Mwankumi, Dominique. La Pêche à la Marmite, École des Loisirs (coll. Archimède), 1998. Les Petits acrobates du fleuve, École des Loisirs (coll. Archimède), 2000.
L’évolution du contexte mondial depuis plusieurs décennies a fait de la pluralité des cultures une question sensible et centrale dans nos sociétés. Sur le plan international, d’abord, la mondialisation a accéléré la prise de conscience du multiculturalisme de notre planète. Certes porteur de potentialités nouvelles en matière de diffusion, de communication et de développement des industries culturelles, il va cependant de pair avec les risques d’une homogénéisation des cultures et d’une marginalisation des sociétés les plus fragiles. Sur un plan intrasociétal, ensuite, la mise en contact d’univers culturels différents sous les effets combinés de l’urbanisation et des flux migratoires, s’est traduit par l’émergence d’une diversité culturelle interne à des ensembles nationaux, le plus souvent urbaine et cristallisée autour de ce que d’aucuns appellent les « villes-monde ».
Les multiples échanges culturels et artistiques pratiqués entre la France, la Belgique et l’Afrique amorcent déjà ce dialogue des cultures à un niveau international et national. Ainsi la littérature de jeunesse ouverte à tous et pour tous semble apporter des éléments de réponse aux problèmes d’intégration et de maintien du lien social observés dans le cadre urbain, mais aussi non urbain, car elle aborde les questions d’intégration, de régénération du lien social et de citoyenneté. Les albums illustrés de Dominique Mwankumi, artiste de jeunesse africain, peintre, illustrateur et dessinateur de presse à Bruxelles créent ce lien social par delà les tentations de repli identitaire et présentent une unité culturelle qui assure en même temps le respect des différences. (1) Ses œuvres La pêche à la marmite et Les petits acrobates du fleuve reflètent la pluralité des cultures qui coexiste sur un plan national (notamment en Afrique) avec un traitement de la multiculturalité à travers le concept d’origine et celui de l’enfance. Ces œuvres adressent un dialogue interculturel pertinent sur le plan intrasociétal d’une part et sur le plan international d’autre part à travers une approche « transculturelle ». Mais avant de parler de ces deux œuvres en tant que discours de cette multiculturalité, il est nécessaire dans un premier temps de définir le concept de littérature de jeunesse africaine.
Une définition première serait donc celle qui consiste en la production par des auteurs africains d’un corps d’œuvres destinées aux enfants africains soit dans le langage régional soit en langue française. Mais cette unique définition semble toutefois trop restreinte car très rapidement nous nous rendons compte que certains de ces livres qui traitent des cultures africaines ont été écrits par des auteurs non-africains tels que Verna Aardema, Peggy Appiah, et Kathleen Arnott dans le cas de la littérature de jeunesse africaine de langue anglaise par exemple. Par ailleurs, la littérature dite africaine est répertoriée selon trois périodes : celles dites pré-coloniale, coloniale et post-coloniale. La littérature pré-coloniale relevant de la tradition orale, elle était évaluée comme « un des moyens majeurs selon lesquels les sociétés éduquaient, enseignaient et socialisaient leurs plus jeunes membres ». Aujourd’hui, ce que nous considérons comme relevant de ce domaine de la tradition orale est retrouvé dans l’utilisation des proverbes, des contes, des tabous, et des légendes par exemple. Cette tradition orale qui souvent va de pair avec une tradition écrite est pratiquée quotidiennement sous de nouvelles dimensions comme nous le verrons.
Pendant la période dite coloniale les enfants africains dans les écoles missionnaires étaient généralement introduits à une littérature de jeunesse qui était « étrangère » à leur expérience quotidienne. Les contes de Perrault et des frères Grimm, canons de la littérature de jeunesse occidentale, restent les exemples clés de ce type de littérature qui a marqué cette période. Bien que ces œuvres présentent des leçons morales importantes, néanmoins elles ne parvenaient pas à présenter les outils nécessaires aux enfants africains car elles étaient issues d’un contexte de valeurs dont la référence restait celle d’une référence culturelle à caractère occidental.
À cette période dite coloniale a succédé celle dite post-coloniale et la production d’un champ d’œuvres littéraires de jeunesse en Afrique francophone qui reste encore assez marginalisé et restreint aujourd’hui. Dans le journal Le Soleil (Dakar) en date du 29 août 2001, un article intitulé « Édition de jeunesse : Le ventre mou de la littérature africaine » évoque l’état de ce domaine de l’édition littéraire de jeunesse dans les termes suivants :
Dans un monde de l’édition au plus mal en Afrique, l’édition de jeunesse ou la littérature enfantine reste un domaine peu visité. Les auteurs ne se bousculent pas au portillon, la production reste maigre et le marché peu valorisé. En Afrique de l’Ouest, lorsqu’on dispose de cette faculté de l’imaginaire, il est souvent difficile de publier des romans, recueils de nouvelles et de poèmes destinés à la jeunesse. C’est un genre « redouté » par les éditeurs africains à cause de son coût de fabrication qui, forcément, influe sur le prix des livres. Les ouvrages pour enfants restent le ventre mou de la littérature africaine.
Les auteurs d’ouvrages de jeunesse ne sont pas nombreux bien que la qualité des quelques textes publiés soit incontestable. Parmi les spécialistes du genre, l’écrivain féminin le plus prolixe au Sénégal est Fatou Ndjaye Sow qui publia en1972 aux Nouvelles Éditions Africaines (NEAS) son premier recueil de poèmes intitulé Takam Takam. (2) Voici ce qu’elle nous dit au sujet de ce domaine encore peu développé :
Il nous manque des livres de ce genre, écrits par des Africains, qui parlent aux jeunes de leurs repères culturels et qui peuvent contribuer à leur épanouissement. Je ne suis pas contre l’ouverture aux autres apports culturels, mais avant cela il faut d’abord enraciner nos enfants, sinon ils iront au banquet universel du savoir, les mains vides. (3)
Mame Daour Wade est un autre écrivain sénégalais auteur du Taureau fantastique publié par l’Association Bibliothèque-Lecture-Développement qui commença à écrire pour les jeunes en 1972. Lui aussi comme sa compatriote Fatou Ndjaye Sow constate le vide dans ce domaine de l’écriture et nous fait part de son dilemme en tant qu’écrivain de la jeunesse :
Un soir, lorsque mes enfants m’avaient demandé de leur dire des contes, j’ai fait un triste constat. Je me suis rendu compte que la mémoire a ses faiblesses, car je ne me souvenais plus de toutes ces histoires que je connaissais. L’urgence, pour moi, était d’en recueillir le maximum possible et de les écrire pour sauver cette partie importante de notre patrimoine. (4)
Cependant, malgré cette floraison d’auteurs en Afrique francophone et notamment au Sénégal, (5) les livres pour enfants et pour jeunes demeurent encore le parent pauvre de la littérature africaine qui, elle-même, est en proie à une crise qui dure depuis des années. Face à cette crise dans l’édition africaine, Dominique Mwankumi publie donc en France auprès de l’éditeur L’école des loisirs, des livres illustrés qui relatent donc ce désir de la part d’auteurs africains francophones de présenter ces repères culturels aux enfants urbanisés issus de l’immigration massive après les indépendances mais aussi s’adressent aux africains scolarisés :
Je m’occupe très activement d’une association « Illusafrica » qui a pour objectif la valorisation du métier d’auteur/illustrateur en Afrique. Avec les ateliers que l’association a initiés, au Burkina ou encore au Togo, j’essaie de promouvoir la défense des intérêts d’illustrateurs africains, l’apprentissage des techniques et le respect de l’autre à travers le travail d’artiste et de ses engagements. J’entreprends surtout de partager mon expérience avec d’autres personnes. (6)
Dans un article intitulé La littérature en couleurs François Ruy-Vidal nous parle de l’importance de la littérature illustrée comme réaction face aux autres multimédias. Il nous la décrit selon les termes suivants :
La littérature en couleurs qui fait appel à la réflexion et au sens critique de son lecteur suscite en lui le braille de l’âme. Cette conception nouvelle de l’écriture pour l’enfant ou l’adolescent requérant ses facultés intellectuelles et affectives dans un perpétuel aller et retour, va-et-vient des lectures du texte et de l’image (affrontés/conjoints par ses créateurs), est ce qui permet à l’enfant de lire entre les lignes et derrière les images le message de l’humain. (7)
La littérature de jeunesse (illustrée) comme champ d’investigation anthropologique est selon l’artiste Dominique Mwankumi ce lieu idéal où sa propre expérience d’enfant donne lieu à une écriture ancrée dans la réalité sociologique. Il nous fait part dans une de ses entrevues de l’origine de ses aquarelles en tant qu’illustrations dans ses albums :
Ces couleurs viennent, en partie de ma petite enfance, de mon village natal et de mes parents, disparus trop tôt. Adulte, j’ai ressenti le besoin d’accomplir un retour initiatique à la terre, aux origines ancestrales. Je dis toujours que pour savoir qui on est, on a besoin de « mettre son cul à terre ». J’ai donc vécu deux ans dans la forêt équatoriale et la savane du Congo. C’est là que j’ai retrouvé mon âme d’enfant et les couleurs de ces souvenirs. Mes dessins puisent leur essence dans ce retour à la terre. (8)
La famille de type matriarcale est introduite aux lecteurs « urbanisés » dès le début de la narration où la mère de Kumi apparaît. Alors que les femmes se livrent aux tâches quotidiennes, elles demeurent celles qui gèrent la famille. « Sois bien prudent, Kumi ! » (p. 6) est l’expression même de ce rapport entre mère et enfant que nous connaissons tous dans notre société occidentale et désobéir aux ordres de la mère est certainement mis en valeur dans cette interjection (11) confirmée plus tard lorsque Kumi pense en lui-même « On n’est jamais assez prudent, (…) Maman a raison. » (p. 32) alors qu’il a pu échapper aux crocodiles. Ainsi, les illustrations (pp. 34-35) présentent mères et grands-mères participant activement à la vie de leurs enfants. Lorsque la mère apprend le danger encouru par son fils, « la mère essuie une larme de fierté en pensant à la présence d’esprit de son fils face au danger. Kumi est un héros ! » Ce rapport mère-fils est célébré dans la vie communautaire où une fête est improvisée. Ici autour du message de la mère, la bravoure des garçons est célébrée à travers rituels et festivités nocturnes qui réunissent la communauté du village au complet et qui sert d’épilogue à l’histoire.
L’amitié est cet autre concept commun à nos sociétés que Dominique Mwankumi présente. Dès le début de l’histoire, elle est exposée à travers l’amour de Kumi pour son chien, fidèle à son maître et son meilleur ami Ibakie qui le suit dans toutes ses péripéties sur la rivière. Un ton d’admiration est émis par Kumi qui très vite nous fait part de ce sentiment d’amitié dès le début de la narration : « Ah, si mon ami Ibakie était avec nous, il trouverait le bon endroit, et c’est lui qui attraperait le plus de poissons. Il est le meilleur pêcheur que je connaisse ». (p.8) Ce sentiment d’admiration qu’éprouve Kumi est également partagé par les autres enfants vis-à-vis de Kumi lui-même « un fin pêcheur » et dont les enfants « admirent son adresse ». (p. 14)
Si la narration est construite autour de la troisième personne, néanmoins l’auteur sait faire parler les enfants à travers des dialogues directs et familiers. L’humour, par exemple est un des aspects sociolinguistiques qui présente les rapports entre les garçons et les filles du village — notamment dans la répartition des tâches domestiques. Si les garçons sont responsables de la pêche, les filles elles veillent aux animaux tels que les canards. Ainsi, nous apprenons très vite que les enfants qui jouent et se réunissent acquièrent très tôt la répartition de leur rôle dès leur jeune age. Alors que les filles préparent la cuisine, les garçons apprennent à naviguer en pirogue afin de pourvoir à la pêche quotidienne. Cette séparation des tâches selon le sexe est bien nette lorsque Kumi dit : « Hé, les filles ! Attention au canard ! Il vole nos poissons. » (p. 16) Dominique Mwankumi sait faire partager cet environnement aux enfants « urbanisés » et le rend familier. À travers ses aquarelles, les jeux auxquels se livrent les enfants congolais, il suscite des juxtapositions dans les valeurs telles que le noyau familial, l’amitié, l’endurance et la bravoure et sait inspirer chez les jeunes lecteurs un univers familier. Ainsi, il nous dit au sujet de la réception de cet album :
C’est vrai que ces albums ont plu, tout de suite, aux enfants, petits et grands. À ce sujet, j’aime me souvenir d’une de mes signatures dans une école de France. Un enfant est venu m’apporter son dessin pour me montrer SA pêche à la marmite. Il s’était approprié l’histoire et avait redessiné la scène à sa manière. C’était très émouvant. Ceci prouve qu’il n’y a pas de différence entre les enfants quel que soit leur pays. Ils appartiennent à un même monde, un monde à part avec un langage, une vision et des règles qui leur sont propres. (12)
Les petits acrobates du fleuve, second album illustré paru en 2000, nous plonge dans un univers similaire : Le village de Sakata, en République Démocratique du Congo, le long du fleuve Congo. Comme dans l’œuvre précédente, l’auteur nous relate les tribulations et vicissitudes de ces enfants débrouillards dont le protagoniste est aussi un petit garçon d’environ huit ans prénommé Kembo. Cette fois-ci, la bravoure des enfants est présentée à travers la folle course en pirogue qui consiste à atteindre le bateau-courrier ou « bateau-marché » et de l’accoster afin de pouvoir se procurer divers produits issus d’un monde industrialisé tels que savons et tee-shirts.
Comme Kumi, Kembo est un enfant très agile qui sait bien mener sa pirogue. Alors que les parents étaient absents dans La pêche à la marmite, ici les parents sont présents lors de l’accostage de Kembo : « Quels acrobates courageux ! Vont-ils réussir à accoster le bateau ? (…) Moseka, il ne faut pas avoir peur ! Nos enfants portent leur gris-gris, je vois d’ici les rubans rouges ! » (p. 22) En effet, les enfants sont responsables de faire le marché comme le mentionne Kembo à plusieurs reprises dans le texte : « Maintenant on peut y aller. Ma mère aimerait que je lui rapporte du savon et un tee-shirt. » (p. 11) À bord du bateau-courrier, nous devinons très vite un nouvel univers qui s’oppose à celui de la forêt équatoriale du Zaïre et de la communauté où vivent les enfants. Kembo ainsi découvre pour la première fois un boa (qu’il appelle « Nioka » par ailleurs) et « des beignets de manioc que les femmes ont fait frire dans l’huile de palme. » (p. 30) À ce nouvel épisode, l’auteur nous apprend que le commerce est basé sur le troc : « On troque et on palabre. Des riverains viennent d’accoster, ils apportent des poissons et des bananes plantains. « (p. 30) Derrière les pas de Kembo, nous découvrons que le bateau est synonyme de prise en charge des habitants qui vivent dans les villages par ceux des centres urbains voire ceux du monde occidental, notamment lorsque Kembo y découvre un véhicule chargé de médicaments : « Ce sont des médicaments pour un hôpital de la Croix-Rouge, explique le marchand. Tiens voici les commissions pour ta maman ! » (p. 33) À cet univers terrestre dont nous devinons les enjeux se superpose celui d’un univers maritime et l’importance que joue le fleuve Congo en temps que symbole de danger, mais aussi symbole de salut et lien vers le monde occidental.
En effet, la première moitié de la narration met l’accent sur la vie terrestre et ainsi sur la vie villageoise, rurale. Le récit débute ainsi : « Dans le village de Sakata, les enfants jouent autour de l’arbre. Mais cela ne les empêche pas de tendre l’oreille, guettant le moindre bruit provenant du Congo, le grand fleuve qui coule non loin de là. Ils attendent le passage du bateau. » (p. 6) Dès le début de la narration, l’auteur met en relief l’univers de ce village péninsulaire d’une part avec celui en « expectative » drainé par le fleuve Congo, celui de la ville. C ‘est au moment où les enfants voient le bateau : « Olélé ! Voilà le bateau ! Le bateau-courrier arrive » que la narration bascule et que l’action principale démarre. Ainsi, le fleuve est dépeint avec sa faune et les dangers qu’il peut cacher : « Mais soudain le crapaud se cache et les oiseux s’envolent à grand bruit. Qu’est-ce qui a causé cette agitation, flanquant une frousse bleue aux enfants ? C’est le serpent noir qui hante le fleuve ». (p. 13) Face à ce danger (symbolisé par le serpent noir que nul n’identifie) dont le village est témoin, la vie communautaire gravite autour de ce rapport entre individus, leurs croyances et la nature. Dominique Mwankumi dans la Postface au texte explique aux jeunes lecteurs un aspect capital de cette communauté rurale en marge du fleuve Congo, notamment la fonction des rubans rouges que les enfants portent attachés autour de leur poignet : « les gris-gris en forme de rubans rouges qu’ils portent au poignet ou autour de la taille les protègent contre les esprits des eaux, la sirène, les crocodiles et autres monstres hideux » (p. 38) Ce rapport entre nature et homme relève de la part de l’artiste de décrire une situation ancrée dans la réalité et donc celle de leur croyance à travers des objets réels. L’auteur justifie l’importance de son art et ses intentions dans les termes suivants :
(…) Tout au long de ma démarche, je cherche la sensation du réel, le vécu, la vérité dans les couleurs et dans la situation. Parce que l’enfant veut la vérité. La fonction essentielle du livre jeunesse. C’est l’apprentissage de la vie par le texte et l’image. Les objets livrés restent universels. (13)
Ainsi, seul Kembo face à cette redoutable nature (celle du fleuve en mouvance) réussit à accoster le bateau, symbole d’un « nouveau » monde ; liaison entre diverses communautés ; entre lieux ruraux et lieux industrialisés. Sa bravoure lui permet de dompter cette nature (double symbole de civilité et de nature à l’état sauvage) et la deuxième partie de la narration bascule dans un nouveau lieu en « huis-clos » cette fois-ci ; un microcosme de cette expérience multiculturelle africaine à bord du bateau-courrier. Si certains de ces objets comme le savon, les tee-shirts, conserves, robes et automobile présents à bord du bateau sont familiers aux yeux du lecteur occidental (mais non-familiers pour Kembo) l’auteur présente néanmoins d’autres objets moins familiers dont le manioc, l’huile de palme, les bananes plantains ou les pagnes afin d’établir ce rapport d’identité entre jeunes lecteurs et personnages que Dominique Mwankumi propose dans sa démarche d’artiste : « (…) Le petit blanc de 8 ans s’identifie au petit noir de 8 ans. C’est la situation qui les intéresse. (…) Le rôle des livres illustrés dans le processus d’éducation des enfants n’est plus à démontrer. Encore faut-il que leur contenu soit adapté à la réalité culturelle des enfants ». (14) Le microcosme du bateau-courrier permet de rendre compte d’un double niveau de pluralité des cultures. La notion de diversité culturelle ne fait plus uniquement référence aux disparités observables à l’échelle de la planète mais elle désigne aussi la coexistence, au sein de mêmes espaces sociaux, de populations dont les origines culturelles diffèrent.
Ainsi ces deux œuvres exposent une problématique du multiculturalisme élargie englobant désormais des paramètres économiques et sociaux internes. Les questions d’intégration, de maintien du lien social et de citoyenneté, notamment, sont inséparables de celle de la pluralité des cultures. Ces différentes évolutions confirment la nécessité et l’urgence de préserver la diversité culturelle, plus particulièrement dans les contextes où coexistent cultures minoritaires et cultures dominantes. Le rôle que joue l’auteur africain dans sa démarche en tant qu’artiste créateur est crucial car il relève d’un double enjeu culturel et économique comme nous le dit Dominique Kwankumi :
Le statut de ma production littéraire au Congo auprès des écoles congolaises reste à faire. Dans mes livres, le mode documentaire pour enfant où les fonctions didactiques du documentaire sont médiatisées par le récit. Les pages de para texte renseignent sur la fonction documentaire en focalisant l’attention du lecteur sur l’essentiel de l’information. Néanmoins chaque année j’anime de nombreuses rencontres avec des enseignants, des professionnels du livre et jeunes scolaires. L’album reste présent après l’apprentissage de la lecture. Des livres créés et édités par des Africains pour les enfants d’Afrique n’est certainement pas un luxe ni un souhait exubérant. Mais, on le sait, les moyens manquent en Afrique et il faudrait envisager d’intégrer l’édition dans les programmes d’aide au développement et considérer les industries de la créativité comme partie intégrante du secteur industriel. Ce qui mobiliserait de nouvelles ressources en sa faveur au même titre que les traditionnels plans agroalimentaires. (15)
L’objectif de cette analyse sur l’édition de la littérature de jeunesse africaine illustrée notamment en France est d’engager une réflexion collective sur les moyens d’ores et déjà mis en oeuvre pour prendre en compte et gérer sur un long terme le multiculturalisme du monde francophone et l’urgence de mettre en œuvre des moyens pour le diffuser hors de ses limites sociales et économiques.
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(1) Dominique Mwankumi a publié plusieurs albums illustrés, dont La Pêche à la Marmite, École des Loisirs (coll. Archimède), 1998 ; Prince de la rue, École des Loisirs (coll. Archimède), 1999 ; Les Petits acrobates du fleuve, École des Loisirs (coll. Archimède), 2000 ; Livre de bibliothèque (collectif), éd. Thierry Magnier, 2000 ; Kuli et le sorcier, texte de Carl Norac, École des Loisirs (coll. Archimède), 2001 ; Mon premier voyage, texte de Likambo Kwadje, Edicef (coll. Le Caméléon Vert), 2001 ; Les Fruits du soleil, École des Loisirs (collection Archimède), 2002 ; N’Soko l’éléphant, texte de Colette HELLINGS, École des Loisirs (collection Archimède), 2002. Dans un entretien en date du 10 janvier 2002 de Christel Balsacq intitulé « Dominique Mwankumi, allers-retours africains » (http://www.natalecta.com/entretien_mwankumi.php3), Dominique Kwankumi nous fait part de son parcours vers l’Europe en tant qu’écrivain africain : « J’avais déjà exposé à Kinshasa. Mon coup de pinceau était déjà connu en Afrique. Lors d’une de ces présentations, j’ai rencontré Marie Wabbes (NDLR : auteur et illustrateur en littérature de jeunesse avec des albums comme Dors bien Charlie, Il neige petit Lapin…). Dans le cadre d’une aide à l’éducation du gouvernement belge, elle préparait une série d’ateliers pour former de jeunes artistes africains à la composition et la construction de livres. Ce souffle nouveau m’a permis de venir compléter ma formation à l’École de recherche graphique de Bruxelles en 1997. C’est là que sont nés mes premiers livres, La Pêche à la marmite et Prince de la rue ». Dans cet entretien, il nous parle aussi de sa rencontre avec l’École des loisirs : « En fait, c’est une aventure qui démarre bien avant mon séjour à Bruxelles. En 1995, l’année où se déroulent ces ateliers à Kinshasa, j’ai été invité au Salon de Montreuil dans le cadre de la Librairie Africaine. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Marcus Osterwalder, directeur de la collection d’albums documentaires Archimède, au sein de l’École des Loisirs. Mon travail l’a tout de suite intéressé. C’est un éditeur dynamique qui s’attache plus particulièrement au témoignage et à la découverte du monde pour les plus jeunes. Mais à l’époque, je n’avais pas de projet assez précis. En 1997, dès les premières ébauches, j’ai repris contact avec lui. La Pêche à la marmite et Prince de la rue, deux histoires qui relatent la vie d’enfants africains, sont sorties successivement en 1998 et 1999 ».
(2) Voici ce qu’elle rapporte au sujet de ce recueil. « J’ai gardé ce manuscrit pendant toutes ces années, parce que je ne trouvais pas une maison d’édition qui pouvait me publier. Un jour, en entrant dans une librairie, j’ai vu sur les rayons « Chansons pour Leyti » d’Annette Mbaye d’Erneville. Je me suis alors dit que c’est bien possible d’être publié. Je suis immédiatement allée porter mon manuscrit aux NEAS […] Elle a publié depuis Takam Tikou, Le mouton d’Aminata aux Nouvelles Éditions Ivoiriennes, La fille de Néné Sira et Les droits pour les enfants. Le Soleil (Dakar), le 29 août 2001, « Édition de jeunesse : Le ventre mou de la littérature africaine » (publié sur le web le 29 août 2001).
(3) Le Soleil (Dakar), le 29 août 2001, « Édition de jeunesse : Le ventre mou de la littérature africaine » (29 août 2001).
(4) En sillonnant Dakar et sa banlieue, Mame Daour Wade a pu recueillir quatre-vingts contes et, après sélection, en a publié vingt-cinq. Son livre Le taureau magique, tiré à mille exemplaires, a été presque entièrement écoulé. Un best-seller, lorsqu’on sait qu’au Sénégal les plus grands auteurs arrivent difficilement à vendre cinq mille exemplaires de leurs oeuvres. Cette analyse est partagée par Marguerite Noella Thiam, auteur de La petite mangue, un livre illustré accompagné d’une cassette audio pour les tout-petits qui ne savent pas lire. Ce professeur de Français a également publié Cheikhouyatou, L’infirme danseuse et Waas, Le don de la sirène.
(5) Parmi les écrivains sénégalais qui se sont spécialisés dans la littérature de jeunesse, je citerai Annette Mbaye d’Erneville, qui a publié aux NEAS Le Noël du vieux chasseur ; Maty Thioune auteur de L’enfant et le varan paru aux Éditions Per Ankh et Fatou Diagne qui vient de sortir La fille du pharaon noir. Il existe d’autres auteurs comme Mbaye Gana Kébé et Mbissane Ngom, même si ces derniers ne se sont pas spécialisés dans ce genre. Dans d’autres pays africains, des auteurs écrivent aussi pour les enfants. C’est le cas de l’Ivoirienne Véronique Tadjo qui a publié de nombreux ouvrages dont Mamy Wata et le monstre, Grand-mère Nana, et la Malienne Fatou Keïta et la Guinéenne Seynab Diallo.
(6) Entretien en date du 10 janvier 2002 de Christel Balsacq intitulé « Dominique Mwankumi, allers-retours africains ».
(7) 1964-1984 fut une période au cours de laquelle se sont libéralisées et banalisées tant de réformes concernant nos coutumes, traditions et mœurs succédant à une période plus triste celle de l’après-guerre qui n’était que la lente remise en état de fonctionnement d’un pays blessé et appauvri avec pour distraction bientôt envahissante : L’apparition de la souveraine télévision – inscrite dans presque tous les foyers – et une société où l’information par l’image allait prendre le pas sur celles écrite et radiophonique qu’avaient connu nos parents. Ce n’est qu’à partir des années soixante que les pouvoirs de l’image ceux du conditionnement et de ses contraires : humour, dérision, prise de conscience, réflexion… allaient devenir évidents pour s’établir, s’incruster dans une véritable civilisation nouvelle ; bénéficiant industriellement de découvertes techniques surprenantes : cinéma télévision vidéo et de moyens de divulgations par de nouveaux procédés de duplication – impression offset, photocopie puis aujourd’hui l’informatique technologique qui ne manqueront pas de bouleverser la plupart de nos habitudes et conformismes et qui nous permettent de constater sans risque d’être démenti que le langage des images est le média informatif et distractif préférentiel de la majorité des humains.
(8) Entretien en date du 10 janvier 2002 de Christel Balsacq intitulé « Dominique Mwankumi, allers-retours africains ».
(9) Dans un entretien en date du 10 janvier 2002 de Christel Balsacq intitulé « Dominique Mwankumi, allers-retours africains », l’auteur nous dit : « Je suis né en 1965 dans un petit village de la République Démocratique du Congo. À l’âge de 5 ans, mon père m’a envoyé poursuivre ma scolarité chez un de ses frères, à Kinshasa. J’ai donc quitté mon village natal pour rejoindre la capitale du Congo, une des plus grandes villes du pays. C’est mon oncle qui m’a poussé à développer, très tôt, mes aptitudes artistiques. Je suis rentré à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa sur ses conseils. »
(10) Voir note 1 pour l’ensemble de ses œuvres.
(11) Une situation similaire est présentée dans l’histoire intitulée M’Toto où la mère de M’Toto consent à laisser sa fille partir à la rivière : « …Mais tu dois me promettre d’être très prudente. Et surtout rappelle-toi, ne te baigne pas, car d’effroyables dangers te guettent dans la rivière ! ». Voir Anne Wilsdorf, M’Toto, Paris : Kaléidoscope, 1994.
(12) Entretien (10 janvier 2002) de Christel Balsacq intitulé « Dominique Mwankumi, allers-retours africains ».
(13) Correspondance avec l’auteur en date du 15 mai 2003.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
Bibliographie
Balsacq, Christel. « Dominique Mwankumi, allers-retours africains », http://www.natalecta.com/entretien_mwankumi.php3
———————-. Le Soleil (Dakar), le 29 août 2001, « Édition de jeunesse : Le ventre mou de la littérature africaine ».
Mwankumi, Dominique. La Pêche à la Marmite, École des Loisirs (coll. Archimède), 1998.
—————————–. Prince de la rue, École des Loisirs (coll. Archimède), 1999.
—————————–. Les Petits acrobates du fleuve, École des Loisirs (coll. Archimède), 2000.
—————————–. Livre de bibliothèque (collectif), éd. Thierry Magnier, 2000.
—————————–. Kuli et le sorcier, texte de Carl Norac, École des Loisirs (coll. Archimède), 2001.
—————————–. Mon premier voyage, texte de Likambo Kwadje, Edicef (coll. Le Caméléon Vert), 2001.
—————————–. Les Fruits du soleil, École des Loisirs (coll. Archimède), 2002.
—————————–. N’Soko l’éléphant, texte de Colette HELLINGS, École des Loisirs (coll. Archimède), 2002.