Dans le cadre d’un échange linguistique franco-allemand, je débarque le dimanche 25 août 1958 à Hambourg où je suis reçu par la famille Selle, dont la fille Antje vient de faire un séjour dans notre famille à Toulouse.
Je termine ma 4e au lycée Bellevue de Toulouse, germaniste, j’ai commencé à apprendre l’allemand en 6e. Il est temps de passer de la langue scolaire enseignée au lycée à la langue populaire, réellement parlée par les Allemands.
J’ai tout juste 14 ans. J’ai tout à apprendre de cette langue vivante, qui n’a rien à voir avec ce l’on m’a appris au lycée. J’ai tout à découvrir de la manière dont se déroule la vie dans une famille hambourgeoise et dans un pays nouveau.
C’est une immersion totale à laquelle je ne suis pas préparé.
La première semaine sera difficile, la langue parlée est différente, je dois m’habituer aux prononciations et au vocabulaire, et les usages familiaux sont différents des nôtres, mais je n’ai pas le choix, l’accueil est chaleureux, Mme Selle, aux petits soins pour moi, passe beaucoup de temps à m’apprendre les rudiments pratiques de la langue parlée.
Elle a une idée géniale, me faire tenir un « Tagebuch », un journal quotidien où je ferai la narration des évènements vécus, en allemand, sa relecture permettant de corriger les fautes d’orthographe et de grammaire, et d’améliorer le vocabulaire. Je poursuivrai la tenue de ce journal durant les 5 étés passés en Allemagne. C’est une excellente manière de laisser une trace factuelle et d’écrire dans la langue parlée couramment dans le pays. Cela vient compléter utilement le temps passé en classe à apprendre l’allemand scolaire.
Ces cahiers sont toujours en ma possession, tout comme les lettres échangées avec mes parents.
En outre, en bonne enseignante, Frau Selle me fait faire des dictées et lire à haute voix : je suis privilégié, j’ai une prof particulière à domicile. Ceci expliquera mes progrès rapides en langue allemande, en plus des discussions avec la famille, de jeunes Allemands issus des « Pfadfinder *» (scouts allemands) et de jeunes de la banlieue.
Si je n’ai pas de mal à écrire dans la langue de Goethe, la discussion est plus difficile, c’est en fait la première fois que j’échange en langue allemande avec de vrais Allemands. Mais je vais m’adapter assez vite.
Des habitudes alimentaires différentes
Une des plus grandes surprises provient de l’alimentation. Dans une zone longtemps occupée par les Américains après la fin de la guerre, les familles modernes et dynamiques, comme les Selle, ont adopté un style de vie américain, maison cossue équipée de fauteuils confortables, équipement sanitaire complet, alimentation rapide et simple. Antje, âgée de 18 ans, vient de faire un séjour aux USA.
Le seul repas où je ne suis pas surpris est le petit déjeuner. De succulents petits pains, avec beurre, marmelade, confiture de fruits rouges et du café au lait, sont dégustés à mon réveil, vers 9 heures.
Les choses se compliquent avec le déjeuner, pris vers 13 h 30 / 14 h.
Ni pain, ni serviettes, ni boisson. La maîtresse de maison, qui n’est pas une grande cuisinière, prépare pour chacun une grande assiette composée avec les aliments disponibles habituels. C’est ainsi que dans un courrier à mes parents, je détaille la composition d’une assiette-déjeuner : « des pommes de terre, du chou-fleur, des racines rouges inconnues (en fait du chou rouge), des frites, etc., des mélanges extraordinaires… »
Vers 16 h, une collation, avec du thé et des tartines. On ne boit pas de thé dans ma famille toulousaine, mais là, la faim me pousse à faire des sacrifices…Mais on sert aussi du café.
Pour le dîner, c’est la queue devant le grand réfrigérateur dans une cuisine moderne et bien équipée. Muni d’une planchette en bois, chacun se sert à la fortune du pot. Heureusement, d’un grand volume, le frigo est généralement bien rempli. Chacun pioche pour composer son repas en fonction de l’offre : du pain, du beurre, de la saucisse, des fromages (dont un à l’ail), que l’on mange en tartines, des tubes contenant des matières alimentaires indéfinies pour le jeune toulousain que je suis. Le tout arrosé avec du thé.
On trouve même un autre pain un peu étrange, si on peut l’appeler ainsi. C’est du pain noir, très dur, du « Pumpernickel », ainsi que l’a dénommé Napoléon quand on lui en a proposé : il a dit en fait « c’est bon pour Nickel », Nickel étant le cheval de l’empereur. Il faut avoir vraiment faim et de très bonnes dents pour en manger. Et, oh miracle, il y a aussi des œufs, qu’il faut préparer soi-même. Devant mon embarras à cuisiner, je reçois une aide des femmes compatissantes.
J’allais oublier que le Schleswig-Holstein est un pays de pommiers. Les tartes aux pommes sont fréquentes et succulentes et nous dégustons un jus de pomme en bouteille en verre
d’un goût délicieux. Il est tellement bon qu’il est acheté par caisses entières, dont nous faisons une grande consommation.
J’ai retrouvé le menu d’un déjeuner dominical chez les grands-parents Zimmermann, les parents de Margot Selle : macaronis, pommes de terre, choux fleurs et viande de porc. Et en dessert j’ai mangé une banane, fruit rare en 1958 en Allemagne de l’Ouest. Lors d’un autre repas, nous avons dégusté de la sole avec des pommes de terre en salade. Solide et consistant…
Chaque sortie est l’occasion de manger des glaces, soit à un distributeur ambulant, soit dans un café. Il est vrai qu’on est en été, et que pour les Allemands du nord, il fait chaud.
Confort et ameublement
Une très bonne surprise, la qualité de l’ameublement et le confort inconnu découvert dans cette maison néo-bourgeoise germanique. La villa est bien située dans un beau quartier résidentiel, tout proche de l’Alster, ce grand lac au milieu de la ville. Elle se compose de 4 pièces en demi-niveau. Fritz Selle, architecte, a construit sous le toit deux studios complets avec salle de bain et douche privative pour ses 2 enfants, Antje et Dirk, avec une entrée indépendante.
L’un de ces deux studios, celui de Dirk, m’a été octroyé. C’est la première fois de ma vie que je vais disposer d’une chambre seule, avec sanitaire et douche. La conception en est moderne, et je vais commencer à apprécier et à m’imprégner de cette nouvelle architecture d’intérieur inconnue dans ma famille toulousaine. On y retrouve l’influence américaine, très forte dans le nord de l’Allemagne, dans cette grande zone occupée par les États-Unis après l’armistice. Le reste de la maison est meublé dans un style moins moderne, mais très confortable, avec des fauteuils profonds, dans lesquels je m’enfonce avec le plus grand plaisir.
L’équipement sanitaire est complet, je dispose d’une douche personnelle et je vais prendre immédiatement les bonnes habitudes allemandes, à savoir une douche tous les jours, même plus si besoin est.
Dirk Selle dans un fauteuil confortable
Le garage n’est pas au sous-sol, mais dans un local situé à l’angle de Sophienterrasse et Mittelweg, entre la maison et le bureau d’architecte. C’est là qu’est garée la modeste VW (prononcer Fao-vé) familiale. Ce local nous servira au Nouvel An 62 pour organiser une grande surboum…
Le niveau de vie
Un mot sur le niveau de vie : la famille Selle gère bien ses finances, pas de dépenses inutiles, elle fait partie de cette classe laborieuse qui travaille dur pour s’enrichir. Elle a les moyens de permettre à la maîtresse de maison de ne pas travailler. De culture évangéliste non pratiquante, la famille participe à de nombreuses activités associatives et caritatives. Les enfants sont inscrits aux scouts allemands, les « Pfadfinder ». J’ai toujours observé un comportement quasi laïque, fort différent de ce que je découvrirai plus tard dans une famille catholique du Bade-Würtenberg.
On peut penser qu’en plus des besoins familiaux, il y a la maison à payer et une aide substantielle à apporter aux « Ossies », les cousins bloqués à l’Est. Et je découvrirai en relisant mon Tagebuch qu’ils viennent d’acheter une maison de campagne pour l’été, à restaurer, dans la lande de Lüneburg. Fritz Selle nous y conduira, tous les 5 avec le teckel dans la VW.
Le père Fritz Selle travaille dur dans son cabinet d’architecte, car il y a un énorme chantier de reconstruction dans cette ville quasiment rasée pendant la guerre.
Fritz Selle, architecte BDA
Il m’emmènera sur des chantiers qu’il gère, notamment la maison d’un sénateur sur les bords de l’Elbe. Et nous fera donner un coup de main avec Dirk pour les travaux de rénovation de son bureau…
Antje et Dirk ont été éduqués dans les écoles et lycées publics. Ce sont de bons élèves moyens, avec une propension à préférer le pratique au théorique.
Je ne connais pas les origines régionales de Fritz Selle, par contre une grande partie de la famille de Margot Selle est restée bloquée en Allemagne de l’Est. Une aide matérielle et pécuniaire leur est prodiguée régulièrement. Margot se rend fréquemment en Thüringe (province d’Allemagne de l’Est) pour garder le contact.
Dans la famille Selle, on est débrouillard : il est vrai que Fritz Selle est patron de son entreprise, il mène un rythme d’enfer, rien à voir avec ce que je connais à Toulouse dans mon milieu de fonctionnaires, d’employés et d’ouvriers. Un constat : déjà en 1958, les Allemands travaillent plus que les Français.
Les grands-parents Zimmermann
Ils habitent la banlieue nord, dans une zone complètement rasée par les bombardements alliés. Pour reloger les survivants, on a bâti des cités aérées avec des bâtiments modernes, entourés d’espaces verts bien arborés et de jeux pour les enfants.
Dotés de tout le confort, de quoi faire rêver le petit Toulousain qui vit dans une maison sans salle de bain, avec les WC à l’extérieur…
Ils vivent au 1er d’un bâtiment de 4 étages, dans un appartement simple et cossu. Dans le séjour trône un grand aquarium, que je pourrai admirer de nuit quand je serai amené à coucher dans le canapé, lors de quelques séjours au cours des 3 étés passés à Hamburg.
Ma mère, Bernard mon petit frère, Oma, moi et Opa
24a Hamburg 26 Rumpffsweg 8-1
Les grands parents sont dénommés Opa und Oma (Papy et Mamy) et ils sont une aide précieuse pour leur fille et leurs petits-enfants, notamment pour la garde du teckel.
Oma va chaque semaine aider sa fille pour le ménage, souvent accompagnée par une jeune voisine.
Opa, un homme charmant, sera mon cicerone lors de mes séjours. Il est chargé de me faire visiter tous les monuments et sites hambourgeois. Nous nous donnons rendez-vous devant le Rathaus (Hôtel de Ville) et de là nous nous rendons sur les sites. Je n’aurai jamais fait autant de visites culturelles, et en sortirai incollable sur l’histoire de Hamburg.**
Les déplacements sont faciles grâce au tramway que je prends seul, facilement, une fois que l’on a compris les mots clés : einsteigen (monter) et umsteigen (changer de tram). La ligne 9 n’a plus de secrets pour moi, je l’emprunte pour aller de Sophienterrasse au Rathaus.
Opa ne manque jamais de m’offrir à chaque sortie un souvenir culturel, guide, carte postale, gadget typique. Il paie aussi les tickets d’entrée. Il a beaucoup de mérite de marcher longuement avec moi, car il est asthmatique, et doit souvent s’arrêter pour utiliser son inhalateur.
Toujours vêtu d’un costume gris dans lequel il flotte un peu, cravaté, les cheveux blancs peignés en arrière, il a une certaine classe. On trouve chez lui un esprit de méthode, de la rigueur et du respect pour autrui. Il a travaillé à la société pétrolière Shell : il est donc initié aux méthodes professionnelles américaines.
Opa Zimmermann et le teckel Motte, au fond le bâtiment qu’ils habitent
Fait remarquable, c’est le seul Allemand ayant vécu le nazisme et la guerre, qui témoignera de remords et me demandera d’excuser son peuple pour tout le mal qu’il a fait. Alors âgé de 14 ans, n’ayant pas vécu directement le conflit ni subi les malheurs de la guerre, je suis très gêné par sa contrition, d’autant que je suis partie prenante du grand projet d’union européenne d’une part et franco-allemande d’autre part. Je ne me sens pas légitime pour lui pardonner ses péchés.
Je suis tourné vers l’avenir, Opa terminera sa vie dans des remords éternels !
Le climat hambourgeois
Habitué à la chaleur humide des étés toulousains, je vais découvrir dans le nord de l’Allemagne un climat bien tempéré.
En cette fin d’été 58, je suis chanceux, il fait relativement beau, avec des températures douces. Tout le monde me dit que d’habitude en cette période, il pleut beaucoup avec des températures plus fraîches. J’aurai cependant le privilège de vivre quelques journées maussades, où, entre Mer du Nord et Baltique, le ciel hambourgeois est très chargé, et les averses redoutables : on est trempé complètement en un rien de temps.
Les années suivantes seront moins clémentes, de quoi me faire regretter la chaleur occitane.
Culture et jeux de société
Les Selle font partie de la classe cultivée, sans aucune ostentation. Il y a des livres dans la maison, une télé rarement utilisée, sauf pour les informations (Tagesschau). Les Selle fréquentent un cercle d’amis, ils vont même à l’Opéra de Hamburg. Un soir, ils iront assister à une représentation de La Tosca.
Il y a aussi la presse, que je lirai avec intérêt. Les journaux parlent beaucoup économie, finance et entreprise et peu de sport, ce qui dénote déjà une différence de mentalité avec les journaux français, plus ludiques, moins austères. Je me perds un peu dans toutes les données chiffrées et le vocabulaire professionnel. Mais j’insiste…
Hamburg est une place forte pour les médias et la famille Selle reçoit le Morgenpost et l’Abendblatt. Il me semble aussi y avoir lu « Die Zeit », grand journal national qui y est réalisé. Je suis surpris par le volume des éditions du weekend composées de plusieurs cahiers traitant de nombreux sujets de société et je me précipite sur le cahier consacré au sport. A Hamburg, la presse suit déjà le modèle américain.
Et comme on a du temps libre, on joue à des jeux de société comme le Monopoly et le Mikado, mais surtout des jeux typiquement allemands, comme « Mensch, ärgere dich nicht ! » (Bonhomme, ne te fâches pas !), Weltreise, etc. Et surprise, moi qui suis habitué à gagner, je constate dans mon journal que je perds beaucoup de parties ! Perte de mes réflexes ou politesse de l’invité ?
Le poste à galène
En 58 on écoute la radio, source d’information majeure. Dans la chambre de Dirk, je découvre un poste à galène que je vais utiliser le soir, quand les ondes passent mieux, pour essayer d’écouter les radios françaises. Je capte assez bien radio Lille. Et je découvre les radios musicales allemandes, qui me permettront d’écouter du classique.
M’étant renseigné sur les prix, un poste à galène coûte moins de 15 DM, (un disque 33 tours en coûte 24), l’achat est dans mes cordes et avec l’accord des parents, je réussis à en acheter un en pièces détachées, que je monterai avec l’aide de Dirk.
C’est ainsi que le soir j’écoute du Beethoven et même les Maîtres Chanteurs de Nüremberg de Wagner…
Le voyage dans le Nord-Express
En 1958 on ne prend pas encore l’avion, mais on voyage en train, ce qui donne un charme incommensurable aux déplacements. Pour joindre Hamburg depuis Paris Nord, on utilise le Nord-Express, un train mythique, qui relie Paris à Copenhague.
Le départ a lieu à 19 h 57, l’arrivée à Hamburg Hauptbahnhof à 9 h 43. La durée du voyage est de presque 14 h pour un parcours de 1030 kms. C’est dire si ce grand train ne roule pas vite, il fait à peine du 75 à l’heure. Les arrêts sont nombreux et il y a 2 frontières à franchir, avec toute la gravité que cela entraîne, chacun s’interrogeant pour savoir s’il a ses papiers, ses billets et les justificatifs pour tous les bagages emportés. Et il y a la crainte viscérale devant les uniformes des douaniers et des policiers… Dès la frontière franchie, ça y est, on se trouve à l’étranger, les ressortissants allemands commencent à parler plus fort, les Français baissent le volume d’un ou plusieurs tons !
Des noms évocateurs émanaient des villes traversées dans la nuit : Liège, Aachen (Aix la Chapelle), Köln (Cologne), Düsseldorf et au lever du jour, Essen, Münster, Osnabrück et Bremen (Brême) avant l’arrivée à Hamburg. Le paysage découvert au lever du jour n’est pas d’une grande beauté, une morne plaine sur laquelle courent des nuages gris, rien qui ne vous enthousiasme après avoir passé la nuit assis sur un siège de seconde, si ce n’est debout dans le couloir.
Notre wagon souffrant de problèmes techniques (chauffe intempestive des freins) on nous a fait changer de wagon avant Köln, et on est restés debout dans le couloir jusqu’à Düsseldorf. Autant dire qu’à l’arrivée, on manquait de fraîcheur ! Contrairement à un souvenir transformé avec le temps, je n’ai pas pris seul le Nord-Express à 14 ans, j’étais en compagnie de Antje qui venait de terminer son séjour à Toulouse dans notre famille. Le retour devait s’effectuer avec mes parents et mon frère, qui étaient curieux de découvrir ce nouveau monde.
Ma famille à Hamburg
Après de longues négociations, mes parents avaient fini par accepter un hébergement chez les Selle. J’étais en effet coincé entre le marteau et l’enclume, avec mes parents, qui comme toujours avaient peur de déranger, et les Selle qui tenaient absolument à les recevoir, vu les efforts réalisés pour la réception de Antje. Quand j’avais dit aux Selle, que j’irais tout seul leur chercher un hôtel, j’avais reçu une interdiction formelle : « Vu ton âge, il est écrit que tu dois nous obéir ! », position qui m’arrangeait profondément.
Ce fut donc mon tour de promener la famille Séguéla à travers Hamburg. Rien de bien marquant, sauf une anecdote qui vaut d’être racontée. Devant le Rathaus, la famille eut besoin de se sustenter. Nous avisâmes un marchand ambulant qui vendait saucisses, hot-dogs, sandwiches, frites et boissons. Au moment de passer la commande, les choses se compliquèrent pour choisir. Comme toujours ma mère hésitait, le marchand commençait à s’impatienter, et de guerre lasse, je commandais des saucisses, des frites et un verre de lait pour tout le monde, sachant bien que les Allemands boivent plutôt de la bière avec des saucisses et qu’il en existe d’excellentes blondes. C’est ainsi que la désinformation se crée. Fier d’avoir été chercher son fils en Allemagne, qui plus est à Hamburg, mon père raconta cette anecdote à sa manière, si bien que toutes les personnes qu’il rencontrait à Toulouse, et elles sont nombreuses vu ses fonctions, apprirent que les tous les Allemands mangeaient leurs saucisses en buvant du lait. Une fois cette histoire lancée, il m’était impossible de corriger le tir, au risque de désavouer mon père.
Voilà comment naissent les fausses idées sur les étrangers…Cette histoire n’est pas sans rappeler celle de ce voyageur français du 18ème siècle, débarquant à Douvres, et voyant une première femme anglaise rousse, écrivit dans son journal : « toutes les Anglaises sont rousses ».
L’Excursion à Bad Segeberg – Les Karl May Spiele (Festival Karl May)
Bad Segeberg est une station balnéaire située à 54 km au nord de Hamburg, et à 20 km de Lübeck à l’est. Avec le groupe de Pfadfinder, auquel appartenait Dirk, nous partîmes à 15 h pour effectuer 3 heures de route en vélo sur une piste cyclable qui double la route nationale (je rappelle que l’on n’est qu’en 1958, et il y a déjà en Allemagne un grand nombre de pistes cyclables entre les villes). Nous chevauchons des vélos allemands, qui ont la particularité de n’avoir ni cadre, ni freins…Pour freiner, il faut rétropédaler, une opération pas évidente sans entraînement, ce qui est mon cas. En plus d’un sac à dos bien rempli, il fallait transporter le matériel de camping et j’avais en travers sur le porte-bagages une lourde tente de près d’un mètre de largeur. Nous étions une dizaine à rouler en file indienne.
Comme la piste cyclable était assez étroite, et à double sens, très fréquentée, je ne manquais pas, avec mon harnachement et le manque d’équilibre, de toucher en le croisant un cycliste venant à contresens, lequel déséquilibré, s’en alla percuter le scout qui me suivait, l’envoyant dans un buisson. Plus de peur que de mal, il y eut peu de dégâts, et nous pûmes ensuite rire de cet incident.
Le but de ce week-end était d’aller assister au grand spectacle en plein air et en décors naturels, au flanc d’une montagne évoquant les Rocheuses, intitulé « der Schatz am Silbersee », (le trésor du lac d’argent), d’après un roman du Karl May. Face à la montagne, un amphithéâtre naturel, en forme de demi-arène, recevait le public.
Une troupe de comédiens interprétait cette histoire se déroulant dans le Grand Ouest américain, avec 2 héros, l’Indien Apache Winnetou, et le blanc Old Shatterhand. Il y avait bien sûr dans l’histoire, l’attaque de la diligence par les Indiens et des scènes de scalp.
Le très célèbre auteur germanique Karl May a écrit 65 livres d’aventures pour la jeunesse qui racontent des histoires de cowboys et d’indiens. Il a eu un immense succès en Allemagne, et dans le monde entier, sauf en France où il n’a jamais été reconnu. Winnetou est devenu un héros national allemand. Ce spectacle avait alors déjà un grand succès, le public, jeune et moins jeune, vibrant aux exploits des héros. La soirée au camp sous la tente fut l’occasion de discuter avec Dirk et Rüdiger.
Le lendemain, bain obligatoire pour tous les Pfadfinder dans le lac de Bad Segeberg. Je découvre que l’eau est froide dans ce pays du nord. Cela ne semble pas gêner mes collègues, qui savent tous bien nager. Je trouverai vite une excuse pour écourter ma séance de natation… Sur le chemin du retour, sans incident notable, nous avons fait une halte pour déguster une glace.
Die Briefmarken (Les timbres) : un peu d’histoire
Tous mes correspondants allemands étaient de grands collectionneurs de timbres. Il faut dire que l’Allemagne entre 38 et 58 avait subi des phases d’extension puis d’occupation ayant entraîné la création de beaucoup de timbres évènementiels, souvent surchargés. Une aubaine pour les philatélistes en général et les collectionneurs en herbe.
Pour mémoire, le fameux timbre « Dantzig ist Deutsch » émis en 1939 lors de l’invasion de la Pologne, à traduire par « Dantzig est (à nouveau) allemand ».
L’approche philatélique est en 1958 un excellent moyen de connaître histoire, géographie et culture d’un pays. Je ne suis alors qu’un modeste collectionneur sans moyens. Dirk va considérablement m’aider. Il possède une grande quantité de timbres allemands, notamment d’Allemagne de l’Est suite à la partition. Il m’offre tout simplement de me servir à ma guise dans ses boîtes de double. Ce sera la base de ma collection spécialisée sur le monde allemand.
A noter que les timbres sont conservés dans de belles boîtes à cigare en bois précieux. Fritz Selle est un grand fumeur de cigares !
Des questions sans réponses
La rédaction de cette chronique m’amène à évoquer beaucoup de questions, que je n’ai pas posées à mes hôtes allemands. Soit que je n’y ai même pas pensé (je n’avais que 14 ans), soit que je n’ai pas osé les poser. Dans notre éducation figurait l’injonction de ne pas poser de questions aux grandes personnes, à fortiori des questions gênantes ou indiscrètes. J’aurais bien aimé connaître le parcours de ces familles allemandes pendant les années du nazisme et de la guerre. A part Opa, personne n’a jamais abordé cet important sujet devant moi.
La question reste entière.
Roger Séguéla
Bouillargues le 25 août 2024
*Les Pfadfinder font partie du mouvement scout international, indépendant politiquement et religieusement, même s’il existe un rapport avec Dieu ou les Dieux pour les religions polythéistes. Je n’ai pas observé la moindre pratique religieuse chez les scouts allemands.
**Liste des Visites effectuées en août/septembre 1958 (ordre chronologique)
1 – Museum für Volkerkunde (musée ethnologique)
2 – Flughafen
3 – Rathaus, Église Sankt Michaelis, le Port et le tunnel sous l’Elbe
4 – Zoo Hagenbeck
5 – Kunsthalle (Peintures)
6 – Bad Segeberg – festival Karl May – « der Schatz am Silbersee » (1)
7 – Konzert – die Engel-Familie – chants tyroliens
8 – Musée d’Altona (histoire des arts et métiers, de la géologie, etc., du Schleswig-Holstein)
9 – Museum für hamburgische Geschichte (Histoire de Hamburg)
10 – Monument Bismarck
11 – Blankenese – Süllberg – Elbe
Dirk et Antje Selle, André Séguéla, Bernard, Margot Selle et Emma Séguéla
Devant la villa de Hamburg 13, Sophienterrasse 2