Edouard Glissant qui vient de mourir à Paris à l’âge de 82 ans était un géant de la vie intellectuelle et littéraire contemporaine. Martiniquais de nationalité française, il appartenait à cette race d’intellectuels dont le rayonnement déborde largement les frontières d’un pays ou d’une communauté. Son œuvre, riche et protéiforme, est lue et étudiée dans le monde entier, du Brésil au Japon, en passant par l’Afrique, la Caraïbe, les Etats-Unis et l’Europe.
C’est par la poésie que Glissant est entré en littérature il y a près de soixante ans. L’homme se définissait encore récemment comme « un jeune poète ». Mais c’est en tant que théoricien et penseur qu’il s’est fait connaître à partir des années 1980, s’attachant à élaborer à travers une œuvre qui se situe au confluent de différents genres, ses idées sur la fin d’une « identité atavique et enracinée » et l’émergence d’une « identité-relation » ouverte sur le « tout-monde ». Ces concepts ont été popularisés par des journalistes et des universitaires qui ont vu en eux une tentative d’appréhension de la complexité du monde contemporain et son devenir.
Né en 1928, à Sainte-Marie, en Martinique, Glissant a fait ses études secondaires au célèbre lycée Schœlcher de Fort-de-France, avant de venir à Paris pour poursuivre des études supérieures de philosophie et d’ethnologie. Docteur ès lettres, il publie très tôt ses premiers recueils de poèmes (Un champ d’îles, la Terre inquiète, les Indes) qui lui valent un succès d’estime dans les cénacles littéraires parisiens. En 1958, il reçoit le prix Renaudot pour son premier roman La Lézarde.
Antillanité, créolité plutôt que négritude
Il est proche à l’époque des mouvements intellectuels parisiens, notamment des hommes de culture noirs réunis autour de la maison d’édition Présence Africaine. Il y fait la connaissance d’Aimé Césaire, martiniquais comme lui et chantre de la négritude. Suspicieux des identités monolithiques, Glissant ne se reconnaît pas dans cette quête du « retour à des racines irrémédiablement perdues ». Il prendra ses distances par rapport à la négritude et à Césaire pour placer son projet littéraire et culturel sous le signe de l’« antillanité » et la « créolisation ». Des thèses qu’il a développées dans trois essais majeurs que sont L’intention poétique (1969), Le Discours antillais (1981) et Poétique de la Relation (1990).
«(…) L’élément fondamental de ce que j’appelle la poétique de la relation dans le monde actuel, c’est d’abord notre conscience du fait que les cultures et les civilisations sont en contact les uns avec les autres » : c’est en ces termes que Glissant expliquait le « relation », ce concept clé de son univers idéologique. La force de ce concept tient à ce qu’il est à la fois constat et action : constat de l’effondrement des catégories de pensée imposées et secrétées par le système colonial et action conduisant à la détermination de soi dans une totalité dont chaque élément est relativisé.
Retour, en quelque sorte, au relativisme des cultures de Montaigne, dont La Terre, le feu, l’eau et les vents. Une anthologie de la poésie du Tout-Monde (2010), un des derniers ouvrages coordonnés et publiés par Glissant, est sans doute la plus brillante illustration.
A voir:
« Un champ d’îles » d’Édouard Glissant. Lire et écouter un extrait du poème en ligne (lu par l’auteur) sur le site Internet du Lehman College de New York.
.Site Internet de l’Institut du Tout-Monde, créé à l’initiative d’Edouard Glissant.
.Articles sur le site RFO
Edouard Glissant, disparition d’un géant de la vie intellectuelle contemporaine Créé le 2011-02-03 15:54
Par Tirthankar Chanda
Edouard Glissant en 2009
Hélie Gallimard