Scènes

« Frontières de l’invisible » : le retour de Syhem Belkhodja au Pavillon Noir

Salvador Dali

Salvador Dali

On se souvient peut-être de Turbulences, le ballet pour quatre danseurs et deux danseuses de la chorégraphe tunisienne Syhem Belkhodja présenté déjà chez Preljocaj à Aix-en-Provence à l’automne 2012 et dont Michel Herland avait rendu compte ici-même[i]. S. Belkhodja est de retour en cet automne 2016 avec une troupe de douze danseurs, moitié filles-moitié garçons[ii].

Frontières de l’invisible : dans ce titre équivoque, c’est le mot « frontières » qu’il faut retenir puisque les migrations contemporaines constituent le sujet du ballet. Au début, une dizaine de barrières métalliques constituent un passage emprunté par les migrants. Vêtus simplement, chaussés de baskets, ils avancent, péniblement. On remarque une femme enceinte. Parfois l’un d’eux se fait arrêter et rudoyer par un policier. Puis quelqu’un se met à courir, bientôt suivi par les autres. Le ballet peut vraiment commencer. Ou du moins le devrait-il, car S. Belkhodja semble moins intéressée par la danse que par le message qu’elle entend faire passer. Ce en quoi elle réussit, les tableaux qu’elle présente successivement étant autant d’illustrations de situations hélas trop réelles. On pense, ce n’est qu’un exemple, à la représentation du viol de l’une des filles, déjà enceinte, par les garçons. Ces derniers sont accrochés aux barrières par les mains et par les pieds, leurs ventres touchant presque à terre et la fille couchée passe sous chacun d’eux en roulant sur le côté. Plus tard, on assistera à son accouchement et l’on entendra son cri d’horreur quand elle découvrira son bébé mort-né.

belkhodja

Les barrières changent plusieurs fois de position ; elles se dressent comme des lampadaires autour de la fille en travail ; à un autre moment, elles deviennent un accessoire avec lequel danser. Fallait-il alors désigner pour cette tâche la seule des filles portant des chaussures à talons ? La barrière pesant son poids, on se doute que la danseuse a bien du mal à maintenir son équilibre. D’une manière générale, ces barrières se révèlent sources de tracas : lors de la première, une autre danseuse a renversé la barrière sur laquelle elle prenait un appui, laquelle est venue choir à un mètre du rang des officiels, une autre encore a échoué à relever seule celle qui lui revenait, …

Le ballet est divisé en deux parties. Après les tableaux empreints de brutalité racontant la migration, la troupe revient tout de blanc vêtue et les pieds nus. On ne sait pas très bien où l’on se trouve. Au paradis ? Ce pourrait être le cas sauf la présence d’une aveugle, une danseuse les yeux bandés, qui se fait malmener. Puis vient une scène « folklorique » qui est sans doute le moment le plus plaisant du spectacle, avec les garçons les filles assis par terre formant deux ronds séparés. Ils chantent a capella, chacun dans son camp, se défient, avant de se rejoindre et de se mettre finalement à danser ensemble.

Il y a incontestablement des bonnes choses dans ce ballet et beaucoup de bonnes intentions. Par contre les membres de la troupe n’ont pas paru à l’aise, le soir de la première, dans une chorégraphie pourtant bien peu exigeante à leur égard. Une seule danseuse est sortie du lot dans plusieurs morceaux de danse orientale auxquels ne manquaient ni la grâce ni un érotisme de bon aloi.

Pour conclure, on ne peut que se montrer indulgent à l’égard d’un spectacle présenté par des artistes en résidence et visiblement pas encore abouti. Il n’est d’ailleurs pas programmé dans la salle en gradins du Pavillon Noir mais dans un vaste studio où les spectateurs sont alignés le long des quatre murs.

Frontières de l’invisible, une chorégraphie de Syhem Belkhodja, Pavillon Noir, Aix-en-Provence, 6, 7 et 8 octobre 2016.

[i] http://mondesfr.wpengine.com/espaces/maghrebs/la-tunisie-daujourdhui-de-demain-et-dhier-se-donne-en-spectacle/

[ii] L’une des danseuses manquait à l’appel le soir de la première.