Réservoir de la conscience stylistique stérile au centre d’une présence poétique réactive de l’écrivain. Le roman Les Milles et deux nuits (1977) avec son discours nationalo-bahaiste (1) reposant sur une métaphysique discursive, aliénant l’histoire et excluant le réel au détriment de creuses rhétoriques, le texte soumet alors, le réel, ses lois objectives et ses évolutions au seul niveau du lexique employé.
Le roman de Hani al-Rahib, représente, à partir de ce qui précède une certaine image de la conscience des pouvoirs politiques arabes au réel, inversé bien entendu, qui ne cesse de végéter sur la base de la tryptique : la nation arabe au message éternel, une histoire, attachée aux cieux et à ses représentants sur terre, unificatrice et enfin, un patrimoine commun indéfectible. De là, le pouvoir arabe s’estime en réelle possession du droit sur l’existence tout comme se munir du droit de la hotter aussi. C’est bien dans ce cadre que le roman de Hani al-Rahib apparaît comme une continuité du texte romanesque syrien à porter idéologique et ce depuis des écrivains comme Fadel Sibaï, Abdessalem al-Yjaili et Chakib al-Djabiri, jusqu’à Hani al-Rahib, le message éternel de la nation arabe, la langue arabe toujours éternelle et l’histoire comme issue de la seule volonté des pouvoirs en place, marquent chez ses auteurs, la limite esthético – épistémologique du texte romanesque.
Les auteurs suscités, tout comme la grande majorité des écrivains du Monde arabe, se baignent dans une vision du réel comme un ensemble de structures sensationnelle où le réel perd sa présence comme matérialité indépendante de toute volonté humaine, afin d’accéder au stade d’un reflet de la conscience même et c’est en ce sens que l’idéologie intervient afin de déformer ce reflet pour en faire un ensemble de concepts éphémères dénaturant le réel au détriment de l’équation du non-réel. La langue faillit à traduire ce réel en se délabrant dans le vide des rêveries, poussant l’auteur à « s’immoler » dans ses personnages, approuvant la conscience mythique du clonage et de la présence fantomatique des êtres diminuant par-là la dimension complexe du social, en la réduisant aux seul concept, et symbole, creux, tout en creusant d’insurmontable sillons dans le texte qui accomplis une pseudo clôture. Et c’est bien le cas du roman Un pays qui est un monde (1985) qui s’achève dans la lignée des écritures romanesques, marqués par une cassure fictionnelle que Hani al-Rahib a précédemment entamé dans le troisième roman en 1977.
Romancier syrien, décédé le 6 Février 2000, à l’âge de 61, utilisé pour appeler le roman une immunisation contre la folie. Certes, certaines personnes créatives sont tellement affligées, tandis que d’autres luttent pour éviter toute évidence hors tension. Crises d’épilepsie de Dostoïevski convaincu certains qu’il était fou, et même si Dostoïevski ne était pas cliniquement fou, il a vécu dans une crise continuelle et souffraient de dépression; le roman était un mécanisme d’échapper à ces réalités. Beaucoup conviennent qu’Ernest Hemingway craint la folie, une peur il a gardé à distance à travers l’écriture.
Rahib semble avoir apprivoisé la folie en le transformant en une anxiété qui peut être contrôlé et qui se manifeste sous la forme de luttes et de conflits continus.
Rahib vécu une vie orageuse, marqués d’affrontements et de défis. Il se est rebellé contre et a été expulsé de l’Union des écrivains arabes aussi loin que 1969. Il a été congédié de son poste d’enseignant à l’Université de Damas et rétrogradé dans une position de l’enseignement secondaire. En 1995, Rahib a été chassé de l’Union des écrivains arabes pour une deuxième fois, pour avoir prétendument appelant à la normalisation des relations avec Israël. (In, Al Jadid, Vol. 6, no. 31, printemps 2000).
Le romancier syrien considère qu’afin d’écrire son roman, il a opté pour la technique dite de « l’équation romanesque » comme alternative esthétique à l’écriture du réel, renvoyant par-là à T. S. Eliot qui développa la question pour sa poésie et en l’adoptant à ses romans. H. al-Rahib, indique (2) que,
« Le personnage d’Oum Yasser est aussi un symbole, tout comme l’invasion de l’analphabétisme, qui est un fait réel, il est aussi un symbole ».
C’est ce que Hani al-Rahib saisie de la conception de l’écriture littéraire chez T.S. Eliot, une compréhension qui relève du prolongement, tout à fait objectif, de l’incapacité chez beaucoup d’écrivains du Monde arabe à saisir et donc à maitriser la culture des autres peuples, ne pas saisir que la pensée de l’autre (essentiellement, occidental) est soumise à un déconstructivisme local vis-à-vis de la pensée arabe. Il ne peut réaliser un déterminisme totalisant en regardant ou lisant la production culturelle arabe, et ce depuis la pensée hellénique à nos jours. La pensée arabe n’a fait que culturalisée et folklorisé même la culture et les pensées de cet autre. N’est-ce pas que les premiers penseurs arabo-musulmans n’ont saisis de la poétique d’Aristote que la métaphore, Abbas Mahmoud Akkad (3) ne comprend de la théorie de l’unité organique, chez Coleridge que cette unité objective qui produit tout texte artistique et de même pour Hani al-Rahib qui réduit le concept du corrélat objectif de T. S. Eliot au seul personnage devenant le réel et le symbole au sein d’une œuvre de fiction.
Corrélat écrivain/réalisme
La théorie réaliste et à travers sa généralisation des phénomènes réels n’a pour objectif que de considérer l’action et le personnage comme reflets et symboles de ce même réel en mettant en exergue les valeurs historiques qui le traverse, donc déceler le particulier du général dans la découverte ce qui a été « diabolisé » dans ce phénomène, ce qui a été rendue invisible à l’œil nu dans ce même mouvement historique du réel et faire apparaître les dissimulations et les occultations du fait de l’intervention de la métaphysique. A ce niveau, la perception de l’autre est la seule à déloger, ce diabolique être non-apparent et ne pouvant s’exprimer dans le texte que par l’intervention de la dialectique du rationnel en un rapport du Moi avec la Nature et de ce même Moi avec l’Autre afin d’élever l’art au niveau de cet instrument d’analyse qui permet de décrypter le réel avant même l’instant de l’écriture.
Pour revenir à la conception à la conception d’Eliot, qui est une équation rationnelle propre à l’eurocentrisme, producteur de prises de positions subjectives, réactionnaires sur le plan politique et déformante d’une pratique culturelle en relation étroite avec un mode de production culturelle. Une conception qui ouvre des portillons sur un imaginaire aliénant auquel adhère bon nombre d’écrivains arabes, dont Hani al-Rahib.
La question qui s’impose aujourd’hui est la suivante : la langue d’écriture qu’utilises les auteurs arabes s’est elle tellement désaliénée de sa dimension métaphysique pour en faire une expression du réel ? Les auteurs arabes n’ont jamais – toutes écritures confondues, osons-nous le rappelé – tenter de déloger la langue, elle-même, de sa tour céleste pour pouvoir être au milieu d’une neutralité bien éloignée de la perspective sentimentale et de son regain comportemental. Le roman Un pays est le monde est un texte centré sur des réactions sentimentales et des désirs, un roman dont l’auteur est présent afin d’exercer son pouvoir en interdisant à ses personnages de porter des identités personnels, de rejeter toute autonomie aux faits et actions qui leurs auraient permis de s’identifier un peu clairement dans une écriture où le temps et l’espace sont réellement a historique.
Le récit est celui de Alouane et de sa femme, Nasik, aspirent un appartement social après avoir été renvoyés d’une maison qu’ils loués. En attendant, ils s’installent dans un quartier populaire dénommé « Le Cirque » symbolisant un monde mystérieux, un espace métaphasique où se confondent le rationnel et le non-rationnel et le réel avec le fantaisiste. Le lecteur est mené, au bout d’une centaine de pages, dans les méandres de l’univers du cirque et afin d’en sortir, indemne, il n’a qu’à ce contenter de la symbolique des prénoms que portent les personnages et que l’auteur classes en catégories sociales.
Alouane, dont l’étymologie arabe renvoi à « l’élévation divine », cherche à déserter sa condition petite-bourgeoise afin d’améliorer sa situation. Et c’est bien l’auteur qui décide à la place du personnage, de réussir ou non, de changer de case sociale. Nasik, est celle qui se définie par cette « étoile filante et brillante » illuminant le ciel de Alouane, mais qui finit par s’éteindre une fois que celui-là accède à la hauteur de son élévation désirée. Il y a Saadoun, de saadane (le macaque) celui qui anime les soirées du « Cirque », un personnage qui représente effectivement l’improductibilité de la parole dans le texte de Hani al-Rahib, Oum Abouda et ses enfants (des esclaves d’origine palestinienne), Khaldoun, « un éternel » par les animaux, Soultane, le « Chef du Cirque » qui n’est autre que le sultan du pouvoir arabe. Il y a enfin Oum Loulou, « la mer de la perle » un personnage-nom qui incarne l’accession par la richesse dans une économie marquée par la seule consommation et l’économie du bazar.
Le roman de Hani al-Rahib avait pour ambition d’être critique suite à une situation historique qu’est la défaite des bourgeoisies arabes après juin 1967 devant l’armada israélienne, une portée programmatique que voulait l’auteur assimiler à l’ambition poétique de T. S. Eliot. Ce dernier, dont certains écrivains arabes se revendiques ses adeptes, est un auteur qui puisait essentiellement dans la culture occidentale en mettant l’accent sur le mode de la récupération de la forme, de la tradition et de la structure par l’approfondissement de la critique et le travail sur les signes expressifs. Un américain qui peut assimiler la culture du vieux continent en racontant la tragédie de l’humanité occidentale dans ses sursauts vers la modernité économique et sociale. T. S. Eliot a reçu une formation classique, il aimait Dante en adhérent à la métaphysique, par l’ésotérisme du symbolisme français. Laforgue est proclamé par le poète anglo-saxon comme son maitre d’écritures. De Paris à Marburg (Allemagne) en passant par les cours d’Henri Bergson au collège de France, il s’établit en Angleterre pour une rencontre décisive avec Ezra Pound pour débuter ses cycles d’écritures et concevoir sa méthode mythique, une conception qui allait explorer le passé et le présent culturel européen en tentant d’innover les horizons de l’angoisse aliénante d’un contemporanéité dans une Europe défragmentée et souillée par des luttes inter -capitalistes.
La théorie mythique murira entre Laforgue et Baudelaire pour aboutir à l’émergence d’une « métaphysicalité » entre philosophie et poésie dans une fusion momentanée de la pensée et du sentir sur la base de la seule expérience mystique répondant à la pertinence du discours philosophique occidental, une philosophie basée sur la pensée qui est seule à atteindre et saisir la réalité. Une réalité dans laquelle l’écrivain ou l’artiste est rendu invisible se transformant en archétype de l’impénétrabilité poétique, comme l’aime à le définir Eliot lui-même.
En s’accaparant du monadisme de Leibniz et en soulevant un discours d’attachement à la tradition littéraire occidentale (d’Homère au XXe siècle), Eliot soutien le retour à la tradition chrétienne en combinaison avec une philosophique et historique afin d’aboutir à une poésie dépourvu de toute structure cohérente, en abordant d’une façon fragmentaire le Je, la communication, l’expérience, et la temporalité. Ce qui intéressait Eliot était de mettre en relation l’objet et le sujet, le passé et le présent, la réalité et le mythe, enfin texte et texte. Ce sont les grandes lignes de sa méthode mythique. Pour lui, le poète doit non plus raconter mais confronter toute ébauche de séquence écrite, tout schéma psychologique et sentimental à des paradigmes mythiques, anthropologiques et littéraires. Le texte se construit à partir d’une intuition initiale sur d’autres textes, dans un réseau de rapports explicites et implicites (4).
Il est aussi question chez Eliot de cette paralysie sémantique dans un présent négatif et d’une aliénation historique marquée par l’entre-deux-guerres. Une même fonction est relevée chez Joyce, une écriture de la crise du capital, celle du polystilisme, du bouleversement parodique et burlesque dans une contestation du système fermé et qui ne sont que des ingrédients de la satire Ménippe chez Pétrone et Rabelais notamment.
A la lecture de ce qui précède, nous nous retrouvons devant cette reproduction théorique de la stylistique arabe bien archaïque et n’arrive guère à assimiler les règles de l’écriture aristotélicienne avant même d’aborder la conception éliotienne (5).
Et l’aventure de cette mémoire active stimulant l’imagination par une alliance de la pensée et sentiment, se poursuit dans le roman syrien, voir arabe dans sa presque totalité, qui n’arrive à saisir que la littérature est d’abord une affaire de langue et que l’esthétique romanesque est un art de la présentation d’actions dans le cadre d’une stylistique sociologique, telle que l’envisageait Bakhtine. Delà le courant de la subjectivité et de la sentimentalité dans le roman, se voulant contestataire et social, ne peut se concevoir avec les seuls mots mais bien avec le réel qu’il représente et qu’il symbolise.
Hani al-Rahib a faillis à sa mission d’esthète de la fiction arabe renouvelée (rénovée) en frappant à la porte de la décadence du lumpenprolétariat évoluant dans l’imaginaire désiré de l’écrivain en « force révolutionnaire » et pourtant ce sont eux, aujourd’hui, qui prétendaient à leur « Printemps arabe » pour réformer et reproduire la décadence arabe.
Notes :
1)- Le bahaïsme, ou baha’isme, aussi connu sous le nom de foi bahaïe ou béhaïsme (vieille graphie) est une petite communauté internationale dont les membres souhaitent être perçus comme les adhérents d’une « religion mondiale indépendante ». L’Epidémie (1982) fut construit sur la base d’une recherche alliant le nationalisme arabe qui prétend défendre les minorités traditionnalistes.
2)- Propos de l’écrivain syrien recueilli par Charles Glass, dans son livre « Tribes with flags » (1990), (tribus avec des drapeaux), sur le Liban.
3)- Abbas Mahmoud Al Akkad né en 1889 à Assouan et mort en 1964 au Caire, est un écrivain et philosophe égyptien.
4)- Lara Tanari, La Méthode mythique de T. S. Eliot. Séminaire d’Histoire des Idées, Universita degli Studi di Bologna (Italie), 2005.
5)- J.-P. Rosaye, La mémoire philosophique de T. S. Eliot. In. Philosophical Esquiries : Revue des philosophies anglophones, n° 1, Varia du mois de juin 2013, p.79.
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