La première « vraie » pièce de Tchekhov[i], créée à Moscou en 1887, Ivanov n’est pas la plus célèbre et l’on comprend pourquoi depuis qu’elle est montrée à l’Odéon. Contrairement aux pièces les plus connues de Tchekhov, où la déréliction se trouve agréablement compensée par la poésie et l’humour, Ivanov est littéralement plombée par le personnage éponyme, le type même du looser, désespéré de surcroît, incapable du moindre sursaut, tout au plus capable de se juger avec une lucidité telle qu’elle ne peut que renforcer sa désespérance. Sa première épouse est atteinte de la tuberculose (comme Tchekhov lui-même) et meurt pendant l’entre-acte, ce qui ne contribue pas à nous ragaillardir. Quant à la deuxième épouse (le mariage occupe la deuxième partie de la pièce), elle essaye bien de ranimer un peu le malheureux Ivanov mais sans succès. L’amour éperdu de ces deux femmes pour un individu réduit à l’état de loque humaine n’aide d’ailleurs pas à la vraisemblance de la pièce. Les comparses sont censés apporter un élément comique ; hélas, ils ne parviennent pas à dérider la salle, sinon sporadiquement.
Reste un spectacle. Le décor de Richard Pedruzzi (qui fut le partenaire privilégié de Patrice Chéreau), qui fait se succéder au départ trois façades de maison emboitées est astucieux. La mise en scène de Luc Bondy est inventive, tout en restant dans un registre très classique. Un degré de fantaisie parmi d’autres : alors que les costumes évoquent le plus souvent le XIXe siècle, certaines comédiennes sont plutôt court vêtues, à l’instar de Sacha, la deuxième épouse. La distribution compte quatorze personnages, deux musiciens (accordéon et violon) plus quelques figurants et tout cela est mis en musique – si l’on peut dire – sans fausse note. On n’a pas moins l’impression que Luc Bondy s’est essentiellement intéressé à Ivanov et à Sacha. De fait, les deux grandes scènes entre eux deux sont particulièrement réussies. Mais il y a d’autres belles choses, en particulier le cortège de la noce qui arrive en vacillant derrière une cloison transparente avant de s’effondrer.
Ivanov est interprété par Micha Lescot. Déjà requis à plusieurs reprises pour des spectacles de Luc Bondy, grand et dégingandé, presque constamment vouté, il campe un personnage déliquescent à souhait et sa prestation lui vaut d’être nommé pour le prochain Molière du meilleur acteur (résultat le 27 avril 2015). Ses deux épouses successives, Marina Hands et Victoire Du Bois, touchent chacune dans le registre particulier qui lui est assigné. Les comparses tirent parti comme ils peuvent de leurs personnages trop caricaturaux pour intéresser vraiment et pas assez drôles pour nous amuser.
Nous avons interrogé ailleurs la tendance des metteurs en scène en vogue à vouloir monter des œuvres mineures des grands auteurs du répertoire[ii]. C’est d’autant plus le cas ici que Luc Bondy a préféré la première version d’Ivanov (1887), qui rencontra l’incompréhension générale, à la seconde (1789) qui obtint un triomphe, s’il faut en croire Wikipedia.
À l’Odéon – Théâtre de l’Europe du 7 avril au 3 mai 2015.
[i] Platonov n’ayant jamais été jouée du vivant de Tchekhov.
[ii] Cf. http://www.criticalstages.org/metteur-en-scne-et-auteur-une-confusion-risque/ (à propos de La Double Mort de l’horloger d’après Ödon von Horvath).