Une croisée de l’Empire du Bien
J’évoquais dans mon précédent édito la scène d’un tribunal où un écrivain, Céline, était confronté à deux procureurs. Une autre scène, de plus vaste dimension – un plateau de télévision –, nous a offert un spectacle similaire, mais avec une inversion des rôles : l’accusé n’est plus un immense écrivain mais un homme politique, François Fillon, et le procureur, pas un magistrat mais une romancière, Christine Angot. Ce fut un ahurissant spectacle que cette confrontation, quelque chose comme l’irruption d’une de ces déesses infernales qu’on appelait dans la Grèce antique les Érynies. Elles étaient envoyées pour juger les humains ayant fait le mal et leur infliger des tourments sans fin. C’est ainsi que les (ir)responsables de France2 crurent médiatiquement vendeur de livrer aux mains de l’une de ces divinités persécutrices celui qui, aux yeux de la justice (bien qu’elle n’eût pas encore rendu son verdict), et surtout de la morale, était l’incarnation même du mal. Inquiétante époque où des écrivains, qui n’ont à être ni des philosophes, ni des moralistes, ni des prêtres, ni des censeurs, ni des juges, endossent la tenue de vigiles de l’Empire du Bien, pour reprendre l’expression de Philippe Muray. Baudelaire, lui, voyait en cette police la «canaille littéraire». Faut-il rappeler quelques-uns de leurs hauts faits ? La pétition lancée par une autre femme écrivain pour que Richard Millet soit chassé de chez Gallimard (ce qui fut fait), celle de trois justiciers, un romancier imposteur, un soi-disant philosophe et un éditeur, pour exiger que Marcel Gauchet soit interdit de parole à un colloque sur l’Histoire, celle pour que Renaud Camus ne soit plus publié chez son éditeur habituel (ce qui fut obtenu)… Certes, le prétendant à la présidence de la République n’appartient pas, loin s’en faut, à l’Empire du Bien, mais de quelle haute vertu la grande Redresseuse de torts se prévaut-elle pour le juger ? Qui l’a missionnée? Le peuple de France dont cette Jeanne d’Arc réincarnée aurait entendu les voix (les mêmes qui lui enjoignirent de convaincre le bon roi François2 de sauver la Patrie?). Sa conscience? Que ne l’interroge-t-elle d’abord sur sa personne et ses propres turpitudes ? «Que celui qui n’a pas péché lui jette la première pierre », lançait le Christ aux persécuteurs de la pécheresse. Parole évangélique qui aurait pu retenir les mains de la Pasionaria du Bien quand, déjà, dans des circonstances plus anciennes, elles tentèrent de lapider un autre maudit, Dominique Strauss-Kahn, alors accusé du viol de la jeune Tristane Banon (crime dont il fut innocenté par la justice). C’est ainsi qu’on a pu assister, diffusé par le journal télévisé, au défilé d’une troupe de féministes tapageuses au sein de laquelle on retrouvait une Christine Angot qui, munie d’un micro, appelait à l’envoi du criminel devant une cour d’assises. Au cours des siècles passés, les écrivains se mobilisaient pour libérer des humains de leur geôle, voici venu le temps où ils se déchaînent pour les envoyer croupir derrière les barreaux (peine encourue pour viol : entre dix à vingt ans). Christine Angot fit le récit de cette indigne chasse à l’homme, dans son livre la Petite Foule, paru en 2014. Sa lecture est édifiante, elle donne matière à réfléchir sur ce qu’est l’instance de la vérité dans l’autobiographie et l’autofiction.
Souhaitons à Christine Angot de ne jamais avoir à se trouver à son tour face à quelque Saint-Just de plus haute vertu qu’elle, qui la jugera en pesant sa vie et ses livres sur la redoutable balance où se mesurent pour l’éternité le Bien et le Mal.
Jacques Henric
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The virtuous crusader
In my previous editorial I talked about the writer Céline facing yet another trial from two prosecutors. Last March offered the spectacle of another, bigger tribunal, in a TV studio. This time, though, the roles had changed: the man in the box was not a great writer but a politician, François Fillon, and the prosecutor was not a magistrate but a novelist, Christine Angot. The confrontation was flabbergasting, like witnessing the irruption of one of those infernal goddesses the Ancient Greeks called the Erinyes, sent to judge wrongdoing humans and condemn them to endless torment. This, it seems, is how those (ir)responsible for programming at France2 TV thought they could sell their subject, by exposing to one of these furies a man who, in the eyes of the law (although it hasn’t delivered its verdict yet), and above all the eyes of the moralists, was the very embodiment of evil. These are worrying times when writers, who have no business playing the philosopher, moralist, priest, censor or judge, parade as protectors of what Philippe Muray acerbically called the Empire of Good. For Baudelaire, this police was a kind of “literary rabble.” Here are some of their recent petitions: one (started by another woman writer) to oust novelist Richard Millet from Gallimard (and ousted he was); one by a novelist-imposter, a self-styled philosopher and a publisher to keep Marcel Gauchet from speaking at a symposium on history, and one to get Renaud Camus dropped by his faithful publisher (and he was). Now, I’m not saying that Fillon, a candidate for the French presidency, is a figure of impeccable rectitude, but from what throne of virtue is our Righter of Wrongs judging from? Who entrusted her with that mission? The people of France, whose voice our literary reincarnation of Joan of Arc claims to have heard (and presumably it was these voices that prompted her to implore our Good King François II—that’s Hollande to me and you—to go back on his decision not to stand and thus save the country)? Her conscience? Why doesn’t she have a thought for her own life, her own turpitudes? “Let him who is without sin cast the first stone,” said Christ, admonishing those who would persecute the woman taken in adultery. Those words from the Gospel might have stayed the hand of our Pasionara, when, years ago now, she wanted to lapidate another sinning wretch, Dominique Strauss- Kahn, who was accused of raping the young Tristane Banon (he was eventually acquitted). At the time, I remember seeing the film of a troupe of clamorous feminists among whom Angot, microphone in hand, was calling for the criminal to be hauled before the court. There was a time (in past centuries) when writers campaigned to free humans from their jails; today, they seem impatient to get them behind bars (the tariff for rape is ten to twenty years in France). Angot described this unsavory manhunt in her 2014 book La Petite foule. It’s an interesting read, food for thought about the role of truth in autobiography and fiction.
Let us hope that Ms. Angot never finds herself facing some Saint- Just of superior virtue who will judge her by weighing her life and books on the redoubtable scales where Good and Evil are counted off for All Time.
Jacques Henric
Translation, C. Penwarden