Une compagnie, créée en 1919, qui s’est transmise de père en fils, et qui existe toujours ! La formule à laquelle se tient le Théâtre du Petit Monde, faite non seulement de théâtre, mais encore de musique, de danse, d’acrobatie explique sans nul doute sa longévité. Molière et ses Précieuses ridicules se prêtent parfaitement à un exercice mêlant divers arts de la scène. Pour jouer le rôle des deux précieuses, Nicolas Rigas, le directeur-metteur en scène de la compagnie, a fait appel à deux cantatrices (parmi lesquelles on remarque particulièrement Ève Coquart. Après un prélude au piano (musique de Cosi fan tutte), pendant lequel les précieuses maquillent leur visage avec fard et poudre, elles chantent un air de l’Akmé, la pièce peut alors commencer, les comédiens disant le texte ; les costumes sont à la mode du XVIIe, sobres pour les vrais messieurs de qualité, chargés jusqu’à l’outrance pour Mascarille (superbement interprété par Nicolas Rigas) et son comparse ; les deux porteurs qui conduisent Mascarille jusque dans le salon des demoiselles effectuent quelques sauts acrobatiques : tout concourt à faire de ces Précieuses un spectacle enlevé, dans l’esprit du théâtre de Molière lui-même.
Birago Diop (1906-1989) est un Sénégalais contemporain de Senghor, associé au mouvement de la négritude. Surtout connu pour ses recueils de contes traditionnels africains (Les Contes et Les Nouveaux Contes d’Amadou Koumba, 1947 et 1958), il est par ailleurs l’auteur d’une pièce, L’Os de Mor Lam, jadis montée par Peter Brook aux Bouffes du Nord. Une jeune compagnie guyanaise basée à Saint-Laurent du Maroni l’a reprise dans une forme légèrement abrégée. L’argument de la pièce est réduit à peu de choses : des villageois ont échangé leur manioc contre un bœuf ; dans le partage un os charnu et rempli de bonne moelle échoit à Mor Lam et il s’en régale d’avance ; sauf que son frère de sang, Moussa, débarque au mauvais moment ; avec son épouse Awa, Mor Lam emploiera quelques stratagèmes pour l’écarter mais il n’y parviendra pas ! Bien au contraire puisque c’est Moussa qui se régalera et héritera d’Awa.
La mise en scène est signée par Ewlyne Guillaume et Serge Abatucci (qui s’est attribué le rôle du conteur) ; la troupe est issue du TEK, Théâtre École Kokolampoe, situé à Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane française). L’évocation du village africain, avec le partage des tâches entre, d’un côté, les hommes qui palabrent, et, de l’autre, les femmes qui s’activent mais sont tout-à-fait capables de s’exprimer et même de faire valoir leur point de vue, est simple mais efficace. L’origine des comédiens y contribue aussi pour une grande part, évidemment. Il y a de nombreux chants a capella en langue saramaka (les Saramacas sont descendants d’esclaves africains fugitifs, très nombreux en Guyane), très mélodieux, qui ajoutent une touche supplémentaire d’exotisme. Pour toutes ces raisons, le spectacle emporte l’adhésion,… en dépit de la modestie de l’intrigue.
Dennis Kelly, anglais, né en 1970, est un de ces dramaturges entrés assez tardivement dans la carrière après avoir expérimenté précocement la « vraie vie » : il fut en l’occurrence employé dans des supermarchés. Sa pièce After the End a reçu en 2006 le prix de la National Theatre Foundation récompensant un nouvel auteur. Il s’agit d’un huis clos à deux personnages, Mark et Louise, qui se retrouvent dans l’abri anti-atomique de Mark après que leur ville ait été ravagée par un attentat à la bombe nucléaire. Ou du moins est-ce là ce que Mark raconte à Louise qui s’est réveillée dans l’abri sans savoir comment elle y est arrivée. Le sentiment de Mark pour Louise n’est pas payé de retour. On se doute que tout cela finira mal…
La pièce traduite par Fanny Britt dans un québécois suffisamment proche de français pour éviter les problèmes de compréhension, est interprétée par deux jeunes comédiens plein de fougues, Marc Faucher et Kim Barsalo, dans un décor réduit au minimum (deux lits superposés, une cantine, une table et deux chaises, un point d’eau) mais crédible. Les deux comédiens font bien passer la tension inhérente à leur situation d’enfermement. Et si la pièce doit effectivement mal finir – et pour l’un et pour l’autre personnage – le spectateur ignore comment jusqu’à la fin. After the End est apparemment la première œuvre de Dennis Kelly jouée en France (1) : un auteur à suivre.
19 juillet 2013.
(1) Mais elle a déjà été montée dans une autre traduction, en Belgique, en 2011.