Scènes

Billet d’Avignon (2013-2) : Corneille, Tchekhov, “Mutu”

Don Diègue dans Le Cid

Corneille et le Cid : avait-on revu cette pièce en en Avignon depuis Jean Villard et Gérard Philippe ? Il faut, en tout cas, un certain culot pour remonter cette pièce ici. Mais la réussite est au rendez-vous. Elisabeth Chastagnier qui dirige et met en scène les spectacles de la compagnie Miressance (basée dans l’Ain) a transposé le Cid dans un univers légèrement décalé par rapport à celui du théâtre classique, mélange de conquistadors légèrement hippies pour les habits et de motards pour les bottes. Le décor est inhabituellement chargé pour un spectacle du Off : un hémicycle de grilles encadre une porte derrière laquelle se dissimule le trône du roi de Castille ; autour de cette porte rayonnent des bancs métalliques. On a un grand plaisir de reconnaître dans la bouche des comédiens des vers que les (vieilles) personnes de ma génération ont appris par cœur. D’autant que ces comédiens les disent avec autant d’aisance que d’autorité. Ils ont tous par ailleurs le physique de leur rôle. Chimène est ravissante, l’infante est fort mignonne mais un petit brin moins que Chimène, le Cid est grand et développe une belle musculature, le comte est costaud mais moins que le Cid, Don Diègue est vieux et fatigué, etc. Un tel casting contribue incontestablement à la crédibilité de la pièce. Il n’est pas mal venu non plus de faire de Don Diègue et du roi des personnages comiques. On note enfin entre Chimène et Rodrigue de beaux élans de sensualité. Bravo donc à cette troupe qui a le mérite de faire revivre les classiques avec un rien de fantaisie mais sans les trahir aucunement.

En 2012, la Mouette hyper branchée et démesurément étirée (4h15 !) d’Arthur Nauzyciel, avec ses comédiens affublés d’un masque d’oiseau a défrayé la chronique du IN. A la rentrée suivante au théâtre Paris-Villette, Isabelle Lafon a présenté Une Mouette, dans une distribution réduite à cinq comédiennes qui se répartissaient les répliques et demeureraient alignées en position frontale tout au long du spectacle. En regardant la version de la Mouette authentique mise en scène par Hélène Zidi-Chéruy dans son théâtre du Chêne noir, on ne pouvait pas s’empêcher de se demander quelle mouche a donc piqué ceux qui se permettent de passer Tchekhov à leur moulinette au lieu de se contenter de le jouer. La Mouetteest une des plus belles pièces du répertoire théâtral, ne devrait –on pas y regarder à deux fois avant de la tailler en morceaux ?

Nina et Constantin

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le parti d’Hélène Zidi-Chéruy, qui restitue une Mouette fidèle au texte et aux intentions de Tchekhov. Les comédiens ont l’âge et la maturité de leur rôle. Une histoire archi-connue devient à nouveau intéressante parce qu’elle s’incarne dans des acteurs qui croient à leur personnage et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cette Mouette se joue dans le cœur de la chapelle du roi René, décorée de motifs végétaux, ce qui correspond parfaitement avec tout le début de la pièce. C’est cependant le dernier acte qui nous a paru le plus émouvant, avec la scène où Macha (Blanche Veisberg) rebute son mari Medvedenko (Julien Jovelin) et bien sûr la grande scène finale dans laquelle Nina (Laura Mélinand), actrice déchue, réapparaît brièvement auprès d’un Constantin Treplev (Alexis Moncorgé) devenu enfin écrivain mais irrémédiablement enfoncé dans le désespoir.

Mutu (Silence!)

Mutu (Silence !) sort du répertoire classique. Cette histoire de retrouvailles entre deux frères siciliens, l’un mafioso, l’autre curé est écrite par Aldo Rapè qui l’interprète lui-même à côté de Marco Carlino. Les deux comédiens s’expriment en italien surtitré, comme à l’opéra. Leur jeu est convaincant, avec  l’intensité qu’il faut. Est-ce dû au surtitrage (qui fait manquer une partie du texte original ?), toujours est-il que nous avons eu un peu de mal à suivre cette histoire familiale compliquée qui s’achève plutôt inopinément par le suicide du prêtre soudain rongé de remords.

17 juillet 2013.