Le Sorelle Macaluso
Emma Dante est installée avec sa compagnie à Palerme. Le spectacle qu’elle présente dans le IN d’Avignon, Le Sorelle Macaluso (Les Sœurs Macaluso) montre une Sicile populaire, pauvre mais rayonnante d’un humour et d’un appétit de vivre qui demeurent à travers l’adversité. Dix comédiennes et comédiens incarnent les sept sœurs, le père, la mère et le jeune fils de l’une des sœurs. Les mouvements sont réglés au millimètre (ou s’ils laissent place à une certaine improvisation, celle-ci ne paraît pas). Les séquences s’enchaînent et construisent peu à peu l’histoire de la famille, ses moments de joie ou de chagrin : une excursion à la mer (préparation et voyage en car compris) qui se terminera tragiquement par la noyade de l’une des sœurs ; le papa qui s’escrime pour élever seul ses sept filles ; le fils de l’une des sœurs, footballeur surdoué mais malade du cœur ; la maman qui revient d’outre-tombe pour donner un ultime conseil à ses filles (et retrouver son mari pour une dernière danse). Il y a beaucoup de deuils, comme c’est normal dans une famille nombreuse. Le spectacle débute et s’achève par la danse en solo de l’une des sœurs (Alessandra Fazzino). Le final, en particulier, est sublime, avec des changements de costumes successifs. La danseuse commence par dépouiller l’espèce d’uniforme – pantalon et chemise noire – que portent parfois les sœurs (quand elles ne sont pas en robes dépareillées ou en maillot de bain) et apparaît en body noir ; puis elle se dénude complètement et se met à enfiler un tutu blanc sans y parvenir tout-à-fait, car elle s’effondre avant, dans le bras de ses sœurs. Une mort sublime qui contraste avec la noyade qui prend tout le monde par surprise et avec celle du jeune génie du football, traitée sur le mode comique, avec une suite de chutes qui évoque ce que pourrait faire un marionnettiste avec ses figures, une parenté revendiquée par Emma Dante qui mentionne dans les entretiens qu’elle a accordés l’Opera dei Pupi (le théâtre de marionnettes sicilien).
Emma Dante aime également les crucifix, il y en a un qui est porté en cortège sur la scène mais, le plus souvent, le spectacle est fait par les sept sœurs en position frontale à l’avant-scène, qui se renvoient la parole (en dialecte sicilien sur-titré), avec force gestes et bourrades. Il y a des attouchements que l’on peut juger innocents et il faut se référer encore une fois aux déclarations d’E. Dante pour se convaincre que « les veilles filles (qu’elles sont restées pour la plupart) sont clairement homosexuelles ».
Une autre déclaration d’E. Dante : « Pour moi le théâtre consiste pour l’artiste à mettre en scène sa propre réflexion sur le présent – sa propre vision du monde contemporain et du monde dans lequel il vit. Un théâtre social signifie révéler les malaises et les problèmes que les gens ont tendance à refouler ». Elle rejoint ainsi Romeo Castellucci selon qui « le théâtre sert à soulever un voile qui s’est posé sur le monde, le temps de l’entrevoir ».
Il y a loin de la coupe aux lèvres, une autre façon de dire que le message qui parvient au récepteur peut différer notablement de celui envoyé par l’émetteur. Ici, visiblement, la forme écrase le fond. On sort des Sorelle Macaluso enthousiasmé, euphorisé par le dynamisme du spectacle, l’inventivité de la mise en scène, le bonheur des interprètes… mais pas vraiment touché par le message social.
Orlando ou l’impatience
Le nouveau directeur du festival, Olivier Py présente sa dernière pièce à La Fabrica, le nouveau lieu hérité des précédents directeurs et de la précédente mandature municipale, un lieu destiné justement à la création. Le décor de la pièce, signé Pierre-André Weitz, combine plusieurs éléments mobiles autour d’un plateau carré surélevé, lui-même mobile sur un axe central. Ce décor, qui est un atout important du spectacle, est modifié par des machinistes, parfois par les comédiens eux-mêmes, sous les yeux des spectateurs. Quant au texte d’O. Py, il brasse beaucoup de choses dans une langue emphatique et d’une prolixité extrême (qui explique que le spectacle dure trois heures trente). C’est du théâtre contemporain, avec des trouvailles, de très bons moments et d’autres où l’on s’ennuie.
Orlando est un personnage du roman éponyme de Virginia Woolf, un jeune noble anglais de l’époque élisabéthaine qui se retrouve transformé en femme. Ce n’est qu’un des fils tiré par O. Py. Chez lui, Orlando (Mathieu Dessertine) est un jeune homme à la recherche d’un père. D’abord amoureux d’Ambre (Laure Calamy), il ne tarde pas à succomber aux avances de Gaspard (François Michonneau). Le père est joué par Philippe Girard mais son personnage est d’abord celui du metteur en scène, constamment à la recherche de l’impossible perfection. Il cherche aussi un budget pour ses créations et cela vaut de savoureux échanges avec le ministre de la culture, un vieux beau masochiste (au sens sexuel du terme) joué par Eddie Chinagara. Jean-Damien Barbien, quant à lui, endosse toute une série de personnages parmi lesquels celui du professeur de diction (présence incontestablement salutaire sur une scène de théâtre) et celui du directeur de cabinet du ministre. Et l’on n’oubliera pas non plus Mireille Herbstmeyer, souveraine et provocante, dont les passages périodiques sur la scène dans des tenues variées sont comme une ponctuation du spectacle.
Au-delà des discours quelque peu amphigouriques du metteur en scène et du ministre, on retiendra surtout les numéros d’acteur et de beaux tableaux comme celui des ébats amoureux des deux jeunes hommes. À nouveau, comme pour le Sorelle, on est obligé de conclure que la forme l’emporte sur le fond.
Crédit photo : Ch. Raynaud de Lage.