Chroniques Mondes européens

La Famille Walter de Heilbronn-Neckar : le Conservatisme Catho Provincial du Bade-Wurtemberg – Juillet 1959

*Après un été 58 passé à Hambourg dans une famille moderne libérale, sous influence US, je débarque le vendredi 3 juillet 59 dans une famille conservatrice et catholique à proximité de Stuttgart, dans le sud-ouest allemand, plus précisément le land de Bade-Wurtemberg**.
J’ai la chance de découvrir ainsi un deuxième aspect de la vie sociale et économique germanique, fort différent de la dynamique nordiste.
Je vais séjourner 3 semaines dans la maison de mon deuxième correspondant, Wolfgang Walter, âgé alors de 16 ans (j’en ai tout juste 15 et je viens de terminer la 3ème, doté du prix d’excellence). Cette petite villa agréable et moderne est située dans le quartier de Sontheim, au bord du Neckar.

La ville de Heilbronn est située à 60 kms au nord de Stuttgart. Arrosée par le Neckar, cette douce rivière doublée par un grand canal, qui serpente dans un paysage de vertes collines plantées de vignes, c’est la capitale allemande du vin rouge (Neckarswein).
A l’origine, la ville fut créée autour d’une source ou fontaine (Brunnen devenu Bronn), qui guérit (Heilen).
On y vit bien, la chère est bonne, et l’activité est moins intense que dans le nord. C’est aussi une ville industrielle, on y trouve l’une des usines automobiles NSU, Fiat, des mines de sel gemme, de la potasse.
Les canaux sont impressionnants, de très grand gabarit, avec des péniches 6 fois plus grandes que celles du Canal du Midi, et des écluses gigantesques mesurant jusqu’à 300 mètres de long, où deux péniches peuvent stationner en même temps.
Comparativement à Hambourg, la grande capitale du Nord, Heilbronn est une petite ville de province, qui comptait en 1959 un peu plus de 60 000 habitants. Province profonde oblige, la vie y est beaucoup moins trépidante…
On ressent moins la pression, peut-être est-ce dû à la situation plus sudiste de la ville. Je retrouverai d’ailleurs cette moindre agitation à Munich. Il faut probablement y voir l’influence d’un catholicisme moins enclin à rechercher l’enrichissement personnel.
Mais on est encore loin des régions françaises méridionales : la discipline et le sens du devoir imprègnent la vie courante. Le conservatisme règne. Une certaine rigidité imprègne le tissu social. L’autorité du père de famille est toute puissante. C’est une énorme différence avec mon milieu familial, où mon père, d’une très grande ouverture d’esprit, permet à un climat familial joyeux et décontracté, et à une grande liberté de contact, de se développer.
Cependant, au-delà d’une première impression, je m’apercevrai qu’il y a chez les Walter une vraie vie de famille, on sait s’amuser ensemble, et l’absence de télévision permet de passer des soirées à pratiquer des jeux de société, très souvent amusants, déclenchant des rires et une bonne humeur.
Ce conservatisme traditionnel, j’en aurai une première manifestation lors du dîner du soir de mon arrivée dans la famille Walter : vers 20 heures, toute la famille se met à table et je me retrouve assis avec les parents Walter, Wolfgang et sa sœur Sigrid.
J’ai faim, et je saisis naturellement mes couverts. Stupéfaction générale, 4 paires d’yeux me foudroient simultanément, je me sens immédiatement coupable, mais de quoi, qu’ai-je fait de répréhensible ?
Situé en face de moi, le père m’explique qu’avant de commencer à manger, il convient d’abord de remercier le Seigneur, qui nous a octroyé toutes ces victuailles. Et il prononce une prière, qui va nous autoriser à goûter enfin la cuisine de Mme Walter.
J’en voudrai longtemps à mon correspondant Wolfgang, qui ayant vécu auparavant dans ma famille, n’a pas cru bon de me prévenir de cette tradition familiale religieuse…
Et pour me faire pardonner cette “bévue”, j’ai offert les « présents » choisis par ma famille !
Quant au menu, quelque peu frugal, il faut bien l’avouer, il comprenait du saucisson, du pain beurré, des tomates, le tout arrosé par du thé au lait. Le Seigneur n’avait pas été généreux !
Heureusement les petits déjeuners étaient copieux, petits pains, beurre, marmelade et café au lait.

Le Père : Herr Paul Walter
C’est la forte personnalité de la maison, de grande taille, mince, les cheveux poivre et sel peignés en arrière, il en impose naturellement.
Il devait en imposer encore plus en uniforme au cours de sa carrière dans la Luftwaffe, qu’il acheva comme général. Une photo en témoigne, posée bien en évidence sur le tablier de la cheminée, où on le voit avec toutes ses décorations, dont la croix de fer.
Il a fait toute la guerre dans l’aviation, à partir de la guerre d’Espagne, dans la légion Condor. On peut donc supposer qu’il ait participé au bombardement de Guernica.
Pas inquiété après la guerre, il a pantouflé dans un poste de tout repos, représentant de la société Ernte 23, filiale de la Reemtsma, la société qui distribuait alors 65% du tabac et des cigarettes consommés en Allemagne, (l’équivalent de la Seita en France). Il rayonne sur tout un territoire autour de Heilbronn, et son job est de passer prendre les commandes dans le petit commerce de gros qui alimente les débits de tabac, sachant qu’il a une position de leader. Pendant la première journée où je l’ai accompagné, il a vendu 7 millions de cigarettes ! C’est un travail facile, avec de nombreux contacts, des déplacements d’un jour en VW (abréviation courante de VolksWagen, que l’on prononce fao/vé) dans sa région. Il fait plus de 100 000 kms par an, ce qui m’impressionne.
J’ai retrouvé la date de cette première journée, c’était le mercredi 7 juillet 1959 (Source Tagebuch RS)
Au cours de cette agréable tournée professionnelle, nous avons suivi la belle vallée du Neckar et visité la ville touristique de Bad Wimpfen où nous avons bu une bière dans un café avec vue sur la vallée et admiré les vieilles maisons et les églises anciennes.
Nous avons ensuite déjeuné à Neckarsulm, au menu, soupe froide, de la viande avec des pommes frites et une crème en dessert. Ensuite visite de l’usine de fabrication des automobiles NSU.
J’eus l’occasion de refaire une deuxième tournée touristico-gastronomique de prise de commande. C’était le jeudi 16 juillet et il faisait un peu moins beau, avec un ciel nuageux. Levés tôt, départ à 8 heures, et portant un pull, pour la première et seule fois du séjour, nous prîmes la direction du sud jusqu’à la vieille ville de Marbach. Rendue célèbre par Schiller, qui y est né en 1756. Sa maison natale est devenue un musée. Ce musée Schiller contient pas mal d’objets et de meubles lui ayant appartenu. Dans mon journal, j’ai noté « intéressant, sans plus ». Rappelons que Schiller est avec son ami Goethe le plus grand auteur allemand, philosophe, poète, essayiste, créateur de pièces de théâtre, dont certaines deviendront des opéras (Guillaume Tell de Rossini et plusieurs œuvres de Verdi : dont les Brigands, Don Carlos, Luisa Miller et Marie Stuart).
Ensuite retour via deux vieilles villes typiques, Besigheim et Betigheim où nous avons déjeuné dans une auberge.

La Mère Gerda Walter
Comme la plupart des épouses à cette époque en Allemagne, la mère de Wolfgang est une parfaite femme au foyer, assumant toutes les tâches imparties, en restant dans l’ombre de son mari. J’ai le souvenir qu’elle cuisinait bien une solide cuisine germanique, mais je ne trouve aucune trace venant corroborer ce fait. Peut-être suis-je influencé par les bons repas faits dans les restaurants (gasthaus) avec son mari.
Je me souviens bien par contre d’un soir, où les parents étant absents, la sœur de Wolfgang, 14 ans à l’époque, avait fait la cuisine. Les œufs ayant été quelque peu grillés, elle s’était fait chambrer par son frère, qui n’était jamais tendre envers elle.
Un mot sur Sigrid, une belle jeune fille blonde, qui participait joyeusement à la vie de famille, sortait avec ses copines, nous accompagnait à la piscine, et prenait des cours de danse, comme son frère. A cette époque, la société voulait que les enfants de « bonne famille » sachent danser, pour pouvoir se rencontrer aux bals organisés par les parents, et reproduire à leur tour l’organisation sociétale.

Ci-dessous, photo de Sigrid Walter 14 ans

C’est d’ailleurs au retour de l’un de ces cours que Wolfgang m’apprit les pas du « Boogie », la seule danse avec le slow que je suis capable d’exécuter.

Les Journées à La Piscine
Pendant les 3 semaines passées à Heilbronn en juillet 1959, il fit pratiquement toujours beau, avec cette belle chaleur continentale, qui me changeait de l’humidité hambourgeoise.
Par chance, cette ville disposait d’une immense piscine avec 3 bassins adaptés au niveau des nageurs. Un pour les non-nageurs, un deuxième pour les débutants et un troisième pour les bons nageurs. Les bassins étaient entourés par un vaste ensemble engazonné, où on pouvait s’installer, s’allonger, vaquer à diverses occupations et même jouer au football entre amis. C’est ce que nous fîmes avec les amis de Wolfgang, à savoir : Kurt, Gottfried et Jörg.
Sigrid nous accompagnait aussi à la piscine, avec son amie Marlinde.
Au cours des 3 semaines de beau temps passées à Heilbronn, j’ai passé beaucoup de temps dans ce domaine aquatique. Je nageais beaucoup, améliorais mes performances, et acquis un bronzage inespéré en Allemagne. Je m’essayais même au plongeon (seulement 3 mètres), sans pourtant beaucoup apprécier cette discipline !

Les courses en vélo avec Wolfgang
La bicyclette constituait un bon moyen de locomotion dans les environs de Heilbronn. Avec un vélo prêté par la famille, je pus accompagner Wolfgang dans de nombreux déplacements allant jusqu’à 25 kilomètres autour de la maison des Walter située Kolpingstrasse 56 au bord du Neckar. Il s’agissait souvent en début de soirée, ou après le dîner, de faire une course pour aller chercher des framboises ou des objets divers chez les oncles et tantes de Wolfgang. Nous avions pris l’habitude de faire l’aller à vitesse normale, en rouant sérieusement, et de nous livrer au retour à une course effrénée, « que le meilleur gagne » !
Et comme nous étions de force sensiblement égale, nous nous battions pour arriver le premier, roulant très vite sur des routes heureusement peu fréquentées. Hargneux tous les deux, il fallait vaincre à tout prix, et nous avons dû faire d’excellentes performances. En relisant mon journal, je constate que nous gagnions à tour de rôle. Curieusement, dans ce pays très policé et discipliné, nous n’avons jamais été inquiétés, ni n’avons eu d’accident.
Je me souviens encore de la griserie procurée par la vitesse et la prise de risque dans la douce fraîcheur crépusculaire. A l’arrivée, c’était soit un bon dîner, soit une bonne bière sur la terrasse, avant de jouer en famille, au « Mau-Mau » ou au « Menteur ».
J’étais fier quand je gagnais, Wolfgang ayant 2 ans de plus que moi, ce qui compte à cet âge.
Il était sportif, et pratiquait le hand-ball, sport éminemment germanique, dans l’équipe de Sontheim. Quant il jouait à domicile, toute la famille allait le supporter ! J’eus ainsi l’occasion d’assister à une victoire de son club après un match disputé. S’il ne jouait pas au tennis, il pratiquait le badminton, et nous y avons souvent joué le soir dans le jardin, avec la famille et ses amis.

Wolfgang sur la Tour du Wartberg : au fond Heilbronn

Bärbel
Je m’aperçois que j’allais oublier une figure importante de la famille, Bärbel, la chienne teckel qui n’aimait pas l’eau, c’est du moins la légende qui l’entourait, jusqu’au jour où allant nous promener en famille le long du Neckar, et admirant les rameurs qui s’entraînaient, elle se mit à aboyer après eux et sauta dans l’eau pour les poursuivre…elle nageait très bien, toute heureuse de son exploit. Une fois sortie de l’eau, après s’être secouée pour se sécher, elle se mit à aboyer de joie, à la surprise de la famille Walter qui pensait avoir une chienne aquaphobe !

C’est le seul séjour que je fis à Heilbronn.
Au bout de ces 3 semaines agréables et ensoleillées, je pris le train pour Hambourg, en compagnie de Sigrid qui partait dans sa famille à Delmenhorst. Une autre aventure m’y attendait, puisque j’allais vivre quelques temps avec un groupe de jeunes orphelins dans la ville de Mölnn, à proximité de Lübeck, et dans la banlieue populaire de Hambourg, logé chez les Zimmerman, les grands-parents de ma correspondants Antje Selle.

*la famille Walter : Gerda, Paul, Sigrid et une petite voisine
** Württemberg s’écrit avec 2 t en allemand