bulles papales qui étendaient de plus en plus le champ des libertés de pensée.

Bien que défavorable à l’obtention de ce droit, l’Eglise avait abandonné toute idée de punition temporelle pour le reniement religieux depuis la condamnation du Chevalier de Labarre. La seule punition étant l’excommunication, elle laissait donc une relative liberté aux individus qui voulaient se convertir.

De plus l’intemporalité de la punition dans la religion chrétienne a toujours fait que les catholiques disposaient d’une liberté relative. La peine de mort pour abandon de croyance fut rarement appliquée sauf aux pires moments de l’inquisition ou des guerres de religion.

Ce sont tous ces travaux, dans tous les pays d’Europe, qui vont préparer la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat qui verra sa dernière formulation dans notre Loi de 1905.

La loi de 1905 est plus révolutionnaire que ses auteurs ne l’avaient imaginé : elle met fin à des millénaires de croyances obligatoires qui contraignaient, et le cas échéant sanctionnaient, les incroyants ou les adeptes des religions non admises par l’Etat. C’est elle qui officialise la séparation des pouvoirs temporels et spirituels en France.

Les positions religieuses constitutionnelles des différents pays Européens ne sont pas toutes rédigées sur le même modèle. Certains pays Européens ont conservé une religion d’Etat dans leur Constitution, ou un concordat avec le Vatican.

Ainsi le Danemark, la Finlande, la Norvège, La Suède ont conservé une Religion d’Etat… mais c’est une religion qui autorise la liberté de conscience puisque c’est celle de Luther.

Le Royaume Uni également avec l’Eglise Anglicane. (Source Quid 2005).

L’ex-Constitution Européenne, comme la Charte de l’ONU reconnaissent la liberté de conscience comme un droit inaliénable, même lorsqu’ils ont une religion d’Etat. La notion de religion d’Etat devient alors limitée à la subvention du culte et à l’instruction religieuse dans le milieu scolaire.

Cette liberté de conscience n’existe pas en Islam.

L’apostasie est un crime puni de mort dans un bon nombre de pays musulmans, Iran, Yémen et Arabie Saoudite par exemple. La Conférence Islamique ou OCI qui regroupe 57 adhérents a modifié les articles de la Charte de l’ONU de 1948 sur ce sujet.

La Déclaration des Droits de l’Homme dans l’Islam (DDHI) a été ratifiée par l’Organisation de la Conférence Islamique du Caire du 5 août 1990.

Cette Déclaration des Droits de l’Homme en Islam (DDHI), qui est le texte de référence de la Conférence Islamique a volontairement modifié le texte de l’ONU et comporte un certain nombre de divergences fondamentales.

Il est très difficile de trouver une version exacte de ce texte, d’autant plus qu’il paraît que la version rédigée en Arabe et la version rédigée en Anglais ou en Français divergent quelque peu sur le fond. Des versions plus ou moins édulcorées circulent, mais voici à peu près le texte commun à toutes. Ce texte a été rédigé en 1981, repris par la Charte officielle de l’OCI en 1990 et repris encore par la Charte Arabe de 1994 publiée par la Ligue Arabe :

Art. 12 – Droit à la liberté de croyance, de pensée et de parole

a) Toute personne a le droit d’exprimer ses pensées et ses convictions dans la mesure où elle reste dans les limites prescrites par la Loi.

Tous les textes sans exception font référence à la Loi (qanun) et il s’agit bien de la loi coranique…

Que dit la Loi coranique en la matière ? « Celui qui change de religion, tuez -le » est un hadith d’ou l’intégralité du droit coranique tire la notion de crime pour apostasie.

Certains diront que la sourate du Coran « Nulle contrainte en religion » indique que le droit musulman autorise la liberté de conscience. Mais en fait, il s’agit de l’absence de contrainte dans le cadre de la Loi qui interdit de changer d’avis, de conviction ou de religion.

Cette sourate caractérise plutôt l’absence de formalisme ou de contrainte rituelle, en appuyant sur la relation individuelle du musulman à Dieu. Une preuve très récente vient d’en être apportée par un fait divers iranien : un adolescent vient de se faire fouetter à mort pour n’avoir pas suivi le ramadan comme il aurait du le faire (Novembre 2004).

Cette interdiction est renforcée par une sourate du Coran parfaitement explicite, Al Moumtahana (60) verset 10, qui interdit les mariages mixtes à une musulmane :

” Ô vous qui avez cru! Quand les croyantes viennent à vous en émigrées, éprouvez-les ; Allah connaît mieux leur foi ; si vous constatez qu’elles sont croyantes, ne les renvoyez pas aux mécréants. Elles ne sont pas licites (en tant qu’épouses) pour eux, et eux non plus ne sont pas licites (en tant qu’époux) pour elles. Et rendez-leur ce qu’ils ont dépensé (comme mahr). Il ne vous sera fait aucun grief en vous mariant avec elles quand vous leur aurez donné leur mahr. Et ne gardez pas de liens conjugaux avec les mécréantes. Réclamez ce que vous avez dépensé et que (les mécréants) aussi réclament ce qu’ils ont dépensé. Tel est le jugement d’Allah par lequel Il juge entre vous, et Allah est Omniscient et Sage. ”

C’est cette sourate qui légitime ce que l’on appelle le crime d’honneur en islam, c’est à dire le droit de tuer ou de punir la fille ou la sœur qui se mettrait à fréquenter un non musulman.

Toutes les interprétations théologiques actuelles sans exception, tous les textes, tous les discours renforcent cette interdiction de la liberté de conscience.

Lorsque Monsieur Chevènement, à l’époque, Ministre de l’Intérieur, commença à mettre en place ce qui deviendrait par la suite le futur CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), les préparations de la Déclaration Constitutive devaient impérativement mentionner l’article de la Constitution française autorisant la Liberté de Conscience.

Les différents partenaires musulmans se sont opposés à ce que cette clause figure dans la déclaration constitutive. Nous avons cédé, au mépris de ce qui est l’un des fondements essentiels de notre démocratie. Ils ont menacé de claquer la porte, nous avons cédé au chantage.

Ce sujet est un sujet que les intégristes éludent soigneusement car il les dérange.

Cet évitement renforce cette impression de double langage. Le langage d’ouverture destiné aux Occidentaux, le langage pur et dur de la Constitution Islamique qui est le Coran.

On peut illustrer cette attitude par le discours d’un Tarik Ramadan sur ce sujet (L’Islam en questions, Alain Gresh et Tariq Ramadan, édition Babel) :

” Les questions très sensibles demeurent cependant qu’il ne faut pas chercher à esquiver, dont celle du choix de la religion pour les Musulmans. Est-on libre de changer de religion ?

Question délicate. Selon les savants ou selon les circonstances historiques, vous trouverez des lectures extrêmement restrictives. Je suis en train de mener une étude sur la question du changement de religion en Islam, ar-ridda, l’apostasie. Rien dans le texte coranique n’est explicite et l’on sait que le Prophète de l’Islam n’a jamais demandé que l’on exécute un être pour le seul fait qu’il ait changé de religion.

Deux thèses s’expriment chez les savants Musulmans : l’une, très vite majoritaire, est une lecture littérale de deux traditions prophétiques dont l’une affirme : « Qui change de religion, tuez-le ! » Notons que le degré d’authenticité de cette tradition est relatif puisque c’est un hadith ahad.

Ce courant majoritaire a abouti à une remise en cause de la liberté de conscience de l’individu. Dès le VIIIè siècle pourtant, un autre courant s’exprime et propose une interprétation différente en démontrant que le texte coranique ne va pas en ce sens, ni d’ailleurs l’exemple de Mohamed. La première figure de référence de ce courant, dès le VIIIè siècle, est Abu Sufyan ath-Thawri, qui avance qu’il appartiendra à Dieu de juger dans l’au-delà. Il propose une analyse extrêmement précise de situations concrètes et il montre que ce qui était condamné par le Prophète était le fait que certains changeaient de religion, dans une situation de guerre, après avoir récolté des informations sur la communauté musulmane.

(…) [C’était], dans ce contexte, une trahison de guerre. Ath-Thawri s’est attaché à montrer que c’est seulement dans ces cas là qu’il a pu y avoir exécution. Et, il conclut- dès le VIIIè siècle, je le rappelle – qu’on ne peut s’en prendre à quelqu’un qui change de religion à partir du moment où il ne le fait pas contre l’intérêt de la communauté. C’est une interprétation minoritaire historiquement. Elle m’apparaît la plus légitime. Visiblement cette interprétation est loin d’être minoritaire”.

Tarik Ramadan omet soigneusement de parler de la sourate Al Moumtahana (voir ci-dessus) lorsqu’il disserte sur la liberté de conscience.

L’Egypte qui est pourtant théoriquement l’un des pays du monde musulman le plus ouvert, le plus libre, dont la puissance d’influence dans la géopolitique de l’islam n’est plus à démontrer, a tenté en 1977 de rétablir la peine d’apostasie par une proposition de Loi, approuvée par le Conseil d’Etat le 6 Juillet 1977.

L’article paru dans le quotidien Al-Ahrâm précisait certains détails de la loi en question :

Ainsi, si le « criminel » – terme employé par le quotidien Al-Ahrâm – avait entre sept et dix ans, alors le juge pourrait le réprimander sévèrement durant l’audience, ou ordonner qu’il fût remis à l’un de ses parents ou à un tuteur, ou ordonner qu’il fût transféré dans une fondation d’assistance sociale spécialisée dans les crimes de mineurs. Si l’enfant avait entre dix et quinze ans, alors le juge pourrait le sanctionner en ordonnant qu’il fût bâtonné de dix à cinquante fois, etc.

Ce projet de loi stipulait également que toute personne qui aurait incité une autre personne à commettre ce qui serait le crime d’apostasie, se verrait punie de la sanction qui retomberait sur la personne incitée, si l’incitation de la première personne n’est pas suivie d’effets. Si l’incitation est suivie d’effets, les deux personnes se verront appliquer la même sanction.

Heureusement, malgré l’approbation du Conseil d’Etat, cette Loi n’a pas été votée.

Mais en 1996 avec le verdict prononcé contre un professeur de l’université du Caire accusé d’apostasie, la Cour de cassation du Caire a condamné l’universitaire et sa femme à divorcer, un blasphémateur ne pouvant être marié avec une musulmane.

Visiblement le combat n’est pas clos en Egypte.

Tout récemment encore puisqu’il s’agit de 2003, l’Université Al AZHAR du Caire, Université islamique de référence, réputée pour répandre un Islam modéré, publiait une fatwa parfaitement explicite sur l’interdiction de la liberté de conscience.

« Lorsqu’une personne accepte l’Islam pour religion, elle devient dès lors membre de la Communauté musulmane ; elle possède les mêmes droits que les autres Musulmans, et lui incombent les mêmes devoirs que les Musulmans. De cette manière, elle entre avec la Communauté musulmane dans un contrat social qui détermine l’appartenance et l’allégeance – avec tous les droits et devoirs impliqués par ces notions – à l’individu et à la Communauté à laquelle cette personne est désormais rattachée.

Par ce contrat social, l’individu devient une partie intégrante du corps de la Communauté telle que décrite par le célèbre hadith : « La métaphore des croyants, dans l’amour, la compassion et la miséricorde qu’ils se témoignent les uns les autres est celle d’un corps unique. Si l’un de ses membres est souffrant, tout le corps tombe malade et devient fiévreux. » Si malgré cela, un membre quelconque de la Communauté s’avise d’apostasier – c’est-à-dire d’abandonner la Communauté dont il faisait partie intégrante et qui lui témoignait de sa loyauté et de sa protection -, il se sera alors rendu responsable de ce qui peut être assimilé à une trahison au niveau politique. Or, la trahison de la patrie est sanctionnée par la peine de mort. Il n’en sera alors pas moins pour la trahison de la religion. L’Islam n’oblige personne à l’embrasser. Mais si on l’accepte librement et par conviction, on doit respecter son engagement, car la religion est à considérer avec sérieux et n’est pas un jeu. »

(Traduit de l’arabe de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. Publié sur islamophile.org)

Cette fatwa de l’Université d’Al Azhar reprend bien une partie de sa démonstration de Tarik Ramadan, particulier dans la comparaison avec la trahison de guerre, mais confirme le crime d’apostasie et la nécessité d’une condamnation capitale pour la punir. Comme il est facile de le constater les deux conclusions sont parfaitement opposées. De plus, elle part du postulat que la religion a été librement choisie. Mais comment accepter ce postulat lorsque l’on sait que tout enfant né de parent musulman est musulman, et qu’une femme n’a pas le droit d’épouser un non musulman… ou encore que si un musulman épouse une non musulmane, il peut tolérer qu’elle conserve sa foi, si elle appartient à une religion du Livre, mais il doit l’obliger à se convertir si elle a toute autre religion ou absence de religion, donc si elle est athée.

Ce texte est également lourd de conséquences sur la manière dont il affirme la suprématie de la communauté religieuse sur la communauté nationale (mais nous y reviendrons dans une partie dédiée aux régimes politiques et celle dédiée à l’intégration).

Le discours de Tarik Ramadan s’adresse au Monde Occidental pour le rassurer, tout en lui cachant la réalité. Celui d’Al Azhar se veut limiter l’effet de contagion de ces libertés démocratiques sur les populations musulmanes.

Un certain nombre d’intellectuels, d’écrivains, de journalistes musulmans commencent à revendiquer cette liberté. Lorsqu’ils vivent en pays de droit coranique, leurs cris et leurs appels sont bien souvent masqués, quand les individus ne sont pas condamnés ou emprisonnés.

Ce sont en fait les musulmans vivant en Occident ou proches de l’Occident qui sont en train de réaliser l’importance de cette liberté fondamentale.

Ainsi Mohammed Talbi, fondateur de l’université de Tunis, libre penseur, se bat sans cesse pour que cette liberté soit reconnue, étudiée, évoquée… mais même en Tunisie, le sujet reste tabou.

Voici ce qu’il avouait tout récemment à propos de sa participation à un Jury de thèse :

« C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai présidé le jury de thèse de doctorat de madame Amal Alkarami sur l’apostasie dans la civilisation musulmane. La publication de la thèse a été bien sûr interdite grâce à l’emploi des fameuses « ruses théologiques » héritées de nos ancêtres.

Ainsi, jamais durant ma longue vie, je ne me suis senti à plus de 75 ans, aussi humilié, méprisé et avili que ce jour là ? Celui qui me méprise et m’humilie, bafoue ma dignité et celle de l’Université à laquelle j’ai donné toute ma vie et que j’ai contribué à fonder, est un fonctionnaire que la décence m’interdit de qualifier comme il le mérite. C’est lui pourtant qui impose sa censure à la pensée et à l’université en exerçant un contrôle des sources de la connaissance, de sa production et de sa diffusion. Tel est l’état de la liberté de la pensée et de l’université dans mon pays et ma patrie: la Tunisie. » (“Horizons Maghrébins” n° 46/2002) – Réveil Tunisien – 11 Décembre 2002).

Ou encore ce que dit Irashad Manji, canadienne, présentatrice de télévision, dans l’ouvrage qu’elle vient de publier (« Musulmane mais libre » – Irshad Manji – Grasset) :« Au point ou nous en sommes, la réforme ne consiste pas à dire aux Musulmans ordinaires ce qu’il ne faut pas penser, mais de demander au milliard de croyants de l’Islam la permission de penser. »

Libre arbitre et temporalité de la punition

La notion même de liberté est très différente suivant que l’on a des racines chrétiennes ou musulmanes. Ainsi chez Saint Thomas (Somme théologique, I, qu. 83) :

« L’homme possède le libre arbitre, ou alors, les conseils, les exhortations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments, seraient vains ».

La liberté de pensée et le libre arbitre sont indissociables.

Dans la religion chrétienne, l’homme est libre de choisir entre le bien et le mal et la punition n’est pas terrestre. Le Christianisme interdit de juger et de châtier : « ne jugez pas afin de n’être pas jugés.”

Dans l’islam, le libre arbitre est interdit et la punition commence par être temporelle avant d’être spirituelle. Cette différence est essentielle pour les régimes politiques. L‘individu ne réagit pas par morale individuelle construite, mais par peur du châtiment terrestre. Nous sommes bien éloignés de l’homme libre.

Cette divergence conduit d’ailleurs les musulmans à penser que le Christ avait la prescience de la future conduite de la prostituée qu’il a défendue : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » Les musulmans pensent que si le Christ a prononcé ces paroles, c’est parce qu’il savait qu’elle ne pécherait plus.

L’interprétation actuelle de l’Eglise est tout autre. Si le Christ l’a laissée aller, c’est parce qu’il la laissait juge de ce qu’elle avait à faire. Il lui laissait son libre arbitre.

Effectivement nous sommes bien loin des lapidations qui se pratiquent encore dans certains pays de Droit coranique.

LE DROIT AU DOUTE : Philosophie matière interdite

Le droit au doute est bien la première étape de cette liberté de pensée.
Comment penser librement s’il est interdit de remettre en question les fondements existants ?

C’est ce droit de douter qui lui donne sa liberté de choix, son libre arbitre… sinon il ne serait que prédestination, programmation génétique et toutes ses actions deviendraient prévisibles, niant par là, l’essence même de son humanité et de sa capacité d’évoluer.

Dans la religion Chrétienne, le doute est permis, le Christ à douté sur la Croix et c’est même cette capacité qui donne au chrétien le sens de son libre arbitre tel que Saint Thomas d’Aquin l’a décrit.

Dans la religion Juive, il est recommandé et cette recherche est bien l’un des objectifs du Talmud.

Dans l’islam il est interdit puisqu’il se limite au doute sur l’essence de Dieu. Ainsi, selon le Professeur Jamâl Al-Bannâ (islamophile.org) :

“Nous pensons que la gravitation de la pensée islamique autour de concept divin a fait que le « droit vrai » (al-haqq) [5] est considéré comme l’absolu principe régissant la société islamique. La liberté découle de ce droit vrai et est en réalité une de ses manifestations. Tout cela est incontestable. Mais en même temps, il est nécessaire de faire exception d’une seule liberté. Cette exception ne cherche pas à s’opposer au droit vrai ou à le détruire, mais elle seule permet de garantir une saine compréhension du principe de droit vrai. Cette liberté est la liberté de pensée et de conscience.

L’unique limite à laquelle s’arrête cette liberté est l’Essence de Dieu – Exalté soit-Il – et Sa Nature. La raison humaine n’est en effet pas disposée à traiter cette question. Tous les philosophes et les penseurs, des quatre coins du monde, depuis Socrate jusqu’à aujourd’hui, n’ont pu parvenir à aucune réponse probante en étudiant cette question. A partir de là, l’unique danger contre lequel l’Islam a mis en garde vis-à-vis de la pensée est la réflexion sur l’Essence de Dieu. En dehors de ce point, l’Islam accorde à la liberté de pensée une latitude inconditionnelle.”

Il est facile de relever la contradiction de ce discours. Comment prétendre que la liberté de pensée est autorisée, si sa base qui est le doute même de l’existence de Dieu et non de son essence est interdite. Sachant que Dieu ayant délivré aux hommes ses règles et ses lois, l’interdiction de douter de son existence entraîne de fait l’interdiction de douter des règles édictées.

La philosophie est par essence une matière inutile et interdite. Elle est d’ailleurs de plus en plus contestée dans les programmes scolaires de notre Education nationale par les mouvements radicaux. Sa contestation prend sa source dans l’interdiction de douter.

Encore une fois, nous sommes bien éloignés d’un Descartes ou d’un Pascal et de la conception chrétienne du doute et de la philosophie. Nous sommes encore plus éloignés d’un Spinoza.

Quand aux existentialistes, je ne peux même pas les évoquer, ils n’ont pas le droit d’existence suivant le modèle de la pensée coranique.

Le Monde Musulman a eu, certes, quelques philosophes comme Averroës. Mais ils furent souvent condamnés ou poursuivis par les pouvoirs en place, Averroës fut exilé en 1195. Et si il nous a permis de sauver la pensée d’Aristote, son influence sur le monde islamique fut très faible par la suite et ironie de l’histoire, c’est à des juifs et des chrétiens que l’on doit la conservation et la traduction de son œuvre puisque ses commentaires sur la pensée d’Aristote furent traduits en Hébreu et en Latin et qu’ils eurent par la suite une grande influence sur la pensée philosophique de l’Europe médiévale.