Introduction
Au printemps 2005, en intĂ©grant le gouvernement de Villepin en qualitĂ© de ministre de la Promotion et de l’ĂgalitĂ© des chances, Azouz Begag, sociologue et Ă©crivain lyonnais, a franchi un cap supplĂ©mentaire dans la sphĂšre visible de la sociĂ©tĂ© française. S’il existe une sphĂšre visible, cela signifie qu’il en existe une invisible.
Ă l’automne 1983, aprĂšs de graves Ă©meutes rĂ©pondant Ă des violences policiĂšres, une poignĂ©e d’habitants des Minguettes, quartier pĂ©riphĂ©rique de l’agglomĂ©ration lyonnaise, entamĂšrent une Marche pour l’Ă©galitĂ© et contre le racisme qui, rebaptisĂ©e Marche des beurs, draina 100 000 personnes Ă Paris le 3 dĂ©cembre 1983. Azouz Begag faisait partie de ce mouvement. Cette marche symbolique illustre les premiers pas d’une gĂ©nĂ©ration, souvent Ă©tiquetĂ©e « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration issue de l’immigration », en rĂ©volte contre une sociĂ©tĂ© qui a refusĂ© de voir leurs aĂźnĂ©s arrivĂ©s une trentaine d’annĂ©es plus tĂŽt en France. Cette marche, trĂšs mĂ©diatisĂ©e Ă l’Ă©poque, marque la volontĂ© de sortir du statut d’invisibles et de silencieux.
Ce thĂšme de passage Ă la lumiĂšre, de traversĂ©e d’une sphĂšre d’ombre Ă une sphĂšre de lumiĂšre, est aussi Ă©vident dans les Ă©crits d’Azouz Begag, et plus particuliĂšrement dans ses Ćuvres autofictionnelles. Notre Ă©tude s’appuiera sur un corpus composĂ© de deux Ćuvres principales, Le Gone du ChaĂąba et Le Marteau Pique-CĆur. L’autofiction est dĂ©finie dans le Petit Robert comme « rĂ©cit mĂȘlant la fiction et la rĂ©alitĂ© autobiographique ». L’Ă©criture « begaguienne » sera dĂ©finie comme autofictionnelle car elle est autobiographique, l’auteur/narrateur raconte ses souvenirs d’enfance et d’adulte, mais pas signalĂ©e comme telle par Begag puisqu’il sous-titre chacun de ses deux ouvrages de « roman ». Le genre romanesque Ă©tant le genre fictionnel par excellence, l’autofiction semble qualifier le plus prĂ©cisĂ©ment une telle Ă©criture. Le narrateur raconte ses souvenirs personnels, mais certains montrent l’absence d’une fidĂ©litĂ© totale Ă la rĂ©alitĂ©Â ; par exemple les noms des frĂšres et sĆurs du narrateur sont diffĂ©rents d’un rĂ©cit Ă l’autre. Au-delĂ de la dĂ©finition du genre littĂ©raire employĂ©, c’est bien plutĂŽt la question du choix de l’autofiction qui nous importe ici. En effet, l’autofiction est utilisĂ©e par Begag comme outil rĂ©vĂ©lateur, comme moyen de mise en lumiĂšre de toute la rĂ©alitĂ© des immigrĂ©s « premiĂšre » et « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration ». Alors, en quoi l’autofiction est-elle un medium de visibilitĂ© chez Azouz Begag ?
La rĂ©ponse Ă cette interrogation sera articulĂ©e autour de la dĂ©finition triple de « medium ». Dans un premier temps, « medium » est dĂ©fini comme « moyen », on Ă©tudiera donc l’autofiction comme « moyen » de mise en lumiĂšre d’un « nous » collectif, d’une communautĂ© longtemps maintenue dans l’ombre. Dans un deuxiĂšme temps, « medium » appartient Ă la famille des latinismes tels « mĂ©dius » ou « mĂ©diator », mots tous fĂ©dĂ©rĂ©s par la notion d’intermĂ©diaire, d’entre-deux. Dans notre Ă©tude, il sera alors temps d’analyser l’autofiction comme intermĂ©diaire dans un exercice de mise en lumiĂšre indirecte car tributaire de la mĂ©diation d’un « je » autobiographique. Enfin, le mot latin « medium » devient media au pluriel. L’autofiction est souvent dĂ©signĂ©e comme genre mĂ©diatique ou de mĂ©diatisation de cette littĂ©rature dite de la « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration », on observera alors le statut d’Azouz Begag par rapport Ă cette littĂ©rature et les interprĂ©tations littĂ©raires qui lui sont liĂ©es.
De la pĂ©riphĂ©rie lyonnaise Ă l’univers fictionnel
Les deux autofictions qui composent notre corpus correspondent Ă deux Ă©poques diffĂ©rentes de la vie de l’auteur, Le Gone du ChaĂąba dĂ©crit l’enfance du jeune narrateur dans un bidonville de la pĂ©riphĂ©rie lyonnaise, le ChaĂąba. Quant au Marteau Pique-CĆur, le rĂ©cit se situe Ă l’Ăąge adulte du narrateur, au moment de la mort de son pĂšre. Ces deux autofictions mettent en lumiĂšre des Ă©poques distinctes, des lieux divers, mais une seule communautĂ©, un seul « nous » collectif. L’autofiction est ici le moyen utilisĂ© pour rendre visible ce « nous » invisible. L’analyse de ce moyen littĂ©raire de mise en lumiĂšre peut s’articuler autour de trois points : le lieu, le temps et l’action. Le rapprochement avec le thĂ©Ăątre apparaĂźt dans l’Ă©criture begaguienne, le soin apportĂ© Ă la vitalitĂ© des dialogues, Ă la mise en scĂšne des situations, peut justifier cette approche. Le « nous » est prĂ©sentĂ© tout d’abord dans un lieu, le ChaĂąba ou les zones pĂ©riphĂ©riques de la ville, dans un temps, un temps passĂ©, le temps des souvenirs, et dans une action, la vie quotidienne.
Dans Le Gone du ChaĂąba, le lien entre le groupe et le lieu d’habitation est trĂšs fort. Le ChaĂąba, bidonville isolĂ©, cachĂ© derriĂšre le boulevard pĂ©riphĂ©rique, est le lieu de vie du groupe d’immigrĂ©s prĂ©sentĂ© par le jeune narrateur. L’invisibilitĂ© agit Ă deux niveaux dans le rĂ©cit de l’enfance du narrateur, les hommes sont invisibles car ils se lĂšvent tĂŽt pour aller travailler le matin, et ils se dĂ©placent en dehors des heures de vie de la sociĂ©tĂ©, et quand ils travaillent, ils sont dissimulĂ©s derriĂšre les murs des usines ou rendus silencieux par le bruit assourdissant des marteaux-piqueurs. Les femmes sont invisibles car elles demeurent au ChaĂąba toute la journĂ©e en attendant le retour de leur mari, et le lieu-mĂȘme est invisible aux yeux des habitants de la ville. Le jeune narrateur dĂ©crit le lieu de vie des ChaĂąbis :
« Vu du haut du remblai qui le surplombe ou bien lorsqu’on franchit la grande porte en bois de l’entrĂ©e principale, on se croirait dans une menuiserie. Des baraquements ont poussĂ© cĂŽtĂ© jardin, en face de la maison. La grande allĂ©e centrale, Ă moitiĂ© cimentĂ©e, cahoteuse, sĂ©pare Ă prĂ©sent deux gigantesques tas de tĂŽles et de planches qui pendent et s’enfuient dans tous les sens. Au bout de l’allĂ©e, la guĂ©rite des WC semble bien isolĂ©e. La maison de bĂ©ton d’origine, celle dans laquelle j’habite, ne parvient plus Ă Ă©merger de cette gĂ©omĂ©trie dĂ©sordonnĂ©e. Les baraquements s’agglutinent, s’agrippent les uns aux autres, tout autour d’elle. Un coup de vent brutal pourrait tout balayer d’une seule gifle. Cette masse informe s’harmonise parfaitement aux remblais qui l’encerclent » (11).
La description du bidonville montre mĂ©taphoriquement la situation de ses habitants. Tout d’abord, le ChaĂąba se situe en contrebas du boulevard de ceinture, Ă l’abri des regards. Ensuite, le narrateur dĂ©signe « des baraquements » qui « s’agglutinent » et « qui s’agrippent les uns aux autres », de la mĂȘme maniĂšre, les ChaĂąbis habitent les uns collĂ©s aux autres dans un bidonville misĂ©reux, mais cette misĂšre n’est jamais considĂ©rĂ©e comme un flĂ©au. On reviendra plus tard sur l’insistance de jeune narrateur sur la douceur dans la misĂšre. Enfin, un troisiĂšme terme doit ĂȘtre soulignĂ©, Begag parle de « la maison d’origine » qui « ne parvient plus Ă Ă©merger ». Le maniement habile des mots met en lumiĂšre la situation de ce « nous » immigrĂ© maintenu dans l’ombre. La dĂ©finition du verbe « émerger » dit : « sortir d’un milieu oĂč l’on est plongĂ© de maniĂšre Ă apparaĂźtre Ă la surface ; se manifester, apparaĂźtre plus clairement ». L’utilisation de ce verbe n’est pas anodine. En effet, le narrateur fait subtilement comprendre au lecteur que ce « nous » est empĂȘchĂ©, est retenu en dehors de la sphĂšre visible de la sociĂ©tĂ©, on l’empĂȘche d’Ă©merger. C’est bien lĂ , alors, l’ambition de l’autofiction, que de mettre un terme Ă cette privation de lumiĂšre, en rendant visible cette gĂ©nĂ©ration d’immigrĂ©s. Cependant, le ChaĂąba, recrĂ©ation urbaine de l’atmosphĂšre algĂ©rienne d’El Ouricia, va mourir en mĂȘme temps que sa communautĂ© va se disperser. Quand le « nous » se disperse, le territoire explose :
« il lui aurait certainement fait remarquer que le ChaĂąba n’est plus ce qu’il Ă©tait, que les hommes ne se regroupent plus comme autrefois autour du cafĂ© et du poste de radio, dans la cour. […] Seuls. Nous sommes seuls dĂ©sormais, abandonnĂ©s dans les dĂ©combres du ChaĂąba » (144-145).
Le « nous » qui constituait l’Ăąme du ChaĂąba est parti chercher le « confort » dans des appartements des banlieues lyonnaises, et le ChaĂąba se meurt. Quand le narrateur et sa famille quitte Ă son tour le bidonville, c’est pour s’installer dans un immeuble de la Croix Rousse. Quand il dĂ©couvre le quartier, le narrateur dit :
« En partant de la rue Terme, je suis parvenu jusqu’en haut de la Croix-Rousse en empruntant les traboules. […] Dans ce quartier habitent de nombreuses familles arabes. Il est environ 6 heures. Il faut rentrer. Je redescends vers la place Sathonay par la montĂ©e de la Grande CĂŽte. Magasins d’alimentation gĂ©nĂ©rale, boucheries, coiffeurs, bars, hĂŽtels… on est en AlgĂ©rie. Des femmes, habillĂ©es comme ma mĂšre, traversent la rue, allĂšgrement, pour entrer dans l’allĂ©e d’en face. Et devant la vitrine des boutiques, des vieux bouts-filtres (turbans jaune moutarde sur la tĂȘte) se dorent la pilule » (170).
Aussi mĂȘme en quittant le ChaĂąba dissimulĂ©, le groupe, que ce soit la famille du narrateur ou bien les autres ChaĂąbis, se retrouvent dirigĂ©s dans des quartiers oĂč ils ne sont pas visibles aux yeux de la sociĂ©tĂ© française, car rejetĂ©s aux abords des villes, loin des regards du centre. Le narrateur adulte dans Le Marteau Pique-CĆur fait la mĂȘme rĂ©flexion quand il s’attarde sur le quartier oĂč son pĂšre a fini ses jours. « Un quartier de pauvres gens dans lequel les travailleurs immigrĂ©s mĂ©langeaient leur faciĂšs de sudistes Ă celui des immigrĂ©s venus du talon de l’Italie » (71).
Ainsi, les immigrĂ©s, d’oĂč qu’ils viennent, sont entassĂ©s, « agglutinĂ©s » dans des quartiers aux abords des villes, quartiers Ă l’abri des regards de la sociĂ©tĂ© dite d’« accueil ». Le lieu dans lequel Ă©volue le « nous » du groupe est donc dissimulĂ©, cachĂ©, Ă l’image de ses habitants. Ăcrire cette dissimulation, c’est la mettre en lumiĂšre, la rendre visible.
Les deux rĂ©cits autofictionnels rendent Ă©galement le groupe visible en l’inscrivant dans un temps, le temps des souvenirs. Ce temps est passĂ© et linĂ©aire dans Le Gone du ChaĂąba, et complĂštement Ă©clatĂ© dans Le marteau Pique-CĆur, oscillant perpĂ©tuellement entre passĂ© et prĂ©sent. Bien que diffĂ©rente, la temporalitĂ© des deux autofictions est similaire en deux points : le temps est rythmĂ© par la journĂ©e de travail, d’Ă©cole, c’est le temps de l’effort, et rythmĂ© par la rĂ©miniscence des souvenirs, c’est le temps du rĂ©confort.
Au dĂ©but du Gone du ChaĂąba, le narrateur entre Ă l’Ă©cole primaire, Ă la fin du rĂ©cit, il est au collĂšge. Le temps des enfants est rythmĂ© par les jours d’Ă©cole, par les jeudis de repos, et par les week-ends de jeu dans les bois avoisinant le bidonville, ou bien dans les rues encadrant l’appartement. Le temps des hommes est divisĂ© diffĂ©remment, il y a la journĂ©e de travail et le retour au ChaĂąba le soir, moment de discussions avec les frĂšres et les cousins, dans la chaleur humaine et comprĂ©hensive du bidonville. Il est intĂ©ressant de noter que la conception du temps des immigrĂ©s premiers venus est fondĂ©e sur la nostalgie. La premiĂšre dĂ©finition de nostalgie est surprenante tant elle correspond parfaitement Ă l’expĂ©rience de ces exilĂ©s, elle dit : « état de dĂ©pĂ©rissement et de langueur causĂ© par le regret obsĂ©dant du pays natal, du lieu oĂč l’on a longtemps vĂ©cu ». Les hommes en rentrant au ChaĂąba le soir, aprĂšs une journĂ©e d’immersion dans la masse des travailleurs, de soumission au « temps d’ici », retrouvent le « temps de lĂ -bas ». Ainsi quand Bouchaoui vient rendre visite Ă la famille Begag dans le ChaĂąba dĂ©sertĂ©, le lecteur peut lire : « Les deux hommes ne sont plus lĂ dĂ©jĂ , ils voguent dans les contes, ils retournent Ă El-Ouricia, ils remontent le temps » (156). Le temps de la nostalgie, des contes du pays, de la rĂ©actualisation des racines est omniprĂ©sent dans les deux autofictions. Dans Le Marteau Pique-CĆur, le narrateur se remĂ©more avec Ă©motion les dimanches matins de son enfance quand il accompagnait son pĂšre au marchĂ©. Il se rappelle les odeurs, l’animation, et aussi les rencontres dans cet espace de libre mouvement. Il raconte :
« Dans ce monde grouillant, mon pĂšre rencontre un cousin de lĂ -bas. Monsieur Ali. […] Et voilĂ les deux cousins de la montagne qui partent pieds nus sur les chemins des contes. Ils Ă©voquent leur enfance dans les champs de blĂ© en AlgĂ©rie, quand l’eau coulait Ă grands flots dans les ruisseaux, quand les cumulo-nimbus s’arrĂȘtaient au-dessus du pays pour arroser les grasses prairies, et puis leur voix change quand s’amĂšne le temps de l’exil, il se met Ă pleuvoir, ils posent du papier journal sur leur tĂȘte pour que les grĂȘlons français ne leur fassent pas mal » (74-75).
Ce passage marque la nostalgie comme sentiment dominant du « nous » invisible. L’Ă©panouissement dans ce pays perçu comme l’El Dorado qu’est la France est tellement frustrĂ©, qu’il ne s’agit plus de regarder loin devant, Ă un futur qui s’annonce prometteur, mais bien plutĂŽt de se rassurer et de radoucir ses pensĂ©es en s’emplissant l’esprit de ce passĂ© idĂ©alisĂ©. La description de la temporalitĂ© des immigrĂ©s rĂ©vĂšle les difficultĂ©s de vivre dans un temps oĂč les instants de visibilitĂ© sont rĂ©duits Ă nĂ©ant. Pour se prĂ©server de la tristesse, le temps des souvenirs devient la bouffĂ©e d’oxygĂšne qui Ă©vite l’Ă©touffement. Les deux autofictions que sont Le Gone du ChaĂąba et Le Marteau Pique-CĆur jouent avec les repĂšres temporaux. D’un cĂŽtĂ© le rĂ©cit d’enfance, inscrit dans le passĂ©, utilise largement les heures pour introduire ses paragraphes et nouvelles sĂ©quences, heures qui n’ont plus aucune valeur quand le temps nostalgique des contes prend le dessus, alors que le rĂ©cit « d’adulte » passe du prĂ©sent au passĂ© frĂ©quemment, incitant le lecteur Ă se mettre dans la position de l’immigrĂ© dĂ©chirĂ© en permanence entre un passĂ© regrettĂ©, et un prĂ©sent difficile.
Le dernier angle d’approche annoncĂ© pour l’Ă©tude de l’autofiction comme moyen de mise en lumiĂšre de la rĂ©alitĂ© des immigrĂ©s est le rĂ©cit de la vie quotidienne, l’unitĂ© d’action de ces deux rĂ©cits. Quand le narrateur, dans Le Marteau Pique-CĆur, et encore plus dans Le Gone du ChaĂąba, dĂ©crit le groupe et la vie qu’il mĂšne au quotidien. Il met en Ă©vidence l’aspect monotone et rituel de l’existence des immigrĂ©s. Comme l’on a dĂ©jĂ observĂ© dans l’analyse de la temporalitĂ© des deux autofictions, la journĂ©e des hommes, des femmes et des enfants du ChaĂąba est inlassablement la mĂȘme, entre travail, tĂąches mĂ©nagĂšres et Ă©cole. D’un point de vue littĂ©raire, cela permet au narrateur de mettre en lumiĂšre prĂ©cisĂ©ment le quotidien des immigrĂ©s. Les deux premiĂšres actions rapportĂ©es dans Le Gone du ChaĂąba sont le rituel de la lessive Ă l’unique point d’eau du bidonville, tĂąche fĂ©minine, et le retour de Bouzid (le pĂšre) au ChaĂąba aprĂšs une journĂ©e de travail. La peinture de ce dernier Ă©vĂ©nement mĂ©rite d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©e de plus prĂšs. Le narrateur dĂ©crit :
« Bouzid a fini sa journĂ©e de travail. Comme Ă l’accoutumĂ©e, il s’assied sur sa marche d’escalier, sort de sa poche une boĂźte de chemma, la prend dans le creux de sa main gauche et l’ouvre. Avec trois doigts, il ramasse une boulette de tabac Ă priser, la malaxe pendant un moment et, ouvrant la bouche comme s’il Ă©tait chez le dentiste, fourgue sa chique entre ses molaires et sa joue. Il referme la bouche et la boĂźte, puis balaie de son regard interrogateur l’amoncellement de huttes qu’il a laissĂ©es s’Ă©riger lĂ . Comment refuser l’hospitalitĂ© Ă tous ces proches d’El-Ouricia qui ont fui la misĂšre algĂ©rienne ? » (12)
Cette peinture du pĂšre rentrant d’une journĂ©e de travail prĂ©sente de nombreux dĂ©tails. Tout d’abord, la description est introduite par l’expression « comme Ă l’accoutumĂ©e » qui soutient l’idĂ©e de rituel, de routine. Ensuite, les verbes sont accumulĂ©s les uns aprĂšs les autres sans rĂ©pĂ©tition du sujet pour accentuer la force visuelle de cette description. Les verbes sont tous conjuguĂ©s au prĂ©sent, un prĂ©sent qui marque aussi l’habitude et qui ĂŽte toute impression de ponctualitĂ© d’une telle action. La question finale souligne la possibilitĂ© qu’a le pĂšre de rĂ©flĂ©chir aprĂšs une journĂ©e de travail Ă©puisante et aliĂ©nante. Quand il « balaie du regard » les baraquements, il pose, du mĂȘme coup, un regard sur sa vie. L’objet de cette description est ici un sujet pensant (les verbes ne sont pas conjuguĂ©s Ă la voix passive), et non un ĂȘtre invisible supposĂ© utile uniquement aux durs labeurs. L’intĂ©rĂȘt de la mise en lumiĂšre de la vie quotidienne des immigrĂ©s est qu’elle est dĂ©pourvue de tout misĂ©rabilisme chez Begag. Il montre toujours mais ne s’apitoie jamais. Dans Les Voix de l’exil, Abdelkader Benarab relĂšve ce trait commun Ă tous les auteurs dits de la « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration », il souligne : « l’autre diffĂ©rence de taille [d’avec les auteurs de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration], dĂ©veloppĂ©e dans l’Ă©criture des jeunes de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration, est le dĂ©sir incoercible de ne pas apparaĂźtre sous un jour dĂ©favorable en Ă©vitant l’autodescription misĂ©rabiliste. » En effet, Begag dĂ©crit une rĂ©alitĂ©, il ne force pas le trait quand il dĂ©peint la saletĂ© du ChaĂąba, la fatigue de ses parents, les angoisses de se dĂ©placer dans un univers inconnu. Dans les deux rĂ©cits, le narrateur raconte Ă plusieurs reprises les moments de bonheur partagĂ©s par la communautĂ©, que ce soit au sein du ChaĂąba ou dans leurs nouveaux espaces une fois le ChaĂąba abandonnĂ©. Ainsi le quotidien des ChaĂąbis est marquĂ© par une routine qu’on ne peut enrayer. Cependant, cette routine ne rime jamais avec ennui pour les plus jeunes gĂ©nĂ©rations. En ce qui concerne les adultes, le narrateur ne s’apitoie jamais, ne met pas en lumiĂšre un groupe dĂ©sespĂ©rĂ© et anĂ©anti. Une preuve : ils rĂȘvent encore, « les gens dorment. Les femmes rĂȘvent d’Ă©vasion ; les hommes du pays. » (Le Gone du ChaĂąba, 65).
Ă travers les deux autofictions qui composent notre corpus, on a pu voir que l’auteur utilisait ce genre littĂ©raire comme moyen pour dĂ©voiler, et mettre en lumiĂšre une gĂ©nĂ©ration demeurĂ©e invisible et silencieuse pendant de longues annĂ©es. Abdelkader Benarab explique que « le travailleur Ă©tranger n’Ă©tait plus qu’un nombre parmi les chiffres, qu’un savant dĂ©comptage classait en termes de quotas. On parlait encore de cette premiĂšre vague de migrants, comme Ă©tant une gĂ©nĂ©ration du silence, tant la parole Ă©tait ravalĂ©e pour ne laisser s’Ă©chapper qu’un profond soupir de dĂ©sespoir. »
C’est bien prĂ©cisĂ©ment l’enrayement de ce silence que Begag s’emploie Ă opĂ©rer au moyen de ces deux autofictions. Cette premiĂšre gĂ©nĂ©ration invisible et muette est ici mise en lumiĂšre en la resituant dans un espace de vie, dans une temporalitĂ© et dans un quotidien. Cependant, cette mise en lumiĂšre n’est pas directe. En effet, l’autofiction suppose un « je » autobiographique. Ce « je » auteur/narrateur est l’intermĂ©diaire, la mĂ©diation du lever de voile sur les immigrĂ©s invisibles.
Comme il a Ă©tĂ© dit en introduction, le terme « medium » propose diffĂ©rentes significations. Son origine latine l’intĂšgre dans la famille des mots liĂ©s Ă la notion d’entre-deux, d’intermĂ©diaire. Dans notre Ă©tude, l’autofiction, et plus prĂ©cisĂ©ment le « je » autofictionnel, est un intermĂ©diaire dans la mise en lumiĂšre, dans la dĂ©marche de visibilitĂ© des immigrĂ©s engagĂ©e par l’auteur. « Je » est dans une position de mĂ©diation – « le fait de servir d’intermĂ©diaire » – dans le processus de rĂ©vĂ©lation d’une gĂ©nĂ©ration d’invisibles. On assiste donc Ă une mise en lumiĂšre indirecte. Indirecte par l’hermĂ©tisme des titres des deux autofictions, et indirecte aussi car le « je » autofictionnel joue un rĂŽle d’intermĂ©diaire, et utilise sa propre visibilitĂ© comme mĂ©diation dans cette mise en lumiĂšre.
Le caractĂšre indirect de l’enrayement de cette invisibilitĂ© est d’abord prĂ©sent dans le choix des titres des deux Ćuvres Ă©tudiĂ©es. Que ce soit Le Gone du ChaĂąba ou Le Marteau Pique-CĆur, l’horizon d’attente du lecteur demeure plutĂŽt trouble Ă la lecture de ces titres. En ce qui concerne le premier rĂ©cit, Le Gone du ChaĂąba, le lecteur ne peut savoir qu’il s’agit d’un ouvrage sur l’enfance d’un petit garçon dont les parents sont des immigrĂ©s algĂ©riens. L’obscuritĂ© du titre est double puisqu’elle associe l’argot lyonnais Ă un mot d’origine arabe inconnu du lectorat français. Abdelkader Benarab commente un tel titre en disant :
« Le Gone du ChaĂąba est composĂ© de deux substantifs irrĂ©ductibles l’un Ă l’autre s’inscrivant dans deux registres sĂ©mantiques non identifiables entre eux. Le gone est un mot Lyonnais, de langue populaire, qui veut dire « enfant des rues, gamin ». […] L’allusion Ă la misĂšre (Ă©tymologiquement : « mal vĂȘtu ») et Ă la rue, domaine du dĂ©vergondage, ne justifie nullement l’emploi du ChaĂąba qui de surcroĂźt est un mot inconnu du grand public français et que le dictionnaire ne retient pas pour le moment. S’il suggĂšre le goulet ou la ravine, rien n’autorise une articulation entre ces deux mots si on ignore la langue d’oĂč est tirĂ© ce substantif littĂ©raire »..
L’analyse de M. Benarab est intĂ©ressante en ce qui concerne l’appartenance sĂ©mantique Ă©clatĂ©e de ces deux termes, entre argot lyonnais et mot arabe, cependant le rapprochement avec la misĂšre ne me semble pas correspondre avec l’Ă©criture de Begag. Ce titre hermĂ©tique Ă la premiĂšre lecture prend tout son sens une fois le roman refermĂ© et lu de bout en bout, la rĂ©sistance premiĂšre ne dure pas. Le Gone du ChaĂąba est bien le jeune Azouz, narrateur de ce rĂ©cit sur l’enfance dans une famille d’immigrĂ©s. Azouz est un gone, un vrai, un jeune garçon lyonnais, qui a passĂ© les premiĂšres annĂ©es de sa vie dans le ChaĂąba, ce bidonville occupĂ© par les immigrĂ©s algĂ©riens d’El Ouricia. La pluralitĂ© sĂ©mantique du titre renvoie Ă la pluralitĂ© identitaire du narrateur. Le lecteur n’est pas mis directement en relation avec le contenu du rĂ©cit, la visibilitĂ© est effectuĂ©e indirectement. Il en va de mĂȘme pour la deuxiĂšme autofiction, Le Marteau Pique-CĆur est tout aussi hermĂ©tique du point de vue de l’horizon d’attente affichĂ©e par le titre. Tout d’abord, le jeu de mots « pique-cĆur » n’est pas classique, il ne renvoie pas Ă un maniement habituel de la langue française. Toutefois, il est chargĂ© de sens.
Dans l’imaginaire français, le marteau-piqueur est traditionnellement associĂ© au travailleur immigrĂ©. Michel Tournier dans son roman La Goutte d’or met son hĂ©ros – un jeune homme immigrĂ© – dans la situation du travailleur-type. Son outil de travail, le marteau-piqueur, est dĂ©crit comme un « formidable outil Ă dĂ©foncer le bitume ». Chez Begag, le jeu de mots est double selon si « pique » est pris dans son acception en tant que verbe ou en tant que nom. Le verbe « piquer » dispose de diffĂ©rents sens, de percer Ă l’aide d’un outil quelconque Ă prendre ou voler (un sens datant du XVIe siĂšcle) ou encore blesser (sens lui aussi vieilli), toutes ces significations sont liĂ©es par un caractĂšre dĂ©sagrĂ©able, de douleur, d’inconfort. C’est bien le travail acharnĂ© qui a piquĂ© le cĆur de tous ces immigrĂ©s, dont le pĂšre du narrateur, au point de les faire vieillir dans un Ă©tat de santĂ© fragile, ou mĂȘme de les tuer. « Pique » peut aussi ĂȘtre un nom, il renvoie alors aux cartes, à « une des couleurs reprĂ©sentĂ©e par un fer de pique noir stylisé ». Il y aurait alors un jeu de mots avec cĆur, un autre terme employĂ© dans le champ sĂ©mantique des cartes de jeu. Quelle pourrait ĂȘtre l’interprĂ©tation si « pique » est lu dans son sens nominal ? Je passe mon tour…
Quoiqu’il en soit, il est Ă©vident que la mise en lumiĂšre des immigrĂ©s de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration n’est pas annoncĂ©e « visiblement » par les titres des deux autofictions. Le titre rĂ©siste Ă toute interprĂ©tation immĂ©diate, empĂȘche toute impression de transparence de sens. Il faut alors l’intermĂ©diaire du « je » autofictionnel pour expliquer ses titres obscurs Ă la premiĂšre lecture.
Le « je » autofictionnel joue d’autant plus un rĂŽle de mĂ©diation dans la mise en lumiĂšre des gĂ©nĂ©rations d’immigrĂ©s invisibles qu’il ne cache pas sa propre visibilitĂ©, surtout dans le deuxiĂšme rĂ©cit Le Marteau Pique-CĆur. Cette nĂ©cessitĂ© d’ĂȘtre visible devient consciente chez le narrateur dĂšs ses premiers pas Ă l’Ă©cole. Il comprend trĂšs tĂŽt qu’il faut ĂȘtre devant le maĂźtre, sous ses yeux, pour qu’il soit vu pour ce qu’il est, c’est-Ă -dire Azouz, un jeune Ă©lĂšve brillant. Il dit :
« à partir d’aujourd’hui, terminĂ© l’Arabe de la classe. Il faut que je traite d’Ă©gal Ă Ă©gal avec les Français. DĂšs que nous avons pĂ©nĂ©trĂ© dans la salle, je me suis installĂ© au premier rang, juste sous le nez du maĂźtre. Celui qui Ă©tait lĂ avant n’a pas demandĂ© son reste. Il est allĂ© droit au fond occuper ma place dĂ©sormais vacante. Le maĂźtre m’a jetĂ© un regard surpris. Je le comprends. Je vais lui montrer que je peux ĂȘtre parmi les plus obĂ©issants, parmi ceux qui tiennent leur carnet du jour le plus proprement, parmi ceux dont les mains et les ongles ne laissent pas filtrer la moindre trace de crasse, parmi les plus actifs en cours » (62).
Cette citation met en lumiĂšre plusieurs Ă©lĂ©ments de la rĂ©alitĂ© des immigrĂ©s, et dans cette situation prĂ©cise, des plus jeunes gĂ©nĂ©rations qui sont, elles, confrontĂ©es Ă la sphĂšre visible dĂšs les premiĂšres annĂ©es de scolaritĂ©. Tous les jours, le passage du ChaĂąba (espace de l’invisibilitĂ©, un « en-dedans protecteur » selon Abdelkader Benarab) Ă l’Ă©cole (espace de visibilitĂ©) est assimilĂ© Ă une traversĂ©e dangereuse et effrayante, tout du moins au dĂ©but. Le jeune Azouz raconte ce dĂ©placement quotidien en disant :
« AprĂšs, c’est LĂ©o Lagrange, l’Ă©cole ; mais quelle angoisse de parvenir jusque-lĂ Â ! Le pont enjambe les eaux brouillonnes et nerveuses du canal. Leur couleur verdĂątre suffit Ă me paralyser. Les jours de grand vent, toute la ferraille claque des dents, alors je m’agrippe Ă la rampe de sĂ©curitĂ© d’une main et, de l’autre, je m’accroche Ă la blouse de Zohra. AprĂšs ce passage difficile, il ne reste qu’une centaine de mĂštres Ă parcourir » (56-57).
Cette angoisse de la traversĂ©e ne dure pas, en effet, un peu plus loin, alors que l’heure des vacances d’Ă©tĂ© a sonnĂ©, le narrateur dit : « Ils [Moustaf et Zohra] commencent Ă marcher, allĂšgres. Je les suis Ă quelques mĂštres, traĂźnant les babouches sur le pont Croix-Luizet dont je n’ai plus peur Ă prĂ©sent… » (162).
Ces citations ne sont pas anodines car elles montrent Ă quel point le « je » narrateur est conscient de la nĂ©cessitĂ© d’ĂȘtre visible et de maĂźtriser ses angoisses s’il veut montrer qui il est, en tant qu’ĂȘtre humain pensant, et pas en tant que membre d’une communautĂ© (« terminĂ© l’Arabe de la classe »). L’Ă©cole comme espace de libĂ©ration et d’entrĂ©e dans la lumiĂšre est analysĂ© par Abdelkader Benarab avec les propos suivants :
« Begag [met] en avant le rĂŽle de l’Ă©cole comme Ă©lĂ©ment de transformation de la condition socio-culturelle et aussi de libĂ©ration. […] Le texte […] dĂ©gage une ambition politique que sous-tend une rhĂ©torique contestataire des Ă©vidences prĂ©sentes dans l’imaginaire de l’Autre. La socialisation par l’apprentissage scolaire est une des premiĂšres Ćuvres de combat que se livre le hĂ©ros principal dont la rĂ©ussite est la meilleure arme ».
L’Ă©cole et la rĂ©ussite sont donc une arme libĂ©ratrice des filets de l’invisibilitĂ© pour Azouz. Cette conception lui a Ă©tĂ© inculquĂ©e par son pĂšre. Alors qu’un groupe d’enfants du ChaĂąba veut aller travailler les jeudis matins au marchĂ© pour gagner quelques piĂšces, Bouzid s’oppose catĂ©goriquement Ă ce que ses fils fassent de mĂȘme, il leur dit :
« Je prĂ©fĂšre que vous travailliez Ă l’Ă©cole. Moi je vais Ă l’usine pour vous, je me crĂšverai s’il le faut, mais je ne veux pas que vous soyez ce que je suis, un pauvre travailleur. Si vous manquez d’argent, je vous en donnerai, mais je ne veux pas entendre parler de marché » (22).
Toutes ces citations marquent bien la conviction du narrateur que la sortie de l’invisibilitĂ© passe par l’Ă©cole, et la rĂ©ussite scolaire. Dans Le Marteau Pique-CĆur, le narrateur donne Ă voir les consĂ©quences de cette conviction nĂ©e dĂšs les premiers pas dans le systĂšme scolaire. La visibilitĂ© du « je » est omniprĂ©sente dans le deuxiĂšme rĂ©cit, elle est inscrite dans un jeu de contraste avec la persistante invisibilitĂ© de ses pairs. Ainsi, Ă tout moment, quelqu’un vient rappeler au narrateur son statut d’Ă©crivain connu et reconnu, mĂȘme dans les instants les plus douloureux. L’Ă©pisode oĂč cette surexposition amĂšne le narrateur Ă se trouver face Ă des situations du domaine de l’absurde est l’Ă©pisode de la visite rendue Ă son pĂšre alors qu’il se trouve Ă l’hĂŽpital :
« Face Ă la chambre 33, je poussai tout doucement la porte. […] La premiĂšre vision me propulsa en arriĂšre d’un pas, comme une explosion de gaz. AbbouĂ© Ă©tait Ă peine reconnaissable, pliĂ© en deux sur son lit redressĂ© Ă cent vingt degrĂ©s, affublĂ© d’une simple blouse blanche, le visage amaigri, gĂ©missant comme un animal blessĂ©. […] De prĂšs, des taches de sang ou de vomi sur son oreiller montraient l’Ă©tat d’abandon dans lequel on l’avait laissĂ©. […] PaniquĂ©, je jetai un coup d’Ćil sur le voisin. […]
– Il n’y a pas d’infirmiĂšres, ici ? OĂč sont-elles, nom de Dieu ?
Miracle, enchantement, une jeune infirmiĂšre entra sur la pointe des pieds. […]
– Mon pĂšre est entrain de souffrir, beaucoup… rĂ©ussis-je Ă placer, je ne sais pas si…
– Mourir ? sourit-elle.
– Non, j’ai dit souffrir !
Tout en continuant son tour du lit, réajustant les draps, elle me regarda et écarta les narines.
– C’est vous l’Ă©crivain ?
– Oui, je… fis-je surpris, mais…
– Je le savais !
– … et lui c’est mon pĂšre, c’est…
– Je le savais !
– … le hĂ©ros de mon roman, vous savez…
Elle frappa sur l’oreiller plein de taches, sourcilla, dĂ©cida de changer de taie.
– J’ai tout lu de vous ! Mais ce qui s’appelle tout ! […]
Tandis qu’un dĂ©bat littĂ©raire du troisiĂšme type s’instaurait autour de lui, mon pĂšre continuait tranquillement de se contorsionner dans son lit, en implorant sa mĂšre » (32-33).
Dans ce passage, le « je » autofictionnel montre les limites de sa visibilitĂ©. Lui, en tant qu’Ă©crivain reconnu, est visible et peut ĂȘtre l’intermĂ©diaire dans la mise en lumiĂšre de ses frĂšres, cousins, amis qui restent invisibles Ă la sociĂ©tĂ©. Begag peut utiliser la mĂ©diation de l’autofiction, et du « je » autobiographique pour opĂ©rer cette mise en lumiĂšre dans un cadre littĂ©raire. Cependant, cette mise en lumiĂšre semble ne pas dĂ©passer systĂ©matiquement les limites du rĂ©cit littĂ©raire. Ainsi cette mise en mots d’une situation vĂ©cue, situation oĂč les souffrances de son pĂšre ne sont mĂȘme pas vues, mĂȘmes pas reconnues par les infirmiĂšres alors que lui, Azouz Begag, est immĂ©diatement reconnu est un Ă©pisode qui montre tout le chemin encore Ă parcourir. Le « je » autofictionnel reconnaĂźt, avec luciditĂ©, que la visibilitĂ© et la reconnaissance publique ne sont pas les clĂ©s d’un mieux-ĂȘtre, d’une meilleure vie entre « eux »/français et « nous »/immigrĂ©s ou « issu(e)s de l’immigration ». Il dit toujours dans sa deuxiĂšme autofiction :
« La reconnaissance coĂ»te cher. J’avais Ă©crit trop de livres sur des histoires d’amour qui se terminent mal, surexposĂ© ma tĂȘte Ă la tĂ©lĂ©vision, dans les journaux. Pour quels revenus ? Trouver l’errance, le vagabondage et la solitude. J’avais dĂ©cidĂ©ment mal calculĂ© mon itinĂ©raire » (110).
Une fois encore, il est Ă©vident que la mise en lumiĂšre de cette gĂ©nĂ©ration d’invisibles n’est pas directe, immĂ©diate, elle agit grĂące Ă la mĂ©diation d’un « je » autofictionnel, qui a pris trĂšs tĂŽt conscience de son rĂŽle Ă jouer en tant qu’individu « issu de l’immigration » visible. La visibilitĂ©, la « socialisation », terme employĂ© par Benarab, passe par la rĂ©ussite scolaire, et l’effort personnel. Ainsi, le « je » est le reprĂ©sentant des gĂ©nĂ©rations silencieuses, il Ă©crit au nom de son pĂšre et de tous les hommes et femmes qui ont quittĂ© leurs terres natales pour venir travailler en France. Mais le rĂŽle du « je » reprĂ©sentant s’Ă©tend-t-il Ă sa gĂ©nĂ©ration Ă lui, Ă la « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration issue de l’immigration » ? Est-il aussi un intermĂ©diaire pour cette gĂ©nĂ©ration-lĂ Â ?
La visibilitĂ© Ă travers l’Ă©criture
L’autofiction est un genre traditionnellement utilisĂ© par les auteurs de la dite « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration issue de l’immigration ». Son caractĂšre autobiographique donne du crĂ©dit Ă ce qui est dit car le rĂ©cit est supposĂ© s’appuyer sur des faits rĂ©els, vĂ©cus. Christiane Chaulet-Achour parle de « visibilitĂ© d’une subjectivitĂ© authentifiĂ©e par un vĂ©cu » dans LittĂ©ratures autobiographiques de la francophonie. Ce genre a participĂ© Ă la mĂ©diatisation de cette littĂ©rature, littĂ©rature qui s’attache Ă montrer la vie des premiers immigrĂ©s et les difficultĂ©s rencontrĂ©es par les gĂ©nĂ©rations qui ont suivi. Ă la fin de la partie prĂ©cĂ©dente, on s’est interrogĂ© sur le rĂŽle Ă©ventuel d’Azouz Begag de reprĂ©sentant de plusieurs gĂ©nĂ©rations, dont la sienne. Il semble que le « code » de l’autofiction soit le seul lien qui existe entre Begag et les autres auteurs de sa gĂ©nĂ©ration. Abdelkader Benarab affirme que la « posture » des auteurs de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration face Ă la sociĂ©tĂ© française, face à « eux », est double, il s’agit soit d’une posture de « rejet », soit de « conformité ». Le travail autofictionnel d’Azouz Begag de mise en lumiĂšre d’un « nous » illustre-t-il l’une de ces deux postures ? D’autre part, les jeunes auteurs expriment souvent les difficultĂ©s qu’ils rencontrent dans leur construction identitaire, entre enracinement et dĂ©racinement. On verra ce qu’il en est du « je » narrateur dans Le Gone du ChaĂąba et dans Le Marteau Pique-CĆur. Quand Azouz Begag Ă©crit Ăcart d’identitĂ© avec Abdelatif Chaouite, il semble que le terme « écart » dĂ©finisse tout particuliĂšrement son positionnement par rapport Ă la question d’une visibilitĂ© des premiĂšres gĂ©nĂ©rations, et de l’attitude des hommes et femmes issus de cette gĂ©nĂ©ration.
Par l’intermĂ©diaire d’un rĂ©cit autofictionnel, Azouz Begag rend leur visibilitĂ© aux hommes et aux femmes premiers immigrĂ©s arrivĂ©s en France. C’est une double mise en lumiĂšre, rĂ©vĂ©lation d’une premiĂšre et d’une deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration. Begag appartient Ă cette « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration ». Ce terme me gĂȘne quelque peu car il ne correspond pas Ă la rĂ©alitĂ© de la situation. Jean DĂ©jeux, dans son livre La littĂ©rature maghrĂ©bine d’expression française, montre l’absurditĂ© de cette expression, il dit :
« Ces auteurs […] ne sont de la seconde gĂ©nĂ©ration d’Ă©migrĂ©s parce qu’ils n’ont Ă©migrĂ© de nulle part. Ils sont simplement fils de travailleurs qui ont Ă©migrĂ© autrefois. De pĂšres algĂ©riens, pour les AlgĂ©riens, ils sont toujours considĂ©rĂ©s comme AlgĂ©riens, mĂȘme s’ils sont Français parce que nĂ©s en France ou ayant Ă©tĂ© naturalisĂ©s Ă leur demande ».
L’ambiguĂŻtĂ© de cette Ă©tiquette correspond Ă l’ambiguĂŻtĂ© du « cas Begag ». En effet, aprĂšs avoir lu Les Voix de l’exil d’Abdelkader Benarab et d’autres articles rassemblĂ©s par Martine Mathieu dans LittĂ©ratures autobiographiques de la francophonie, il est Ă©vident qu’Azouz Begag ne supporte aucune des Ă©tiquettes dont se retrouve affublĂ©s ces auteurs, enfants d’immigrĂ©s. Benarab affirme que le jeune narrateur, enfant d’immigrĂ©s, envisage la sociĂ©tĂ© française, la sociĂ©tĂ© visible, selon une double posture, soit une posture de conformitĂ©, soit une posture de rejet. Il explique :
« L’apparition du « moi » dans l’espace littĂ©raire de la seconde gĂ©nĂ©ration issue de l’immigration s’est fait par rapport Ă une rĂ©sistance ou un paradoxe crĂ©Ă© par le regard d’autrui. Les personnages dĂ©velopperont une attitude d’un double choix imposĂ© par ce regard de la sociĂ©tĂ© d’accueil : la conformitĂ© ou la rĂ©volte ».
Alors, les jeunes ChaĂąbis de la France entiĂšre devraient soit se conformer Ă la sociĂ©tĂ© française, en se fondant dans la masse, et en niant leurs origines, soit rejeter en bloc cette mĂȘme sociĂ©tĂ©, qui n’a jamais considĂ©rĂ© leurs parents, et qui les repousse en permanence. Cette dichotomie me semble manquer de nuance. Preuve en est, deux affirmations tirĂ©es du Marteau Pique-CĆur : « Moi, en frĂ©quentant l’Ă©cole de Français, en faisant de VercingĂ©torix le hĂ©ros de mes jeux, j’avais accompli un autre dĂ©placement, moins loin, mais sans retour, j’Ă©tais devenu Franc, Gaulois. » (11) Et deux pages plus loin, le mĂȘme narrateur, alors qu’il vole en direction des Ătats-Unis, se fait la rĂ©flexion suivante : « Dans cette gĂ©omĂ©trie aux dimensions si extravagantes, la France faisait figure de petit coin de terre, et l’AlgĂ©rie, mon autre fontaine identitaire, de petit bac Ă sable blanc » (13).
Ces deux citations soulignent le fait que le narrateur accepte sa double culture, sans penser son existence en termes de « rejet » ou de « conformité ». Il est Français, de parents algĂ©riens, et bĂ©nĂ©ficie de la richesse d’une double culture, son ĂȘtre est façonnĂ© de ces deux « sources », il n’en privilĂ©gie pas une pour en mettre de cĂŽtĂ© une autre. Il est aussi intĂ©ressant de noter que l’idĂ©e de l’Ă©cole comme espace de construction identitaire est rĂ©affirmĂ©e. L’absence d’une dualitĂ© ou d’une ambiguĂŻtĂ© identitaire semble liĂ©e au fait que, contrairement aux idĂ©es reçues, le narrateur Ă©volue dans un espace qui est le sien, qui est son « chez lui ». La question de la territorialisation ne se pose pas en terme problĂ©matique comme elle a pu l’ĂȘtre pour la premiĂšre gĂ©nĂ©ration d’immigrĂ©s. Comme le dit le narrateur, « j’avais accompli un autre dĂ©placement, moins loin, mais sans retour », il est chez lui en France et il ne vit pas avec le mythe du « retour dĂ©nifictif », comme il se plaĂźt Ă le dire dans Le Marteau Pique-CĆur. Dans un passage chargĂ© de tendresse Ă l’Ă©gard de son pĂšre, mort et enterrĂ© dans son village natal en AlgĂ©rie, le narrateur est rassurant et assurĂ© avec les mots suivants :
« Je le [son pĂšre] rassure, t’en fais pas, normalement il ne devrait pas y avoir de problĂšmes, on va se dĂ©brouiller quelques annĂ©es sans toi avant de te rejoindre, nous avons appris le français, nous prononçons correctement Ă©cole au lieu d’icoule, nous ne rĂȘvons pas de retour dĂ©nifictif, on est français, j’y suis, j’y reste, sĂ©jour dĂ©finitif, nous jouons de l’imparfait du subjonctif pour nous dĂ©fendre avec la langue contre ceux qui se disent hĂ©ritiers exclusifs de VercingĂ©torix » (188).
LĂ encore il n’y a pas de coupure fondamentale entre les deux cultures, en effet, bien que le narrateur affirme sa « françité », dans le dialogue intĂ©rieur avec son pĂšre, il lui dit qu’il le rejoindra. Il n’y a pas abandon de racines. La question de l’enracinement et du dĂ©racinement est un autre aspect de ce coup de projecteur sur les enfants d’immigrĂ©s.
Le pĂšre du narrateur est un dĂ©racinĂ©, le narrateur un oiseau migrateur : une cigogne. La question de l’espace, de la territorialisation est cruciale dans les rĂ©cits sur l’immigration. Abdelkader Benarab, dans Les Voix de l’exil, cite JankĂ©lĂ©vitch. Ce dernier Ă©nonce la thĂ©orie suivante : « Les lieux ne sont jamais interchangeables […]. C’est pour les mathĂ©maticiens que tout lieu en vaut un autre car la terre oĂč on a vĂ©cu dĂšs sa naissance et son enfance constitue un espace de “gĂ©ographie pathĂ©tique”. »
Cet « espace de gĂ©ographie pathĂ©tique » est le paradis perdu algĂ©rien, l’Ithaque – selon la comparaison de Begag – pour les premiĂšres gĂ©nĂ©rations. ObligĂ©s de quitter cet espace originel, ils expĂ©rimentent le dĂ©racinement, la dĂ©territorialisation. Une souffrance infinie qu’ils tentent d’attĂ©nuer en se berçant du mythe du retour dĂ©finitif.
Dans les deux autofictions, Begag souligne l’absence de ce sentiment de dĂ©territorialisation chez son personnage autofictionnel. Son espace propre est la France, il se sent dĂ©racinĂ© quand il quitte son pays pour partir aux Ătats-Unis par exemple, mais jamais dĂ©territorialisĂ©, car il se dĂ©finira toujours en tant qu’appartenant Ă ce sol gaulois, en mĂȘme temps qu’au sol algĂ©rien. Il a deux fontaines identitaires, les deux coulent au mĂȘme rythme, l’une n’est jamais Ă sec, tandis que l’autre dĂ©borde.
Ce caractĂšre d’ambivalence acceptĂ© par le narrateur est une fois encore en contradiction avec les idĂ©es reçues simplistes qui disent que les jeunes, enfants d’immigrĂ©s, ne sont pas Français en France et pas AlgĂ©riens en AlgĂ©rie. Cette vacuitĂ© territoriale ne semble pas affecter le narrateur. Ayant lui-mĂȘme vĂ©cu l’expĂ©rience de l’exil – il est parti travailler aux Ătats-Unis pendant plusieurs annĂ©es – il comprend le sentiment de manque du pays, de mal du pays, mais c’est un manque facile Ă combler car le retour est programmĂ©, et non mythique. En introduction de cette avant-derniĂšre sous-partie, j’ai comparĂ© le narrateur, Azouz Begag, Ă une cigogne. Dans le deuxiĂšme rĂ©cit, Le Marteau Pique-CĆur, le lecteur est « baladé » entre quatre espaces gĂ©ographiques diffĂ©rents : les Ătats-Unis, la France, le Maroc et l’AlgĂ©rie. Ces mouvements migratoires permanents, cette dĂ©voration du monde, permet au narrateur de prendre conscience de sa territorialisation, puisqu’oĂč qu’il aille, il rentre toujours au mĂȘme endroit : Lyon. C’est son port d’attache.
La rĂ©fĂ©rence aux cigognes, ces oiseaux migrateurs cĂ©lĂšbres pour leurs dĂ©placements annuels, au fil des saisons, est aussi prĂ©sente dans le texte. Ă deux reprises, lors de l’enterrement du pĂšre Ă El-Ouricia, il est fait rĂ©fĂ©rence aux cigognes. « On a l’air con, lança Kader. Tout le monde nous mate, mĂȘme les cigognes. » (200), puis quelques pages plus loin, « une cigogne vint survoler les opĂ©rations. Tout se dĂ©roulait comme prĂ©vu depuis toujours. Elle s’Ă©loigna Ă tire-d’aile, aprĂšs constatation. » (203) Azouz Begag, grĂące Ă l’intervention des cigognes, dĂ©passe la question de l’enracinement et du dĂ©racinement, en se comparant Ă cet oiseau qui change de « chez-soi » selon les saisons, mais qui revient toujours au mĂȘme endroit. C’est une territorialisation multiple, Ă l’image du narrateur. Quand il arrive en AlgĂ©rie, il fait part de ses sentiments au lecteur : « Nous Ă©tions en AlgĂ©rie. Je souhaitai Ă ma fille bienvenue dans son autre pays. » (146) Ainsi la question de la territorialisation est abordĂ©e et permet d’Ă©clairer un autre pan de la problĂ©matique construction identitaire des enfants d’immigrĂ©s, coincĂ©s entre deux espaces. Le narrateur tente de dĂ©passer cette dichotomie en s’inscrivant dans une double territorialisation, une rĂ©elle : la France, et une originelle : l’AlgĂ©rie. La façon dont la question est traitĂ©e dans les deux rĂ©cits, est dĂ©nuĂ© de tout caractĂšre tragique ou fataliste, comme il est habituellement de mise quand ces sujets sont Ă©tudiĂ©s. Une fois encore Begag se situe Ă l’Ă©cart de toutes les interprĂ©tations, souvent hĂątives, proposĂ©es sur le thĂšme de la « deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration ».
Conclusion
Martine Mathieu, dans l’introduction du recueil d’articles intitulĂ©s LittĂ©ratures autobiographiques de la francophonie, annonce un point problĂ©matique :
« Si le stade du rĂ©cit de vie Ă valeur de manifeste ou de tĂ©moignage se trouve dĂ©passĂ©, le « je » mis en scĂšne dans ces littĂ©ratures francophones est pourtant souvent destinĂ© Ă s’amplifier en un « nous » identitaire, porte-parole d’une communautĂ©, centrale ou marginale (la nation ; les immigrĂ©s ; les femmes…), ou Ă n’exister qu’en opposition Ă une personne collective » .
Une fois encore Azouz Begag Ă©chappe Ă cette affirmation. Quand il utilise l’autofiction pour mettre en lumiĂšre et rendre visible toute une gĂ©nĂ©ration d’oubliĂ©s, il dĂ©peint un « nous » et un « je », le groupe et l’individu. RĂ©vĂ©ler la premiĂšre gĂ©nĂ©ration d’immigrĂ©s correspond certes Ă une volontĂ© d’Ă©clairage historique sur une partie de l’histoire française souvent occultĂ©e, mais c’est aussi, la rĂ©humanisation d’individus toujours considĂ©rĂ©s avec un regard groupal, collectif. Begag n’Ă©largit pas le « je » au « nous ». Il sort le « je » du « nous » pour montrer son individualitĂ©. De plus, bien qu’il aborde les diffĂ©rentes thĂ©matiques liĂ©es Ă la question des enfants d’immigrĂ©s, de la construction identitaire, de l’inscription dans un espace, il demeure en marge des discours reçus. C’est d’ailleurs lĂ tout l’intĂ©rĂȘt et en mĂȘme temps toute la difficultĂ© dans l’Ă©tude des textes d’Azouz Begag.
Tout est remis en question, le lecteur ne peut pas se satisfaire des interprĂ©tations gĂ©nĂ©ralisantes acceptĂ©es sur la littĂ©rature dite « de deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration ». Il faut comprendre la construction, la crĂ©ation que rĂ©alise Azouz Begag d’un nouvel espace qui peut ĂȘtre dĂ©doublĂ©, d’individus qui peuvent ĂȘtre d’ici et de lĂ -bas. Pas de misĂ©rabilisme sur lequel s’apitoyer, de la rĂ©alitĂ© rien que de la rĂ©alitĂ© offerte dans une langue chargĂ©e d’humour et de poĂ©sie, non ce n’est pas parce qu’un auteur est rangĂ© dans la catĂ©gorie « auteurs de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration issue de l’immigration » (vous pouvez reprendre votre souffle…) que le parler doit ĂȘtre le parler des banlieues.
L’auteur est dans le fictif car il s’agit du propre de la littĂ©rature mais il n’est pas dans le « dĂ©nifictif ». Cet adjectif associĂ© au mot « retour » est intĂ©ressant car il peut renvoyer aux dĂ©bordements et exagĂ©rations liĂ©s Ă une mĂ©diatisation soudaine et Ă©phĂ©mĂšre de la littĂ©rature des enfants d’immigrĂ©s. L’autofiction s’Ă©loigne peut-ĂȘtre parfois trop d’une rĂ©alitĂ© pour rĂ©pondre aux dĂ©sirs d’une sociĂ©tĂ© qui ne croit plus que ce que les mĂ©dias assĂšnent matin et soir. Tout appartient au fictif, tout n’est qu’illusion. Azouz Begag se dĂ©tache de cette obligation de satisfaction d’un lectorat dont l’esprit est embrumĂ© par des discours qui refusent de « se coltiner » la rĂ©alitĂ©. Il dit qu’il est Français, parce qu’il le pense et parce qu’il l’est tout simplement.
Azouz Begag reste Ă l’Ă©cart du monde des Ă©tiquettes qui dissimulent les individus, les rend invisibles.
BIBLIOGRAPHIE
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Sous la direction de Martine MATHIEU, LittĂ©ratures autobiographiques de la francophonie, actes du colloque de Bordeaux du 21 au 23 mai 1994, Paris, L’Harmattan, 1996.
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ROMAN CITĂ
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