Tchekhov serait-il satisfait de voir sa Mouette autant revisitée ces temps-ci en France ? Cet été, en Avignon, la version hyper branchée et démesurément étirée (4h15 !) d’Arthur Nauzyciel a défrayé la chronique : c’est peu dire que les comédiens affublés d’un masque d’oiseau, les libertés prises avec le texte, la musique du groupe Winter Family, le décor de marée noire ont davantage agacé (avant d’endormir) que convaincu les spectateurs. La version de Christian Benedetti montée l’année dernière à Alfortville et montrée cet automne à l’Athénée à Paris, en costume moderne et sans décor, d’une parfaite fidélité au texte, a par contre séduit, tandis que la première de la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia est attendue pour ce mois-ci au CDN (Centre dramatique national) des Pays de Loire à Angers. Mais l’on parlera ici d’Une Mouette, présentée en octobre au théâtre Paris-Villette par Isabelle Lafon (qui s’est déjà fait remarquer par des adaptations d’œuvres non écrites pour le théâtre).
Le changement d’article (« une » au lieu de « la ») indique d’emblée que nous avons affaire à une interprétation très personnelle de la pièce de Tchekhov. De fait la distribution qui prévoit onze comédiens (dont sept hommes) est ici réduite à cinq comédiennes (parmi lesquelles Isabelle Lafon elle-même). Elles demeureront presque constamment alignées face aux spectateurs, comme sur la photo : si l’une d’elles se détourne un moment, elle ne tarde pas à reprendre sa position initiale. Il n’y a (bien évidemment) ni décor ni costumes. Enfin le texte se trouve quelque peu raccourci.
Pour rendre intelligible une histoire qui n’est pas particulièrement simple, les comédiennes disent toutes les didascalies, heureusement très détaillées chez Tchekhov. Et comme ce n’est pas toujours suffisant, il leur arrive de préciser oralement quel rôle elles endossent.
Le résultat de cette simplification drastique de La Mouette est mitigé. Au premier abord on est séduit par l’originalité et l’audace du parti adopté par Isabelle Lafont. D’autant qu’elle introduit dans le jeu de ses comédiennes quelques aspects proprement comiques qui contribuent à la respiration du spectacle, de même que les silences ménagés à bon escient. Cela étant posé, les inconvénients de la méthode ne tardent pas à se faire sentir. Ce n’est pas par hasard si Tchekhov a multiplié les didascalies : il entendait que sa pièce soit jouée et pas seulement récitée avec une distribution réduite. Par ailleurs c’est peut-être très branché d’épurer parfois jusqu’à l’abstraction mais cela n’aide pas à la compréhension de l’histoire ! Le texte a beau être là et plutôt bien dit, la confusion de plusieurs personnages en une seule interprète (ou la répartition d’un rôle entre plusieurs comédiennes, cas de figure inverse qui se présente aussi), la présence constante sur le plateau de la brochette des cinq comédiennes en position frontale, immobiles ou presque, autant d’éléments qui ne facilitent pas la tâche des spectateurs qui ne connaîtraient pas déjà la pièce. Et si la tâche est évidemment plus aisée pour un spectateur averti, cela ne l’empêchera pas de s’interroger sur le bien fondé de cette transformation de La Mouette en Une Mouette.
Selim Lander, novembre 2013.
PS : L’avenir du théâtre Paris-Villette est menacé, la ville de Paris ayant décidé d’interrompre son financement. Il serait dommage que disparaisse une salle qui se distinguait par la production de spectacles novateurs et souvent audacieux (avec tous les risques que comporte ce genre d’entreprises, évidemment). Une pétition pour la défense de ce théâtre est disponible sur la toile : http://petition.theatre-paris-villette.com/