Le peuplement des Amériques avant leur découverte par Christophe Colomb reste de nos jours une estimation très imprécise, longtemps surévaluée (Chaunu) ; elle est aujourd’hui ramenée à une fourchette de 20 à 40 millions d’habitants (Biraben). L’Amérique du Nord était pratiquement vide et la population amérindienne se répartissait entre l’empire aztèque et l’empire inca. Or ce peuplement autochtone a diminué de moitié dans les décennies qui suivent la conquête. En assemblant moins de 1 % de la population mondiale, le continent américain était vide. En revanche, la population de l’Europe, estimée à 60 millions d’habitants en 1500, rassemblait 15 % des habitants de la planète, elle culminera vers 1900 à 24 %, puis régressera aujourd’hui à 11 %, puis7% en 2050. Près de 60 % des terriens vivaient en Asie, comme de nos jours. À cette époque, la population indigène des tribus indiennes du Brésil est estimée à un million d’habitants, celle du Canada, des Montagnes Rocheuses, des Grandes Plaines et de la côte Est était probablement un peu plus nombreuse (les hypothèses varient entre 1 et 2 millions d’habitants). Les Indiens américains sont aujourd’hui estimés à 4 millions. Or on sait que la conquête ibérique fut suivie d’une hécatombe des populations indigènes, principalement du fait de la contamination bactérienne et des épidémies de variole. La population du Mexique diminua des deux tiers en quelques décennies. La déflation démographique fut particulièrement sévère dans les régions intertropicales.
Pendant plus d’un siècle après la conquête, le repeuplement des Amériques a été très lent, les pays d’exode d’Europe – péninsule ibérique et Angleterre – avaient au seizième siècle de faibles populations. La population précolombienne et bientôt africaine (traite des noirs) restait prédominante, bien sûr au Brésil, au Pérou et au Mexique. Il en allait de même pour l’Amérique du Nord. Aux États-Unis, la population des colons anglais n’excédait pas 350 individus en 1550, 4000 en 1630, 250 000 en 1700 ! Les immigrants européens occupaient alors une frange des zones littorales et alluviales de la côte atlantique, le Mississippi était encore très éloigné. L’accroissement démographique rapide des îles britanniques favorisa l’afflux des immigrants vers le Nouveau Monde et les États-Unis devinrent au dix-huitième siècle la première colonie de peuplement.
Les États-Unis, peuplés aujourd’hui de 306 millions d’habitants, sont encore composés de 73 % de blancs européens. Cette estimation semblera surprenante, alors que l’afflux du monde entier a concerné des émigrants de toutes les races, parlant des milliers de langues différentes et pratiquant toutes les religions des cinq continents. Le peuplement européen majoritaire est transitoire ; dans une génération, il deviendra minoritaire. Au XIXe siècle et jusqu’en 1920, l’essentiel de l’immigration venait de l’Angleterre et de l’Europe. Or les courants d’immigration actuels proviennent surtout du tiers-monde. Dès lors, la société américaine devient plus que jamais multi-culturelle, multi-confessionnelle et multi-ethnique. Notre objet est de mettre en lumière la permanence du creuset des races, le « melting pot » américain, et de montrer pourquoi ces peuples si différents finissent par s’intégrer et s’assimiler plus complètement en Amérique du Nord qu’en Europe, notamment en France.
Dans cette perspective nous retiendrons trois stades : 1. La dimension démographique : c’est la continuité de l’immigration qui explique le dynamisme démographique de l’Amérique du Nord ; 2. La dimension sociologique : l’intégration nationale des étrangers se fonde sur la diffusion de valeurs nationales communes ; 3. La dimension politique : l’immigration et la formation d’une société multiculturelle divisent l’opinion publique.
I- LA CONTINUITÉ DE L’IMMIGRATION SOUTIENT LE DYNAMISME DÉMOGRAPHIQUE
Dans la longue période, la vitalité démographique des États-Unis a été le fondement de sa puissance. Ainsi par exemple, sa population va rapidement excéder celle de son voisin le Mexique, le contraste est encore plus marqué au regard de la deuxième puissance mondiale qu’est le Japon, dont la population commence à décliner.
L’accroissement de la population des États-Unis, du Japon et du Mexique (Millions d’habitants 1500-2050)
* prévisions 2025-2050 ONU
L’afflux vers les États-Unis ne s’est jamais interrompu, il persistera longtemps. Pourquoi ces apports migratoires ont-ils préservé la vitalité démographique ? La croissance de la population des États-Unis a été depuis leur fondation (1776) beaucoup plus rapide que celle des peuples européens en raison de l’afflux massif et continu des immigrants. La nouvelle Angleterre aurait attiré bien davantage d’Européens, si elle avait préparé l’occupation de toute l’Amérique du Nord. En effet, après la guerre d’indépendance, une deuxième guerre (1812-1815) a opposé la Fédération à l’Angleterre ; cette guerre avait pour objectif de délivrer les Canadiens anglais et français du système colonial anglais. Ces nouvelles colonies libres seraient devenues des États américains. La faute politique du Président Madison fut de ne pas avoir conduit à son terme la guerre contre les Anglais du Canada, alors que Napoléon achevait la retraite de Russie en 1812. Les Anglais n’étaient plus en mesure d’intervenir massivement en Amérique. Le Canada serait devenu américain et les États-Unis, maîtres du détroit de Behring, disposeraient d’un atout majeur, face aux Russes, pour mettre en valeur le Pôle Nord.
La révolution démographique qui s’étend en Europe à partir de 1750, notamment en Angleterre, explique la progression rapide du courant d’émigration vers les Amériques. La progression du peuplement fut trois fois plus rapide qu’en Europe, où la fécondité commençait à décliner, par exemple en France. La sur-fécondité américaine provient des familles très nombreuses des nouveaux arrivants et plus encore du grand nombre d’enfants des familles créoles, nés sur le sol américain. Chacune des vagues d’immigration de l’histoire américaine devait créer des tensions, car les étrangers ne furent pas toujours bien venus. Cependant, leur assimilation finit par triompher, il est vrai souvent à la deuxième ou troisième génération. Quatre vagues se sont superposé : les Noirs, l’Europe du Nord, l’Europe latine et slave, puis les hispaniques et asiatiques.
1° La traite des noirs et l’esclavage
L’Amérique du Nord est restée longtemps un territoire vide, non seulement les « arpents de neige » du Canada, mais les territoires des plaines centrales et la plus grande partie du nord-est de la côte atlantique. Le territoire actuel des États-Unis était alors possédé par d’autres puissances étrangères, la vice-royauté de la nouvelle Espagne (Mexique), les Français, Hollandais, Suédois… Les Français étaient installés au Canada, le long du Mississipi et en Louisiane, les Espagnols en Floride, dans le grand Ouest et la côte du Pacifique, les Hollandais tentaient périodiquement de fonder des colonies. Quand le peuplement entame sa progression, on ne parvient pas à dissocier clairement entre une stratégie de colonie de peuplement ou de colonie d’exploitation. Certes, les Pères pèlerins fondateurs et les Quakers du Massachussetts ne pouvaient guère cultiver du tabac ou de la canne à sucre, cependant beaucoup de terres furent affermées à de grandes compagnies commerciales, exploitant les fourrures, le bois, les poissons. En revanche, les colons de Virginie et des Carolines se sont rapidement tournés vers les grandes cultures d’exportation en ayant recours à la main d’œuvre servile des noirs africains
Le premier apport massif (575 000 individus) a été celui qui résultait de la traite des noirs (jusqu’en 1807) et de l’esclavage (jusqu’en 1865), les esclaves noirs étaient plus nombreux que les Européens, surtout dans les colonies d’exploitation. Cependant, le nombre d’esclaves noirs venant d’Afrique a été beaucoup moins important que dans les Antilles et 10 fois moins élevé qu’au Brésil. Le destin des États-Unis aurait pu se calquer sur celui du Brésil aux alentours de 1750 : deux continents géants peuplés à peine d’un million d’habitants, dont 70 % d’Indiens et surtout de noirs, et une poignée d’immigrants blancs ! Faute de main d’œuvre, les esclaves noirs pouvaient fournir la solution, mais la colonie serait devenue une nouvelle Afrique ! Lors du premier recensement en 1790, on avait estimé que les esclaves noirs formaient encore 20 % de la population, mais les Indiens n’étaient pas décomptés. Certes la population des esclaves a contribué à l’accroissement de la population, d’autant plus que les grands propriétaires, une fois la traite négrière fermée, espéraient que les enfants nés dans la plantation leur apporteraient la main d’œuvre voulue. Entre 1790 et 1860, la population noire a sextuplé, passant de 750 000 à 4,4 millions ce qui atteste sa fécondité, puis elle a décuplé pour atteindre 41 millions en 2006. Et pourtant, c’est en fait l’accroissement des immigrants européens et leur fécondité, un taux de natalité de 55°/°° (comparable à celui du Nigeria actuel), qui a nourri l’expansion démographique : leur population augmente d’un tiers tous les 10 ans, elle progresse d’un effectif de 4 millions à 31 millions d’individus en 1860.
2° L’assimilation des Anglais et des peuples du nord
L’Angleterre était au milieu du dix-huitième siècle faiblement peuplée, elle avait retrouvé lentement son niveau de peuplement d’avant la peste noire. Les guerres, la pauvreté et les épidémies avaient suscité une longue stagnation démographique, la population oscillait entre 5 et 6 millions d’habitants. Or de 1740 à 1900 la population de l’Angleterre a sextuplé. Les États-Unis ont alors reçu le plus vaste courant d’émigration du dix-neuvième siècle : ils ont reçu 60 millions d’émigrés en 150 ans, leur population atteindra 92 millions d’habitants en 1910. Les émigrés ont contribué au tiers de l’accroissement de la population américaine : au début du siècle dernier, la moitié de la population était d’origine étrangère. Le plus surprenant est le fait que les immigrants étaient à 80 % originaires de l’Europe du Nord, mais en fin de période quand chaque année un million de nouveaux venus arrivaient, ceux-là étaient à 80 % originaires de l’Europe du Sud et de l’Europe centrale.
Les premiers immigrants étaient des exilés politiques qui fuyaient l’intolérance religieuse des souverains anglais (Stuarts ou Tudors), voire la dictature (Cromwell). Ils étaient peu nombreux. Une migration économique leur succède. L’Angleterre fut la mère de la révolution agricole et de la révolution industrielle. Cependant, l’accroissement très rapide de la population finit par créer un exode massif vers les colonies, en particulier vers l’Amérique, à partir du moment où l’indépendance et la forme de gouvernement de la Fédération garantissaient leur liberté.
L’assimilation se produisit sans conflit ethnique majeur : les Anglais parlaient la langue-mère, ils étaient protestants, plutôt luthériens et calvinistes, membres de communautés soudées, souvent isolées et sectaires (Mormons, Quakers, Baptistes). La société coloniale anglaise parvint progressivement à s’émanciper de la métropole, en participant à l’élection des gouverneurs et à la démocratie locale. Pour reprendre la formule d’André Kaspi (Les Américains, tome I, Seuil 1986), « ils prenaient l’habitude de se gouverner seuls », bien avant la révolte contre la métropole. Le mode de vie des colons, pour la plupart désireux d’acquérir des terres dans une contrée peu peuplée, les incitaient à avoir beaucoup plus d’enfants que dans leur pays d’origine. Les familles dotées de 5 à 6 enfants étaient la norme. Les Suédois et les premiers exilés du monde germanique étaient également protestants et très prolifiques. En revanche, l’Irlande, dont la moitié de la population s’exile vers l’Amérique, était également formée de familles nombreuses, mais elle était catholique, ce qui créait des tensions.
3° L’autre Europe
Un nouveau courant d’émigration se forme au milieu du dix-neuvième siècle dans le monde germanique, latin et slave. Ces régions furent soumises à une très forte pression démographique, leur éveil économique a été retardé et partiel et les régions d’exode n’étaient pas les plus modernisées. Les sectes protestantes souvent persécutées et les Juifs des Ghettos accouraient vers la terre de la liberté. À la différence des colons de Virginie, les émigrés arrivent avec femme, enfants et grands-parents, leur fécondité est très élevée. Les Allemands hésitaient peu à s’aventurer vers l’Ouest, leurs colonies de peuplement ont longtemps préservé leur culture et leur langue. L’émigration polonaise et russe est plus tardive, les émigrés ne connaissent que leur langue maternelle, ils observent d’autres religions chrétiennes, catholiques ou orthodoxes. Leur tentation est souvent de rester dans les villes de la côte atlantique, rassemblés dans leur quartier. Cependant, le flux d’émigrants le plus important est celui qui s’est formé en Italie après la conquête de l’Ouest. Les Italiens, souvent venus des zones rurales du sud, sont rarement redevenus paysans, beaucoup sont restés à New York. Comme le souligne André Siegfried en 1929 (A. Siegfried, Les États-Unis d’Aujourd’hui, Colin 1929), la vague d’immigration des années 1880-1914 (22 millions d’immigrants) est encore européenne, mais l’Italie, l’Autriche-Hongrie et la Russie en fournissent la majorité.
Les mesures de limitation de l’immigration ont débuté dans les États qui recevaient le plus d’immigrants, ceux-ci fixaient des quotas proportionnels à la répartition des nationalités d’origine, quand l’Europe du Nord prédominait. Elles avaient été adoptées sur la côte pacifique pour freiner l’entrée des Japonais et Chinois, avant l’afflux des immigrants latins et slaves. L’ancienne Amérique devient plus réticente à cet afflux. Les autorités redoutaient les anarchistes ou terroristes (les Irlandais du Sin Fein) et la formation de « cinquièmes colonnes » ! Le retournement de la conjoncture en 1929 et les années de la grande dépression auront pour contrepartie une diminution de 90 % de l’immigration. La Californie adopta un programme de refoulement des Mexicains, il est vrai que la situation agricole était catastrophique. Les lois fédérales sur l’immigration de 1921 et 1924 fixèrent un quota équivalent à 3 % puis 2 % du nombre de nationaux établis aux États-Unis. La référence était leur poids démographique en 1920, puis elle fut ramenée à 1890. La loi d’immigration de 1929 relève encore les barrières, elle fixe un quota global de 150 000 émigrés officiels. Le gouvernement voulait arrêter l’exode des Mexicains et des Italiens. L’afflux des immigrants fut 10 fois plus faible dans les années 1930.
4° L’immigration d’aujourd’hui : hispaniques et asiatiques
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les migrations internationales ont doublé tous les 25 ans. Elles concernent 200 millions de personnes chaque année et se déroulent pour l’essentiel à l’intérieur de chaque grande zone géographique : l’Asie, L’Europe, les Amériques et surtout l’Afrique. Cependant, le flux des migrations transcontinentales est dominé par un courant de migration du Sud vers le Nord, du Tiers Monde vers le monde industrialisé. Or les deux régions concernées par ces grandes migrations sont à égalité l’Europe et l’Amérique du Nord. L’Europe accueille surtout une migration transméditerranéenne d’Afrique du Nord et du Proche Orient et une migration d’Asie. L’Amérique du Nord accueille surtout une migration du Mexique et des Caraïbes et une migration asiatique.
La prédominance des hispaniques dans la composition des flux migratoires s’explique par la proximité et par l’ancienneté de leur implantation à l’ouest des États-Unis, car les nouveaux entrants bénéficient du réseau familial de solidarité et d’assimilation des résidents qui les ont précédés. L’implantation la plus ancienne est celle des Mexicains : ils sont aujourd’hui plus de 40 millions, souvent majoritaires dans leurs nouvelles terres d’élection, en Californie, au Nouveau Mexique ou au Texas. Chaque année, ils arrivent plus nombreux et leur fécondité est supérieure à celle des immigrants européens de vieille souche. Les Mexicains ne sont pas les seuls hispanophones, à deux pas de la Floride les îles surpeuplées de la Caraïbe affluent : un million de Cubains ont fui le régime politique, les Haïtiens fuient la misère, les Jamaïcains et Portoricains profitent de leur bilinguisme. Enfin l’Amérique Centrale, la Colombie et les pays andins ont renforcé la place des hispanophones. Les « latinos » se considèrent et sont considérés comme des « blancs », cependant de nombreux caribéens (Haïtiens, Dominicains, Jamaïcains) sont « noirs ». La moitié de l’immigration légale provient d’Amérique latine, surtout du Mexique ; il faut y ajouter l’incidence de l’immigration clandestine, notamment celle du Mexique.
L’immigration asiatique contribue au quart des entrées. L’immigration chinoise, la plus importante, est désormais bienvenue, elle relève suivant la typologie de Maxime Tandonnet (Géopolitique des migrations, Ellipses 2006) de l’immigration choisie, comme au Canada et en Australie. L’objectif est d’attirer sous contrat les travailleurs les plus qualifiés : beaucoup ne resteront pas en Amérique et retourneront chez eux (chercheurs de Formose, de Corée ou de Chine) fonder des entreprises de haute technologie. L’émigration asiatique comporte cependant trois composantes : ceux qui viennent rejoindre leurs compatriotes pour compléter le regroupement familial ou villageois, souvent paysans ou commerçants, notamment Les Chinois et Philippins ; les réfugiés politiques de l’Indochine ; et les élites relevant de dispositifs hors quota, en particulier les scientifiques et ingénieurs (Chine, Corée, Inde). Comme l’immigration choisie, appliquée surtout à l’Asie et à l’Europe centrale, n’affecte qu’une fraction des entrées, la plupart des immigrants relèvent du regroupement familial et de l’asile politique. Cependant, les conséquences sur l’immigration de travail sont considérables, l’Europe, surtout en France, recrute des travailleurs sans qualification, alors que les États-Unis absorbent 80 % des émigrants hautement qualifiés. Le classement des Universités et des laboratoires exprime un écart scientifique croissant au bénéfice des pôles scientifiques américains et asiatiques, du fait que les Asiatiques publient en anglais. À la différence des Mexicains, les Chinois ont peu d’enfants et ne contribuent pas à la vitalité démographique, en plus ils vivent très longtemps…
L’immigration nouvelle soutient la vitalité démographique de l’Amérique : elle lui garantit une population active croissante et une natalité vigoureuse. En contrepartie, la diversité des races, des valeurs culturelles et des religions est de plus en plus grande. Pourquoi l’intégration, certes incomplète, de ces apports étrangers persiste-t-elle, sinon par la diffusion de valeurs nationales communes ?
II- LA DIFFUSION DE VALEURS NATIONALES COMMUNES
Devenir résident en sollicitant une carte verte ou citoyen en prêtant serment, n’est pas équivalent à une acquisition de nationalité du fait de la naissance (jus soli) ou d’un mariage blanc. C’est un acte de foi, un honneur, une incroyable chance…
Quatre piliers assurent le mécanisme de l’intégration : la Bible, La Constitution, la Patrie et la Réussite.
1° La Bible et la religion
Rien de changé depuis une génération, malgré le brassage culturel de la nouvelle immigration. Quatre Américains sur cinq sont chrétiens, moins de 15 % sont agnostiques. Les habitants de ce pays croient en Dieu ou vénèrent un Prophète… 44 Présidents se sont succédé, dont 17 francs-maçons, mais tous religieux et monothéistes ! Même quand ils sont de confession différente, les Américains sont prêts à jurer sur la Bible, ils vont au temple ou à la messe (Chicanos, Italiens, Irlandais ou Cubains), baptisent leurs enfants et consacrent beaucoup d’argent aux œuvres charitables. Les prêtres et les pasteurs évangélistes ont un rôle essentiel dans la vie politique, même la course à la Présidence. Au recensement ou pour avoir un passeport, il ne suffit pas de déclarer sa race et la date de naissance de sa grand-mère, il faut déclarer sa religion. Être athée en Amérique est une tare honteuse. Bien sûr, les valeurs culturelles du catholique, juif, protestant et musulman ne sont pas les mêmes. Cependant, ils se réfèrent au Livre, ils connaissent les 10 commandements et l’histoire religieuse.
Vivre en conformité avec sa foi et pouvoir pratiquer sa religion a été la motivation de millions d’immigrants qui durent prendre le chemin de l’exil pourchassés par leurs dirigeants. Or les deux derniers siècles ont connu une succession de Révolutions et de Dictatures, qui ne toléraient d’autre foi que l’adhésion à leur idéologie. D’autres ont fui l’oppression de régimes théocratiques (Iran) qui imposaient à tous une religion d’État. La liberté religieuse a beaucoup contribué aux choix des exilés.
2° La Constitution
Ce document (7 articles et 27 amendements) que le candidat à la naturalisation doit apprendre avec ses amendements, voir quelques attendus des grands arrêts de la Cour Suprême est beaucoup moins long que la norme de nos constitutions. Le fait qu’il ne soit pas nécessaire de la remanier constamment rassure le nouvel Américain : au moins, c’est une garantie de stabilité. Or que fuient-ils en quittant leur pays ? L’instabilité. On part vers le dernier refuge, le gouvernement qui ne sera jamais renversé par une révolution. Un Argentin, Chinois, Iranien ou Russe qui émigre définitivement aux États-Unis sait parfaitement que le système politique démocratique des États-Unis est structurellement stable, alors que son pays d’origine peut connaître encore une succession de coups d’État. Au début du siècle, Werner Sombart avait publié un essai qui reste toujours d’actualité : Pourquoi l’Amérique n’est pas socialiste (Why is there no socialism in the United States, Sharpe 1906/1976) ? Les immigrants ont trouvé des terres qu’ils ne pouvaient pas acquérir ailleurs, des salaires plus élevés qu’en Europe et la possibilité de s’enrichir. Sombart expliquait que grâce à la Constitution américaine, le bipartisme permettrait toujours à une alternance de se produire, sans détruire le capitalisme et sans que les compromis du multipartisme et la lutte des classes puissent ouvrir la voie à l’anarchie et à la révolution.
3° La patrie
Le message de Barack Obama « America first » exprime à la fois la tentation du repli isolationniste hors du chaos du monde extérieur et la fierté d’être Américain, maîtres du monde. Les Américains sont patriotes : que l’armée soit victorieuse ou vaincue, on serre les coudes et les vétérans sont toujours honorés. Jamais l’armée américaine n’a perdu autant d’hommes que pendant la seconde guerre mondiale, ils ont cependant gagné et sauvé l’Europe. La guerre du Vietnam fut un échec et un sujet de divisions, mais ceux qui revenaient étaient traités en héros. Voilà une figure qui a disparu en Europe occidentale, le soldat n’est plus un héros, mais un mercenaire ! On comprend que les immigrants qui n’ont plus de patrie soient pressés de s’identifier au héros de l’Amérique. Cette cohésion unitaire surprend les Européens ; la Défense est de toute évidence la compétence fédérale, donc nationale. L’incontestable échec de la deuxième guerre d’Irak et la profonde incertitude de l’engagement en Afghanistan n’ont pas ébranlé la confiance des Américains en leur gouvernement. La crise économique est leur première préoccupation.
4° La réussite individuelle
Le fameux rêve américain « American Dream » n’est certainement pas la sécurité sociale, mais l’espérance de réussir et même de faire fortune. Réussir c’est accepter de travailler, n’importe quel travail, accepter la règle de la sélection et prouver ses capacités… Encore faut-il que l’on puisse travailler même sans papier, ce qui a toujours été possible : dans ce pays, les fonctionnaires ne bloquent pas le tiers des emplois, le recrutement certes temporaire et le licenciement très facile sont des procédures rapides. À la différence de l’Europe, la réussite professionnelle n’est pas dictée par les diplômes, mais par les résultats, que l’on soit professeur, garagiste ou fermier. Il est vrai que pour la majorité des nouveaux venus la réussite professionnelle est étalonnée par l’argent, le salaire ou le profit. Chez nous la réussite est mesurée par le diplôme, la carrière et les décorations… Cependant, la plupart des familles pauvres y sont parvenues à la deuxième ou troisième génération. Tout dépendait de leur intégration linguistique et culturelle.
III- LES TENSIONS D’UNE SOCIÉTÉ MULTICULTURELLE
Peu de pays dans le monde sont ethniquement et culturellement homogènes, à part la Chine et le Japon où les minorités ethniques ne forment que 2 à 4 % de la population. Il existe malheureusement une corrélation entre la prévalence de la violence et l’ampleur de la diversité ethnique, culturelle et religieuse, ce qui peut être observé en Inde, en Afrique, dans les Balkans ou au Moyen Orient. La criminalité reste beaucoup plus élevée en Amérique qu’en Europe, mais elle a décliné de moitié depuis l’an 2000. Dans un avenir proche, les minorités ethniques deviendront majoritaires, cette concurrence inquiète les descendants des immigrés anglo-saxons. Dès lors, l’immigration devient progressivement un problème politique.
Un sociologue et économiste américain, lui-même noir, Thomas Sowell (Ethnic America, traduction française : l’âge de l’Homme Lausanne, 1983), a consacré sa vie de chercheur à l’étude des migrations dans le monde et aux États-Unis en particulier. L’analyse des différents courants migratoires des deux derniers siècles, le conduit à constater que tous les étrangers non anglais venus en Amérique ont fait l’objet de rejet. Or les difficultés d’intégration n’ont pas été les mêmes pour toutes les nationalités. Quatre enjeux se superposent : le problème noir, la prédominance des hispaniques, la concurrence des Asiatiques et l’émergence des métis.
1° Le problème noir : un demi-échec
L’intégration des noirs à la société américaine est le principal échec de la politique d’assimilation. Les afro-américains forment une minorité ethnique et culturelle importante et croissante, car leur fécondité est trois fois plus élevée que celle des blancs anglo-saxons. Longtemps après la fin de l’esclavage, la discrimination qui laissait les noirs à l’écart de l’éducation et des emplois a contribué à l’échec de la politique d’intégration. Dans les États confédérés du Sud, les noirs étaient soumis à un véritable apartheid. Pour faire preuve d’une ascendance blanche, il fallait prouver qu’à travers 4 générations, aucun des 16 ascendants n’était noir. Or, bien après la guerre de Sécession, ces mêmes États du Sud observaient une discrimination encore plus rigoureuse et appliquant des lois (Jim Crow Laws) qualifiées de « not a single drop » : le postulant à une charge devait certifier qu’il n’avait pas une goutte de sang noir. On sait que, depuis les dispositions en faveur des droits civiques de l’administration Kennedy et Johnson, les noirs américains ont bénéficié de dispositions de discrimination positive, imposant aux écoles et aux universités des quotas d’admission en faveur des noirs. Ces mesures ont beaucoup contribué à la promotion sociale et financière des afro-américains. Et pourtant, malgré les exceptions notables, jusqu’à la dernière élection présidentielle (Barack Obama, De la race en Amérique, Grasset 2008), le succès de la politique de discrimination positive reste contesté. La majorité des Américains estiment que Barack Obama est Noir, la majorité des Français pensent qu’il est métis, ce qui montre l’enracinement de l’attitude « no drop » en Amérique !
Thomas Sowell estime que la discrimination positive a desservi les noirs, en les enracinant dans une attitude de protégés et d’assistés. Il rappelle que bien des immigrants ont été chassés de leur pays par la répression, à commencer par les Juifs, qui ont été dans l’histoire américaine les étrangers qui ont le mieux réussi en acceptant n’importe quel travail, puis en remontant les échelles des classes sociales. Cet exemple se retrouve ans la diaspora chinoise. Les réussites les plus nettes de l’assimilation des étrangers concernent, paradoxe, les populations qui ont été pourchassées et non celles qui ont été favorisées. Elles n’ont pas bénéficié de mesures de discrimination positive, d’ailleurs elles ne demandent pas à en bénéficier. Le véritable vecteur d’intégration est bien sur l’éducation et la maîtrise de l’Anglais, c’est le seul moyen pour partager les valeurs communes de la Fédération. En témoigne le rejet périodique en Californie des référendums tendant à légitimer des écoles délivrant un enseignement en langue espagnole, les Mexicanos « chicanos » ont rejeté ces propositions, étant conscient du fait que la maîtrise de l’Anglais était la condition de l’intégration de leurs enfants !
2° Prédominance et intégration des Hispaniques
Les Hispaniques y compris les émigrés des Caraïbes et de l’Amérique latine sont désormais plus nombreux que les noirs. Leur vitalité démographique contraste avec la fécondité décroissante des blancs anglo-saxons sur la côte atlantique.
États-Unis : pourcentage des minorités ethniques résidentes dans la population.
Source : J.C. Chesnay, Ined juin 1998.
Les descendants d’Européens anglais de la Nouvelle Angleterre ont un indice de fécondité insuffisant pour assurer leur taux de remplacement. En revanche les familles hispaniques, surtout d’origine mexicaine, ont un indice de fécondité trois fois plus élevé. Comme le souligne Gérard François Dumont (États-Unis, La montée des Hispaniques, Population et Avenir, mai 2006), les Hispaniques contribuent deux fois plus aux naissances que leur poids démographique, ils contribuent à la moitié de la croissance démographique. Dans une génération, les descendants de familles hispaniques seront majoritaires sur la côte pacifique et les États du sud jusqu’au Texas ; l’Espagnol et la religion catholique renforceront les racines latines de l’Amérique. Le plus important est la facilité d’assimilation des Hispaniques, ils ne conservent pas longtemps les handicaps d’éducation des Afro-américains.
3° La concurrence des Asiatiques
L’émigration asiatique provient en partie de régions où la transition démographique est achevée. Au Japon et en Chine, l’indice de fécondité est inférieur au taux de remplacement. L’émigration provenant de l’Asie du sud concerne des régions où la fécondité reste forte : Indochine, péninsule indienne ou Iles de la Sonde. Dans l’ensemble, les immigrants de deuxième ou troisième génération ont une fécondité limitée, qui s’aligne sur les normes des familles européennes. Ce qui est important est la faculté d’adaptation et d’assimilation des familles asiatiques. Sowell, en retraçant l’histoire des immigrants japonais et chinois, a mis en lumière les trois traits caractéristiques de cette adaptation : l’éducation, le travail et l’épargne. Trois valeurs qui sont fondamentales en Amérique. La famille est prête à tout pour payer les études de ses enfants, l’immigrant est disposé à travailler sans limites jusqu’à l’extrême vieillesse, enfin l’épargne : toujours mettre de l’argent de côté. Le critère de la réussite sociale, si précieux en Amérique, étant l’argent, on remarque que le revenu moyen des Asiatiques, comme celui des Juifs, est au terme de trois générations très supérieur à la moyenne nationale.
4° L’émergence des métis
À la différence du Brésil, où 53 % de la population est blanche, 43 % métisse et 6 % noire, les États-Unis sont une société multiethnique et non métisse, où le mariage est à 95 % endogame. Les Afro-américains se marient entre eux, d’autant plus que pendant longtemps les législations locales prohibaient les unions avec des blancs, qualifiées de mélanges erronés (« miscegenation »). Les Asiatiques arrivant du Japon ou de Chine il y a un siècle venaient de régions où les familles et la société étaient très hostiles au mariage avec des Européens de souche. Cette hostilité a longtemps prévalu. Jusqu’à une époque très récente, les mariages interraciaux ont représenté moins de 2 % des mariages. Or le rejet du métissage a commencé à s’atténuer. Au recensement de l’an 2000, pour la première fois les citoyens ont pu choisir de s’identifier à une nouvelle identité multi-ethnique : une référence à des parents de race différente. Les couples interraciaux apparurent 10 fois plus nombreux qu’en 1960, formant 5 % des mariages ; ils étaient beaucoup plus nombreux à avoir des ancêtres mixtes. Leur répartition ethnique est très inégale, deux provenances géographiques sont privilégiées : Asiatiques et Hispaniques. Les mariages mixtes sont plus fréquents pour l’Asie du Sud (Thaïlande, Indonésie, Inde, Philippines ou Vietnam) et surtout à l’égard des Hispaniques (Mexique, Cuba). La mobilité professionnelle et résidentielle permet d’échapper à l’hostilité des familles. Or les Américains changent de métier et de résidence très souvent ; la crise industrielle des Appalaches et des Grands Lacs et la crise immobilière chassent la population, notamment les noirs, vers des régions plus dynamiques.
« We the people, in order to form a perfect Union » : le message d’unité de George Washington, repris par Barack Obama à Philadelphie, est peut-être tout simplement celui de la réconciliation des races, qui passe par le métissage !