Haïti 2020
Haïti, hélas ! Alors que la grogne contre le président Jovenel Moïse (« le petit planteur de bananes », élu en 2017) – tout aussi incapable ou indésireux que ses prédécesseurs d’améliorer la situation de son peuple – ne cesse point, il y a toutes les raisons de désespérer. Le peuple haïtien, si fier d’être le premier à s’être débarrassé du joug d’une puissance coloniale (la France, en l’occurrence, en 1804), et qui jouit à ce titre d’un extraordinaire prestige dans le Tiers-Monde et chez les tiers-mondistes, ne sait plus à quel saint se vouer. Les « loas » du culte vaudou ne l’aident pas mieux que les trois hypostases du Dieu chrétien à sortir de la misère et à échapper à la violence du pouvoir ou des bandes armées (elles-mêmes actionnées ou non par le pouvoir). La télévision nous montre jusqu’à plus soif les images des rues encombrées de piétons, de mendiants estropiés ou non, de vendeurs à la sauvette (quelques fruits ou quelques légumes posés sur un chiffon à même le sol) quand ce n’est pas des images de décharges en plein-air où des cochons disputent aux enfants quelques déchets réutilisables. Et nul n’ignore que le pays est loin d’avoir relevé toutes les ruines du séisme dévastateur du 12 janvier 2010.
Pour contrebalancer un tel bilan, on sait seulement qu’Haïti demeure un pays de culture : culture populaire avec ses peintres naïfs, culture savante avec ses poètes et ses écrivains. Parmi ces derniers, on n’oublie pas que l’un d’entre eux a été élu à l’Académie française et qu’une autre enseigne cette année au Collège de France. Mais l’on ne s’attend pas à être émerveillé par les prestations d’un ballet d’Haïti ou par ses chanteurs.
° °
°
Ayikodans
Dans le cadre d’une semaine « Haïti » organisée par Tropiques-Atrium, la « Scène nationale » de Martinique, pour commémorer le tremblement de terre, au cours de laquelle on put assister à des films, des conférences, entendre un poète, des chanteurs, une soirée fut consacrée à la danse. Le ballet Ayikodans, dirigé par le chorégraphe Jeanguy Saintus a présenté une pièce intitulée « Cri des Nago », une sorte de cérémonie sacrée présentée comme une invocation des divinités de la force et du feu (1).
On est séduit d’emblée par l’impression de force qui surgit de cette chorégraphie. Si ce n’est pas la grâce qui est convoquée ici, l’élégance, quant à elle, est tout le temps présente. La force est d’abord dans les corps musculeux des danseurs en majorité masculins. Quant à l’élégance, elle est partout, dans les costumes, dans les déplacements, dans la musique. Si la danse n’est pas aussi sophistiquée que chez certains chorégraphes contemporains, elle est efficace et les danseurs s’y plient parfaitement. Il y a beaucoup de sauts, de tremblements, d’amples mouvements des bras. A certains moments les danseurs se saisissent de casseroles, d’assiettes, accessoires rudimentaires en signe d’une vie réduite à l’essentiel. A un autre moment un bâton surgit, sans doute une référence directe au projet « Kita Nago », né après le séisme, qui a vu promener à bout de bras un gros bâton de 500 kilos d’un bout à l’autre de l’île en signe de résilience, de solidarité, du désir de se mettre ensemble pour construire.
Il faut dire ici l’importance de la musique qui accompagne mais ne s’impose pas, avec même de longues séquences silencieuses. La musique elle-même fait alterner les morceaux aux tambours et les chants a capella interprétés par Hadler Cherry et Renette Désir. A défaut de comprendre leur signification, on se laisse emporter par ces étranges mélopées qui ne sont pas la moindre contribution à la dimension cérémonielle de cette pièce.
Cri des Nagos, chorégraphie de Jeanguy Saintus, avec sept danseurs et rois danseuses.
° °
°
Chants
La soirée de clôture de cette semaine haïtienne a permis d’entendre trois personnalités de la scène musicale, soit dans leur ordre de passage le chanteur albinos James Germain, la jeune chanteuse Renette Désir (cf. supra) et pour finir Emeline Michel, la « reine » de la chanson haïtienne. Ces trois artistes – accompagnés par six instrumentistes dont la pianiste Yayol Ikawa – dont la renommée a dépassé les frontières de leur pays ont offert au public martiniquais un concert de qualité, les deux premiers dans le gospel, la dernière avec des chants à texte engagés, le plus souvent en langue française (2).
Tropiques-Atrium Scène nationale, Fort-de-France, 7 au 11 janvier 2020.
(1) Concernant les références au vaudou de cette pièce, voir l’article de Janine Bailly sur Madinin’art. https://www.madinin-art.net/cri-des-nago-une-ile-en-danse-et-en-transe/
(2) La Dominicaine Xiomara Fortuna, invitée en complément du trio, chante en espagnol sur de la musique latino sans grande originalité.