Branché et pétillant
Olivier Assayas serait-il notre Woody Allen ? C’est ce que son film donne à penser. Le petit monde peint dans Doubles vies, celui des bourgeois intellos parisiens, évoque en effet irrésistiblement celui des bourgeois intellos version Manhattan de W. Allen. Et Léonard, l’écrivain « autofictif » et pataud (joué par un Vincent Macaigne au mieux de sa forme) qui réussit néanmoins à plaire aux dames, ne peut pas ne pas faire penser aux personnages joués par W. Allen lui-même dans ses films. Ceci dit, nous sommes bien en France, à Paris, dans des appartements meublés avec goût mais sans ostentation en dehors des murs couverts de livres ou une affiche de Bill Viola au mur. Bien sûr, quand on se rencontre, on ne manque pas de mentionner Thomas Bernhard ou Lars Noren, Visconti ou Haeneke et, cela va de soi, de parler « boutique », c’est-à-dire principalement d’édition et accessoirement de politique, puisque l’un des principaux personnages est un éditeur (Guillaume Canet) qui publie entre autres les livres de son ami Léonard et que ce dernier est en couple avec l’assistante d’un homme politique. On parle aussi du métier d’acteur et de télévision puisque la femme de l’éditeur (Juliette Binoche) interprète une policière criminologue dans une série télévisée.
Au-delà des intrigues amoureuses sans conséquence qui justifient le titre, Doubles vies, le film soulève quelques questions qui ne peuvent que passionner tous les spectateurs qui s’intéressent de près ou de loin aux métiers d’écrivain, d’éditeur et de critique. On excusera un (modeste) critique s’il s’attarde sur ce dernier aspect. La maison d’édition a recruté une jeune spécialiste du numérique (Christa Theret dont l’élocution « jeuns » et chuintate est quasi inaudible pour une oreille rassise), accessoirement la maîtresse de son patron. (Pour faire bonne mesure précisons que l’épouse de ce dernier – donc la comédienne – n’est pas en reste puisqu’elle-même couche avec l’auteur. Seule la compagne (Nora Hamzawi) d’i-celui semble exempte de tout adultère, trop occupée qu’elle est à jongler avec ses deux téléphones et sa tablette et par tous ses voyages en province pour soutenir son homme politique, … lequel est homosexuel au demeurant).
Mais revenons à la critique littéraire. Dans l’une des scènes du film, la jeune personne spécialiste du numérique explique doctement que les critiques des journaux patentés sont une espèce en voie de disparition. Ils ont le tort, en effet, de laisser parler leur sensibilité – encore que… mais admettons que ce soit le cas – alors que ce qui devrait importer à un éditeur, c’est uniquement de toucher son « cœur de cible ». Or, pour ce faire, continue la jeune personne, il existe des algorithmes capables d’identifier les lecteurs potentiels et de leur faire parvenir les messages adéquats (bientôt rédigés par d’autres algorithmes).
Concernant maintenant le métier d’éditeur, sont évoqués les e-books censés devoir « tuer » les livres-papier, ce qui est loin d’être le cas, jusqu’à présent en tout cas. Le film soulève la question sans y répondre mais la conclusion est bien que le métier du livre sera inéluctablement transformé, que le papier disparaîtra tout comme les critiques. Quant à la politique, puisqu’on en parle aussi assez longuement dans le film, il ressort des discussions entre les personnages de Doubles vies que, à l’heure de la « postvérité », les politiciens n’ont plus aucune chance de rétablir la confiance dans leur profession, chacun d’entre nous se racontant ses propres histoires sans souci de véracité.
Conformément au discours qu’il véhicule, O. Assayas a bien identifié sa cible ; son film ne peut que plaire à tous les bobos auxquels il est destiné et qui constituent le second public du cinéma après les ados et ados attardés qui se régalent des blockbusters. Quoi qu’il en soit, en ce qui nous concerne, on l’aura compris, nous n’avons pas boudé notre plaisir !