Albert Cossery, fécondité de l’exil ou l’Égypte, vue de Paris.
Pittoresques… Si ce qualificatif n’était pas aussi galvaudé, on pourrait l’utiliser pour caractériser la vie et l’œuvre d’Albert Cossery analysées par Hanan Mounib.
D’emblée, l’essayiste qualifie la situation de son compatriote de paradoxale. En effet, rien ne le destinait à devenir un grand écrivain de langue française et surtout pas la culture familiale exclusivement arabophone. Ce paradoxe fait de son œuvre quelque chose d’unique : « Le nom de Cossery n’apparaît jamais dans la littérature romanesque de L’Égypte, pour la bonne raison que son œuvre est exclusivement en français et elle n’a pas été traduite en arabe. »
Singulière encore est l’inspiration de cet écrivain puisque, installé définitivement à Paris en 1945,il écrira exclusivement des romans sur son pays natal et en particulier la ville où il a vécu, Le Caire. Albert Cossery est donc l’exilé parfait sur le plan linguistique. De cette déculturation, il tirera une œuvre dont l’originalité n’est pas la moindre des qualités.
Un tel homme est contenu exclusivement dans ses écrits – du moins le revendique-t-il – puisqu’il affirme à qui veut l’entendre : « Je me suis amusé dans la vie, et donc je n’ai pas de biographie. »
Néanmoins, Hanan Mounib, si elle admire cette œuvre, sait en montrer certaines limites. Selon elle, citadin cultivé issu d’un milieu privilégié, Cossery ne donne pas une image authentique du monde rural : ses héros « ressemblent beaucoup à leur auteur, on dirait que ce sont des membres de la même famille ou même des voisins […] »
Les romans de Cossery sont le reflet de ce qu’il a connu en Égypte : les cafés, l’humour spécifique des Cairotes, la corruption des fonctionnaires et du pouvoir, la vie d’un petit peuple essentiellement urbain, coloré certes, et notamment les mendiants dont l’existence est un véritable défi aux règles de la société. Son talent de conteur s’ exerce de cette manière. Albert Cossery écrit en restituant le quotidien de ses personnages, « non pour qu’ils soient vraisemblables mais pour qu’ils soient vrais ». L’écrivain est l’observateur par excellence de l’homme ordinaire, « en situation », dirait Sartre. Son style même ne cherche pas l’effet littéraire à l’occidentale, l’exotisme facile cher à beaucoup d’écrivains occidentaux. Il s’efforce de restituer en français les tournures du parler populaire égyptien. C’est bien la vision authentique d’un Oriental, exilé volontaire, qui s’adresse aux lecteurs francophones. Les romans d’Albert Cossery atteignent à l’universalité grâce à cette différence et non par le mimétisme. Telle est la leçon de Albert Cossery entre Nil et Seine et elle est essentielle à nos yeux. Relire les livres de l’écrivain à la lumière de cet essai s’avère salutaire pour pénétrer dans « le grand tableau oriental du vécu égyptien ».
Hanan Mounib, Albert Cossery entre Nil et Seine, Éditions Complicités, 12 euros.