Jacques Rampal est un auteur de théâtre confirmé. Il le fallait pour s’attaquer simultanément au Misanthrope et au Tartuffe de Molière et écrire, aujourd’hui, en alexandrins, une pièce qui, au-delà de la comédie, s’avère un brûlot contre l’intégrisme religieux. Si la cible est la religion chrétienne, ou plutôt catholique et romaine, c’est bien en effet d’une dénonciation de l’arrogance des hommes d’Église(s), du pouvoir dont ils se croient investis et de l’absurdité des dogmes qu’il est question.
Célimène, chassée de la cour, s’est heureusement mariée à un riche bourgeois. Mais peut-être reste-t-il dans son cœur un sentiment pour Alceste. Ce dernier, pour échapper à ses démons, est entré dans les ordres. Son intransigeance faisant merveille, il revient de son exil romain avec le chapeau de cardinal (lequel chapeau aura sa part dans l’intrigue). Un beau jour, il décide de rendre visite à Célimène. La pièce raconte leur entrevue, plus que houleuse car Célimène, brillante et caustique, armée de surcroît d’un solide bon sens, ne peut que heurter les convictions d’Alceste, lesquelles n’ont pour elles que d’avoir été mille fois récitées. Jamais Molière n’aurait pu écrire, ou en tout cas faire jouer, une telle pièce au XVIIe siècle. En prenant soin de ne s’attaquer qu’à un faux dévot, il n’a pas moins suscité une cabale : on peut facilement imaginer ce qui serait advenu s’il avait pris pour cible un cardinal !
La Célimène de Rampal est un exemple de « l’honnête femme » du XVIIe siècle. Elle croit – malgré tout – en Dieu ; elle pratique même sa religion mais sans lui accorder toute l’importance exigée par les confesseurs et les prédicateurs. Elle est, au fond, une « tiède ». La marquise de Sévigné a bien exprimé cette attitude dans une lettre à sa fille datée du 10 août 1671.
Je ne suis ni à Dieu, ni au diable, parce qu’on craint Dieu et qu’au fond on a un principe de religion ; on n’est point à Dieu aussi, parce que sa loi est dure et qu’on n’aime point à se détruire soi-même. Cela compose les tièdes, dont le grand nombre ne m’inquiète point du tout ; j’entre dans leurs raisons. Cependant Dieu les hait ; il faut donc en sortir, et voilà la difficulté » (10 juin).
La Célimène de Rampal est simplement plus radicalement tiède, si l’on ose dire, que Marie de Rabutin-Chantal, car elle se montre sans remord. Attitude inacceptable aux yeux d’un cardinal à la foi brûlante et la pièce quitte un instant le registre de la comédie lorsqu’Alceste menace Célimène de l’excommunier et de provoquer la ruine de sa famille. Heureusement, Alceste ayant gardé, lui aussi, un faible pour Célimène, la pièce se terminera par une réconciliation dont on mesure, néanmoins, la fragilité.
Sujet passionnant, sujet d’actualité que celui de cette pièce, même si ce n’est pas l’intégrisme catholique qui inquiète le plus aujourd’hui. Cela ne suffit pas pour autant à expliquer son succès. Disons-le tout de suite, et avec force, tellement cela pouvait paraître improbable à notre époque où les littérateurs ont perdu l’habitude de versifier : le texte est admirable ; la musique allegro vivace des alexandrins s’y déploie avec autant d’élégance que dans les « grandes » comédies de Molière. Quant à l’interprétation, elle est elle aussi quasi parfaite. Gaëlle Billaut-Danno est une Célimène totalement crédible : impétueuse et émouvante quand il faut. Elle est « nommée » pour le « Molière » de la “révélation féminine” en 2015 et l’on ne serait pas surpris qu’elle remporte la palme (réponse le 27 avril). La partie de Pierre Azema est, d’une certaine manière, plus difficile, car son personnage est ballotté entre le gros bêta qui se laisse mener par le bout du nez par cette coquine de Célimène, et le prélat prêt à faire tomber la foudre sur la « pécheresse » impénitente. Plus grand et majestueux que ne le sont habituellement les Alceste de Molière, P. Azema entre bien dans l’habit de cardinal et ses colères ne paraissent pas feintes. Célimène a beau déployer toute sa rouerie, Alceste, finalement, se montre à sa hauteur. D’où cette impression que les deux comédiens (dirigés par Pascal Faber) sont toujours sur une corde raide.
S’il fallait reprocher quelque chose aux comédiens, on mentionnerait que leur diction, à quelques rares moments, n’est pas toujours parfaite, ce qui fait perdre certains mots du dialogue. L’art de la déclamation s’est perdu, mais c’est tant mieux tant celle-ci est éloignée du naturel. Pour le reste, Célimène et le Cardinal est une comédie et l’on pardonnera l’auteur si l’intrigue n’est pas toujours vraisemblable.
En tournée. Reprise à Paris en mai 2015.