Devoirs et Leçons : ces deux mots ont dominé toute notre scolarité, notamment à l’École Primaire.
Notre vie s’articulait autour des devoirs à faire et des leçons à apprendre.
Maths et Français : ces deux disciplines constituaient les matières reines, dans lesquelles il fallait être bon, et sur lesquelles on était jugé.
Les devoirs de français occupaient donc une place capitale dans le travail à accomplir.
Ce mot de « devoir » avait alors un double sens.
Il s’agissait bien sûr d’un travail éducatif donné par un enseignant à ses élèves, devoir en classe ou devoir à la maison.
C’était aussi une obligation morale. Un devoir est imposé par la loi et les conventions sociales. C’est une responsabilité, il faut remplir son devoir de citoyen, avoir le sens du devoir.
Ces 2 acceptions avaient du sens dans les années cinquante. Aujourd’hui, cette valeur morale est un peu oubliée, on parle plus des droits des élèves que de leurs devoirs !
Au primaire, dans le terme de devoir de français on incluait la dictée, l’analyse grammaticale, la conjugaison, et surtout la rédaction. Dans ce texte nous resterons sur les notions de rédaction et dissertation.
Il s’agissait de rédiger un texte à partir d’un sujet donné par l’instituteur (on ne disait pas « maître d’école », mais instit en abrégé).
Ces rédactions se faisaient en classe ou à la maison, sachant que les devoirs de français à faire chez soi furent assez rapidement supprimés.
Les sujets étaient simples, il s’agissait le plus souvent de réaliser une description ou de décrire une situation. Chacun devant puiser dans sa vie d’enfant ou ses souvenirs la matière de son texte.
L’ami Ben se souvient de son école primaire :
Voilà comment cela se déroulait : le « maître » lisait une histoire, autour de 5 bonnes minutes ; ensuite à nous de la résumer, format : un texte de quelques 20 lignes tenant sur une page de cahier et conclue, illustrée en bas de page par un dessin, occupant la largeur de la page et une hauteur de 2 carreaux 5×5. Autant dire un exercice de haute voltige combinant écoute, synthèse, expression écrite et plus ou moins artistique. Ça m’allait bien.
Puis avec le temps, les sujets se sont ouverts et ont fait appel à l’imagination : raconter une histoire que l’on n’a pas vécue, et qu’il faut totalement imaginer. C’est le type de sujets qui apparaissent au lycée en 6ème et 5ème.
Alors que tous les devoirs étaient alors normés, sans échappatoire, comme les exercices imposés en patinage artistique ou en gymnastique, la rédaction était l’un des seuls ou l’on pouvait faire appel à son imagination et à sa créativité : c’était l’un des rares domaines de liberté dans l’école de notre enfance. Si l’on sentait une certaine complicité et de l’encouragement chez son instituteur ou son professeur, on se livrait davantage, poussé par le désir d’une expression personnalisée, et par une émulation pour être le meilleur élève de la classe. C’était gagné si le maître avait l’intelligence de nous faire lire nos textes devant toute la classe !
Rédaction sur un sujet d’imagination – Classe de 5ème au lycée de Toulouse Bellevue
C’est ainsi que j’ai pris goût à l’écriture, aidé par une passion pour la lecture, indispensable pour acquérir du vocabulaire et enregistrer des tournures de phrases.
Je ne me considère pas comme « doué », mais j’étais doté d’une certaine facilité pour l’écriture, alors que j’avais plus de mal à raconter oralement les mêmes histoires, contrairement à certains camarades qui avaient l’élocution facile mais la rédaction difficile.
Le devoir de français, c’était l’aventure, malgré un cadre contraint, une école à la fois de discipline et de créativité.
A noter que le prix de français était l’un des plus prisés à l’époque.
Et oui, on distribuait encore des prix, concrétisés par un livre offert au prix d’excellence au primaire ; un beau livre de la collection « Rouge et Or », que les parents seraient fiers de montrer à la famille et aux amis…
Au lycée, ce serait encore mieux avec un prix par matière, le prix de français étant le plus recherché.
Je me souviens qu’en cinquième, avec Jean-Claude Danis, surdoué et poète, nous avions organisé un combat fraternel, dont l’objet était de rédiger le plus grand nombre de pages. De 2 copies on était passé à 3, soit de 8 à 12 pages. On avait remarqué qu’au-dessus d’une certaine longueur, le professeur de français ne lisait plus les devoirs, et qu’il nous mettait invariablement une note supérieure à 15 sur 20, avec 2 annotations, un B (bien) sur la première et la dernière page…
Évidemment nous nous partagions le premier prix de français !
Le plan apparaît en 4ème. J’ai retrouvé des devoirs présentés ainsi :
1 – le sujet
2 – le plan détaillé
3 – le développement
Lycée Bellevue – 4ème AB1 – Le plan s’intercale entre le sujet et le développement.
Fait important, en 1956, à l’initiative d’un excellent professeur, M. Gayan (Français /Allemand), la classe de sixième 5 du Lycée Bellevue, avait rédigé un livre, « Atterrissage Forcé », qui fut édité. Chaque élève en avait rédigé une partie.
Cette œuvre commune, en plus de développer le travail en équipe, montrait le chemin vers l’écriture d’un livre. Une expérience intéressante à l’âge de 11/12 ans, marquée par le plaisir d’y voir figurer son nom : de quoi donner des idées pour plus tard.
En Terminale, une étape sera vite franchie avec le passage à la dissertation, qui entraîne le respect d’une plus grande discipline. En apparence seulement, car une fois les règles assimilées, plan, introduction, thèse, antithèse, synthèse, conclusion, on retrouve totalement sa liberté.
On joue même avec les règles, c’est ainsi que je pris vite l’habitude de commencer par rédiger l’introduction et la conclusion, avant de rédiger les 3 parties imposées : de cette manière, je savais où j’allais, et je plaçais d’entrée les citations attendues. Ensuite il ne restait plus qu’à remplir les parties démonstratives.
De cette manière le devoir était sous contrôle, ce qui me permettait de terminer parmi les premiers, bien sûr de manière ostensible, pour impressionner mes rivaux, car il y avait une vraie concurrence.
Ayant percé la psychologie des enseignants, j’appris assez vite à exprimer, non pas mes idées personnelles, mais les leurs. C’était facile car l’idéologie de gauche dominait et la plupart des professeurs de français étaient socialistes ou communistes.
C’était d’autant plus facile, que dans ma famille, on pensait alors à gauche.
L’adaptation aux idées des correcteurs était une assurance de réussite aux examens et concours, et je saurais m’en servir pour passer l’écrit de diplômes universitaires, Propédeutique, Certificats de Sociologie et Psychologie.
Cette situation fut aussi valable pour HEC où une majorité de professeurs ne juraient que par le quotidien « Le Monde », le journal de référence, dans une École qui devait former les cadres de l’Économie Française…
La rigueur et la discipline qu’impliquait l’art de la dissertation étaient certes utiles en français, mais aussi dans toutes les matières qui nécessitaient de rédiger un texte : philo, histoire, géographie, langues, et plus tard, méthode (avec les célèbres comptoirs d’Albert Memmi), droit, étude de cas, etc…
En Prépa : Les classes préparatoires aux Écoles de Commerce nous firent découvrir une nouvelle épreuve de français, originale et formatrice : la contraction de texte.
Il s’agissait de résumer en 500 mots un texte de 3000 à 5000 mots, tout en en conservant la substantifique moëlle.
Ce travail obligeait à analyser le texte pour en retirer l’essentiel.
Il démontrait que l’on pouvait toujours faire plus court, et incitait à la concision et à la précision, en éliminant toutes les fioritures inutiles. Pour des littéraires épris de longs développements verbeux et redondants, ce serait une épreuve formatrice, que l’on devrait imposer dans le monde universitaire.
Et, oh miracle, le texte raccourci devenait plus simple et plus clair !
Ce « jeu de français », appliqué à la vie professionnelle, ouvrirait la porte à des rapports et des compte rendus brefs, concis, donc faciles à lire vite, et de ce fait, convaincants.
Combien de fois l’un de mes patrons préférés, Jean Halley a-t-il déclaré en réunion, qu’il ne lisait pas les rapports de plus de 2 pages !
Et combien d’universitaires auraient eu intérêt à pratiquer cette technique pour produire des thèses ou des livres dont la longueur est inversement proportionnelle à la qualité et à la clarté de lecture !
Genèse d’un Style
De la rédaction à la dissertation, via la contraction de texte, il y a moyen d’acquérir les bases d’une expression écrite maîtrisée et efficace, qui restera utile tout au long de sa vie professionnelle et privée.
Chacun pouvait s’en servir pour créer son propre style.
Au fil d’une vie, le style s’affirme et l’on se sent alors capable d’écrire des chroniques pour MF, et de laisser une trace sur les Trente Glorieuses.
A une condition, d’avoir intégré tous les enseignements, ou plutôt de les avoir refondus à sa manière : « Le style, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ».
Les échanges épistolaires en bénéficiaient également, du moins dans ma jeunesse.
Quel plaisir de rédiger ou de recevoir une lettre bien construite et agréable à lire. Dommage que le téléphone puis les échanges sur le net soient venus tarir cette source de communication.
Les lettres de ma mère, dans un style simple et direct, sont encore un régal. Avec sa belle écriture bien ronde, elle raconte joliment les évènements quotidiens, en faisant revivre une époque aujourd’hui révolue.
Je citerai également les belles lettres de Ursula Savelsberg. *
On n’hésitait pas alors à rédiger une lettre, car la poste fonctionnait vite et bien. Une lettre par jour, c’est le rythme tenu avec MC pendant notre année de séparation (1963/1964).
Une vraie discipline de diariste, qui consistait à rédiger tous les soirs une missive recto/verso.
Que serait-il advenu de Mme de Sévigné de nos jours ? Peut-être aurait elle excellé dans les romans épistolaires !
Choderlos de Laclos aurait-il écrit « Les Liaisons Dangereuses » ?
La perte, entre autres, de ce support de communication est préjudiciable à l’art d’écrire de nos jeunes, dont le style s’est appauvri. Il n’y a pas qu’en mathématiques que le niveau général régresse.
Mais où sont passés les devoirs de français d’antan ?
Photo Titre – Légende : 1953 1954
École Marengo Toulouse
Classe de M. Daubèze CE1
Je suis devant à droite, porte-plume à la main, j’ai 9 ans
Atterrissage Forcé – Introduction – Début du Chapitre 1
*URSULA SAVELSBERG : UNE GRANDE DAME DE GOÛT ET DE CULTURE
Chronique du 15 06 2021