« Sous quel astre bon dieu faut-il que je sois né
Pour être de fâcheux toujours assassiné ? » (Molière)
Dans la solitude des champs de Coton
Qui ne connaît le titre, au moins, de cette pièce de Bernard-Marie Koltès montée pour la première fois en 1987 par Patrice Chéreau (auquel justement la Fondation Lambert rend hommage par une exposition en Avignon) ? Dans la solitude des champs de Coton est jouée aujourd’hui et pas par n’importe qui, puisque le comédien dans le rôle du client est celui-là même pour qui Koltès écrivit La Nuit juste avant les forêts et qui l’a créée, en 1977. Mais revenons au Champ de coton. Deux personnages se rencontrent la nuit, dans un lieu obscur : le « dealer » (mais le mot n’est pas prononcé ; il se dit simplement prêt à satisfaire tous les désirs, sans préciser lesquels) et le « client », lequel prétend aller à ses affaires et n’avoir besoin de rien. Il se revendique comme étant du monde d’en haut, où l’on travaille suivant des règles strictes dans des bureaux éclairés à la lumière électrique, contrairement à son interlocuteur qui se plaît dans la noirceur et se livre à des trafics de toute façon inavouables.
L’auteur situe dans un prologue le « cadre » de la pièce. On n’est pas dans l’action mais avant l’action. Les personnages se tâtent, s’appréhendent mutuellement sans savoir comment se conclura l’échange de paroles. On est d’emblée dans le conflit mais ce dernier, restera, jusqu’à la fin indistinct.
« L’échange des mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange des coups, parce que personne n’aime recevoir de coups et tout le monde aime gagner du temps. »
C’est justement parce qu’on n’a pas envie d’en découdre que cette phase peut se prolonger longtemps. Cette discussion interminable, Koltès la nomme « diplomatie » et l’on sait combien en effet, les diplomates se montrent peu pressés. Ce pourrait être fastidieux mais il faut compter avec l’inventivité de l’auteur et sa langue, qui demande, certes, à être bien servie, comme c’est le cas ici.
Il faut dire que les deux comédiens (mis en scène par Fred Tournaire) ont le physique de l’emploi. Jérôme Frey est un dealer massif, naturellement impressionnant, à côté duquel Yves Ferry, moins grand, plus âgé, paraît tout de suite en position de faiblesse. Ce qui ne signifie pas qu’il est condamné à perdre leur échange, Koltès l’ayant pourvu d’un verbe largement à la hauteur de celui de son partenaire. Cela n’empêche pas la déraison, ni d’un côté ni de l’autre, au contraire même. Laissons à nouveau, pour finir, la parole à l’auteur.
« Il est des espèces qui ne devraient jamais, dans la solitude, se trouver face à face. Mais notre territoire est trop petit, les hommes trop nombreux, les incompatibilités trop fréquentes, les heures et les lieux obscurs et déserts trop innombrables pour qu’il y ait encore de la place pour la raison »
Les Fâcheux
Il peut paraître étrange de rapprocher dans une même chronique, Koltès et Molière. Cela se justifie néanmoins si l’on songe que tout dans la pièce de Koltès est fait pour nous persuader que la rencontre entre les deux personnages est fortuite et que le client considère comme fort fâcheuse sa rencontre avec le dealer. Evidemment, cette interprétation sera mise en doute, il n’en reste pas moins que c’est notre impression première et durable.
Chez Molière les fâcheux le resteront jusqu’au bout. Sa pièce éponyme est la première de ses comédies-ballets. Dans la version présentée en Avignon (dans une mise en scène de Jérémie Milsztein qui interprète par ailleurs le rôle du valet), point de ballet ni de musique de Lulli mais deux intermèdes chantés sur des musiques et paroles de Dario Moreno et Barbara-Moustaki.
Les alexandrins de Molière sont toujours agréables à entendre et l’interprétation se montre à la hauteur. Les divers fâcheux sont interprétés par un seul comédien, Benjamin Witt, inégal mais parfois désopilant. Eraste, la victime des fâcheux, est joué avec autorité par Emmanuel Rehbinder. Enfin Céline Bévierre joue Orphise, aimée d’Eraste. La scène finale, qui fait intervenir Damis, le tuteur d’Orphise, qui contrarie son amour et veut faire assassiner Eraste, fait l’objet d’un traitement vidéo.
Pour les amateurs de la versification classique, une très bonne occasion de découvrir cette comédie trop peu connue de Molière.