Comment pratiquer la peinture aujourd’hui, après la déconstruction que lui ont fait subir les modernes, depuis Cézanne et les impressionnistes jusqu’aux pauvretés maladroites qui s’affichent désormais sans vergogne sur les murs des galeries les plus prestigieuses ? On comprend que les artistes ne pouvaient pas indéfiniment copier Raphaël ou Léonard. Le bouleversement apporté par la révolution industrielle, le changement des mœurs qu’elle a provoqué devaient affecter le point de vue des artistes. Jusque là, le monde pouvait apparaître immuable, le progrès n’était pas complètement absent, mais son rythme trop lent pour frapper les esprits. À partir du XIXe siècle, tout s’est mis à changer très vite. Pourquoi les artistes auraient-ils été les seuls à vouloir reproduire indéfiniment les modèles anciens ?
L’évolution de la peinture était donc inévitable. Elle ne pouvait pas se limiter au choix des thèmes, voire au refus du sujet comme dans l’art abstrait. La révolution industrielle apportait en effet à la fois le changement et la vitesse. Non seulement le peintre ne pouvait plus travailler à la manière des anciens maîtres, mais il fallait qu’il peignît plus vite. Tout cela ne pouvait conduire qu’à une dégradation de la technique et c’est bien ce qui se produisit. Il est évident que l’avènement de la photographie (« art mineur » mais indépassable dans son exactitude) a aussi joué un rôle dans ce processus. Les peintres contemporains seraient incapables de produire une copie fidèle d’un tableau du Titien ! Il y a longtemps que les écoles des beaux-arts ont renoncé à transmettre à leurs élèves les secrets de la perfection formelle qui fut celle des ateliers de la Renaissance ou de l’époque classique.
L’art d’aujourd’hui est d’abord caractérisé par la liberté. Tout est permis : le marché tranchera ! À ceci près que la peinture contemporaine n’étant pas un produit de grande consommation, la côte des artistes vivants est contrôlée, en réalité, par une poignée de galeristes, de directeurs de musée et de riches collectionneurs. Face à une offre pléthorique – car les vocations de peintre sont d’autant plus nombreuses qu’il n’y a plus les exigences techniques d’antan – les demandeurs constituent un « oligopsone » (suivant le vocabulaire des économistes) qui fait la pluie et le beau temps chez les peintres, les propulsant vers la gloire ou les rejetant dans l’anonymat suivant la mode du moment où la fantaisie d’un gros acheteur.
Obama et Marylin, par Françoise Nielly (1m x 1m)
Puisque tout est permis en art aujourd’hui, certains peintres contemporains continuent à pratiquer une certaine forme de réalisme. Cela leur est permis à condition de s’arranger pour ne pas être pris pour de simples pasticheurs des anciens… ou des photographes. Françoise Nielly fait partie de ceux-là.
Le tableau « Obama et Marylin » révèle la virtuosité de cette artiste, dont la photo ne rend qu’imparfaitement justice. Qui se trouve confronté au tableau lui-même, non à une simple reproduction, à ces visages plus grands que nature, ne manque pas d’être subjugué par la force qui se dégage des regards des deux personnages. Elle est si intense que tout le reste se fond d’abord dans une sorte de kaléidoscope dont on n’a pas envie de préciser les détails. Au point que, si l’on n’a pas lu le titre du tableau, on ne reconnaîtra pas nécessairement tout de suite les deux icônes qui sont représentées. Un examen plus approfondi révèle pourquoi il en est ainsi : pour ne pas déroger aux canons de la modernité, l’artiste a dû travestir ses modèles. Certes leurs traits sont parfaitement reconnaissables, mais il est impossible de dire d’après le tableau si l’homme est blanc ou noir, si la femme est brune ou blonde. L’artiste démontre ainsi qu’elle conserve sa liberté, qu’elle n’est pas au service de son sujet.
On pourrait aisément gloser sur le choix de ce sujet. Obama (le nouveau Kennedy) et Marylin : le clin d’œil est évident. Là n’est pas notre propos. Le tableau en effet n’est pas exemplaire par son thème, mais par ce qu’il révèle des contraintes qui s’exercent sur les peintres aujourd’hui. Jadis, F. Nielly aurait peint des portraits en cherchant à les faire les aussi ressemblants que possible. Aujourd’hui, elle se doit de travestir partiellement la réalité. Les grands à plat au couteau de peinture fluo n’ont pas d’autre nécessité. L’amateur attiré par un style plus sobre pourra regretter le côté un peu trop « clinquant » des œuvres de F. Nielly. Il n’en admirera pas moins le talent d’une artiste dont la notoriété va d’ailleurs grandissante (elle fut par exemple exposée à l’Artfair de Miami en 2008).
Le tableau « Obama et Marylin » est visible à la galerie Petitjean à Aix-en-Provence. On peut l’acquérir pour la moitié du prix d’une petite voiture.