Trahisons
La pièce la plus emblématique de Pinter, encore souvent jouée, et que l’on ne se lasse pas de revoir, est mise en scène par Daniel Mesguich dans une nouvelle traduction dont il est l’auteur. Il y interprète le rôle du mari, Robert, à côté d’Eric Verdun (Jerry, l’ami et l’amant) et de Sterenn Guirriec (Emma, la femme). Dans cette pièce à la construction rétroactive, Pinter parvient à nous tenir en haleine après nous avoir donné dès le début la fin de la pièce : Jerry découvre que son ami Robert est au courant depuis longtemps qu’il a été l’amant d’Emma, la femme de Robert. Le reste de la pièce raconte, à rebours du temps, l’amitié entre les deux hommes, en dépit de la passion qui naîtra entre Jerry et Emma, avant de mourir comme sans doute toutes les passions amoureuses. Cette amitié et cette passion sont basées toutes les deux sur le mensonge et donc la trahison. Mais ici tout le monde ment puisque Robert ne dira pas à Jerry qu’il sait ce que l’autre croît qu’il ne sait pas. Et Emma cache aussi à Jerry que Robert est au courant de leur liaison. Deux mensonges, par omission certes, mais qui détruisent la figure classique de l’adultère en faisant de l’amant un être trompé autant que trompeur.
Le spectateur, quant à lui, sait que Jerry ne sait pas que Robert sait. La traduction de Mesguich, comme son jeu en tant que Robert, souligne à bon escient toutes les situations dans lesquelles Jerry apparaît comme celui qui est trompé autant qu’il trompe. La mise en scène juxtapose par moments les différents lieux où se déroule la pièce (restaurant, salon de Robert et d’Emma, le studio où les amoureux se retrouvent, une chambre d’hôtel à Venise). Les accessoires se résument à peu de choses, mais on remarque les grands lits sur lesquels se prélasse Emma qui apparaît comme la reine autour de laquelle s’agitent deux bourdons malheureux. Il faut dire, en effet, que Sterenn Guirriec, sorte de Marylin ressuscitée, pulpeuse à souhait, qui joue la garce avec un naturel déconcertant, écrase un peu ses deux comparses. Tout leur talent n’empêche pas qu’on les sente un peu déconcertés par ce monstre de féminité.
Fratricide
Quand deux comédiens aussi aguerris que Pierre Santini et Jean-Pierre Kalfon se mettent ensemble (sur un texte de Dominique Warluzel) pour jouer deux frères qui se retrouvent dans l’antichambre du notaire qui doit leur lire le testament de leur père, on peut se rendre au théâtre les yeux fermés, certain de ne pas s’ennuyer. On sait d’avance que les deux frères vont se déchirer tout du long et qu’ils finiront (sans doute) par se réconcilier, mais peu importe le fin mot de la pièce : on est là pour voir jouer les deux monstres sacrés. Et l’on n’est pas déçu : ces deux-là jouent comme ils respirent. On est prêt à parier qu’ils sont plus à l’aise sur les planches que dans la vraie vie, que la vraie vie, pour ces deux-là, est sur les planches.
Le contraste entre les deux frères est poussé aussi loin que possible : l’un est un avocat arrivé, parangon de la bourgeoisie ; l’autre est ancien soldat perdu de la guerre d’Algérie récemment libéré de prison. Le testament du père est tordu à souhait, l’ex prisonnier se découvrira lui-même père d’un fils : il y a du grain à moudre pour les deux acteurs et ils s’en régalent.