Films

Immigration, désindustrialisation, désillusion : « Adieu Gary » de Nassim Amaouche

Adieu Gary, un premier film auréolé par le grand prix de la Semaine de la critique au festival de Cannes 2009, marqué par la disparition de son interprète principal, Yasmine Belmadi (33 ans), dans un tragique accident de scooter quelques jours avant la sortie du film sur les écrans français, la participation d’un Jean-Pierre Bacri en grande forme, les ingrédients du succès semblent réunis. Et l’on ne saurait souhaiter autre chose à ce premier opus délibérément modeste, intimiste, économe qui nous charme de bout en bout. Adieu Gary joue sur le registre populiste un peu à la manière de Rabah Ameur Zaimeche dans Dernier Maquis. Il faut saluer comme elle le mérite la nouvelle génération de cinéastes français issus de l’immigration qui fait souffler un vent rafraîchissant sur nos écrans.

Slide1
De gauche à droite et de haut en bas : J-P Bacri, D Reymond, Y Belmadi et M Arezki

Tout comme les moyens mis en œuvre par le réalisateur Amaouche, l’argument concocté par le même Amaouche en tant que scénariste du film est modeste. Samir (Y. Belmadi) sort de prison. Il est accueilli par son père Francis (J.-P. Bacri) et son frère Icham (Mhamed Arezki). Ce dernier a trouvé pour Samir une place dans le supermarché où il travaille. Samir a du mal à se faire à un emploi aussi peu gratifiant ; il préfère la fréquentation de sa voisine Nejma (Sabrina Ouazani) et finit par abandonner son poste. Parmi les autres protagonistes, on remarque Maria, la maîtresse de Francis (Dominique Raymond), son fils José (Alexandre Bonnin) et, last but not least, Abdel (Hab-Eddine Sebiane) le trafiquant de produits illicites, cloué sur sa chaise roulante. L’action se situe dans un quartier ouvrier après la fermeture de l’usine.

 

 Slide2
S. Ouazani

 

Tous les personnages ont une histoire qui est évoquée dans le film avec suffisamment de précision pour que nous nous attachions à eux. Francis n’arrive pas à admettre la fermeture de l’usine, il s’obstine à réparer la machine sur laquelle il travaillait quand son emploi a disparu. Ses deux fils sont comme l’eau et le feu : Icham le raisonnable contre Samir le perpétuel révolté. Maria traîne sa croix en la personne de son fils José qui passe son temps à visionner des films de Gary Cooper, le sosie de son père parti au loin. Nejma rêve d’un ailleurs et finit par s’en aller à Paris. Enfin, Abdel est un improbable mais néanmoins crédible caïd cloué sur son fauteuil d’infirme.

 

 Slide3
A. Bonnin et H.-E. Sebiane

Le charme d’Adieu Gary tient pour une part non négligeable au lieu du tournage, la Cité blanche du Teil (Ardèche), ancienne cité ouvrière annexée à une usine des ciments Lafarge aujourd’hui désaffectée. Rarement le choix du décor naturel aura été autant justifié. Le sentiment de déliquescence, de déréliction qui est le thème principal du film – est palpable rien qu’à regarder ces immeubles à demi abandonnés, ces rues qui paraissent d’autant plus larges qu’elles sont à peu près désertes. La lumière du midi renforce l’impression d’étrangeté tant on a oublié que l’industrie, jadis, irriguait tour le territoire de la France, qu’elle n’était pas confinée, comme aujourd’hui, dans quelques enclaves septentrionales.

La réussite du film tient aussi, évidemment, au jeu des acteurs, pour la plupart inconnus et, pour certains, débutants. Des acteurs qui, au demeurant, n’ont guère eu besoin de forcer leur talent, tant leur rôle apparaît proche de celui qu’ils tiennent dans la vie. J.-P. Bacri fait du Bacri, ce qui convient parfaitement à son personnage. Y. Belmadi (déjà repéré en particulier dans Beur, blanc, rouge de Mahmoud Zemmouri) confirme malheureusement pour la dernière fois son talent à incarner une sensibilité à fleur de peau. On ne saurait manquer également de mentionner S. Ouazani (qui débuta dans l’Esquive d’Abdellatif Kechiche) dont la présence est toujours impressionnante, dès que la caméra se braque sur elle. Quant à H.-E. Sebiane, qui incarne un autre rôle secondaire, il crève si bien l’écran qu’il en paraît véritablement « énorme », en dépit de sa petite taille.

Nassim Amaouche excelle à décrire les prolétaires et les immigrés dans la France contemporaine, celle de la mondialisation et de la désindustrialisation. Et de fait, les personnages de son film ne connaissent que les allocations ou les petits boulots. Francis est au chômage, Maria sert de cobaye à un laboratoire pharmaceutique, son fils ne fait strictement rien, Icham range des boîtes sur les rayons du supermarché, Nejma est serveuse. Abdel trafique. Quant à Samir, on sent bien que sa révolte ne le conduira qu’à la délinquance et au retour à la case prison. Chez tous domine le désenchantement et la résignation. Mais non pas le désespoir, car il y a toujours des moyens de survivre : la retraite pour les vieux, la mosquée pour certains, les allocations pour les paresseux, les boulots mal payés pour les courageux sans ambition, les trafics plus lucratifs – quoique risqués – pour les ambitieux. Ainsi va la France des petites gens en ce début du XXIème siècle !