Mise en scène sobre et moderne par Gérard Gélas, interprétation époustouflante de la jeune et charmante Alice Belaïdi, les Confidences à Allah ont amplement mérité le succès qu’elles ont rencontré partout où elles sont passées, succès que l’enthousiasme des spectateurs de l’Atrium n’a pas démenti. À cause ou malgré le texte de Saphia Azzeddine ? On peut se poser légitimement la question tant l’histoire paraît convenue. Une jeune fille pauvre traverse toutes les vicissitudes de l’existence sans jamais perdre confiance en son confident Allah. Née au bled dans une famille de paysans misérables dont elle est chassée lorsqu’elle se retrouve enceinte, elle se prostitue, accouche en secret du bébé avant de l’abandonner dans un terrain vague, devient bonne chez des riches puis à nouveau prostituée, mais de haut vol, se retrouve en prison, et après avoir traversé quelques autres hasards fini en épouse aimée, aimante et fidèle d’un imam. Dieu du Ciel ! est-on tenté de s’écrier. Et de fait, l’histoire de cette rédemption, contée de manière complètement linéaire, a beaucoup de mal à nous surprendre. Confidences à Allah est le premier roman de S. Azzeddine et cela se voit !
À défaut d’inventer une histoire originale, ce récit a le mérite du réalisme. La brutalité des pauvres des campagnes, l’arrogance des riches qui traitent leur personnel comme du bétail, l’hypocrisie absolue des cheikhs enrichis par le pétrole qui viennent se dévergonder au Maroc (où se passe l’histoire), pays plus libéral que les États du Golfe, tout cela est exact. De même que le mépris général dans lequel les femmes sont tenues en terres d’islam (Maroc compris, si l’on excepte les sphères les plus émancipées de la société) : tout cela est juste, de même que l’allusion à la recrudescence actuelle de la religiosité, la multiplication des femmes voilées, enfin tout ce dont les journaux sont remplis. Mais était-il nécessaire de nous expliquer ce que nous savions déjà ?
Le ton du récit est heureusement un autre de ses mérites moins douteux que le précédent. La manière dont l’histoire est racontée contraste en effet opportunément avec son contenu platement réaliste. Car la femme qui s’exprime sur la scène introduit le vocabulaire le plus cru dans ses élans de ferveur mystique d’une manière aussi étonnante que détonante. Cette liberté de ton est sans doute ce qui explique le mieux le succès de S. Azzeddine auprès de ses lecteurs comme des spectateurs du théâtre.
On ajoutera que le style des Confidences à Allah est congruent avec le message que l’auteur souhaite faire passer. Nous sommes tellement habitués à considérer l’islam comme une religion rigoriste, arriérée, effrayante en un mot ! S. Azzeddine nous explique tout le contraire, qu’on peut conserver la foi en Allah, en faire même le pilier indispensable de sa vie, sans être obligé d’obéir aux prescriptions rétrogrades et souvent vexatoires (pour les femmes) des religieux patentés, qu’on peut en d’autres termes vivre libre dans l’islam (et par extension dans toute autre religion). Chacun entendra le message à sa façon, assurément. Il n’en demeure pas moins que le plaidoyer de S. Azzeddine en faveur d’une foi moderne et sincère apparaît particulièrement adroit.
En tournée et à l’Atrium de Fort-de-France les 19 et 20 mars 2010.