Barcelone est une ville à la mode, particulièrement chez les Français. Les touristes qui viennent ici en cohortes aiment arpenter les Ramblas, errer dans les rues étroites du Barri Gótic, s’étonner devant les édifices construits par l’architecte Gaudi. Ils sont bien peu nombreux, pourtant, ceux qui ayant escaladé les pentes du parc Monjuic pour contempler la ville d’en haut ont l’idée de pénétrer à l’intérieur du Palais National qui clôt la perspective depuis la place d’Espagne. On y accède à partir de cette même place par l’avenue de la reine Marie-Christine, un ensemble monumental qui fait se succéder deux gigantesques tours vénitiennes, une vaste fontaine, quatre colonnes géantes, enfin une cascade artificielle. L’avenue est flanquée de part et d’autre par les bâtiments de la foire de Barcelone qui furent construits à l’occasion de l’exposition universelle de 1929, de même que le palais qui en constitue le couronnement et qui abrite désormais le Musée National d’Art de Catalogne.
Visiter le musée permet non seulement de découvrir l’intérieur du Palais National, à commencer par son immense salle ovale flanquée d’un orgue tout aussi immense, mais encore et surtout une collection d’art sacré du Moyen Âge d’une exceptionnelle richesse. L’occupation musulmane ne fut en Espagne septentrionale que de courte durée. Barcelone, pour sa part, fut libérée dès le début du IXe siècle, la Catalogne du nord devenant alors une marche de l’empire de Charlemagne. La chrétienté put ainsi s’y épanouir comme en témoignent tant les cathédrales que les modestes églises ou chapelles présentes dans les moindres bourgades. Précisons d’ailleurs que les villages de montagne, qui n’existaient pas pour la plupart avant le VIIIe siècle, ont été créés à cette époque par des chrétiens fuyant les Sarrasins.
Les sanctuaires villageois, pour la plupart peu remaniés, recelaient encore au début du siècle dernier un décor peint datant de leur construction, souvent recouvert. Alors que des acheteurs étrangers commençaient à manifester leur intérêt pour ces trésors de la peinture romane, la Catalogne organisa le transfert des fresques les plus remarquables jusqu’à Barcelone où elles sont désormais exposées dans des absides reconstruites au sein du musée.
Dans la plupart des cas, en effet, seules les absides étaient peintes de fresques. Cependant deux églises, Sant Climent de Taüll et Santa Maria de Taüll, qui portaient également des peintures au frontal et/ou sur les murs latéraux, ont été intégralement reconstituées. Le musée de Barcelone offre ainsi une occasion exceptionnelle d’admirer un ensemble unique par son ampleur de chef d’œuvres de l’art roman (souvent datés du XIIe siècle), un art encore primitif qui ne tardera pas à se perfectionner au cours de la période dite gothique avant d’atteindre un idéal à la Renaissance, comme en témoignent les œuvres présentées dans les salles suivantes du musée.
À se perfectionner et à se dévergonder quelque peu, en un temps où les dignitaires de l’Église ne refusaient plus certains accommodements avec les douceurs de la volupté. Et verbo carum factum est : au fil de la visite, la rondeur du sein d’une madone, le sexe gonflé sous la tunique d’un crucifié contrastent avec l’ascétisme du Christ d’Escaló de trois siècles antérieur.
La richesse du mouvement moderniste en Catalogne se vérifie dans les salles du premier étage avec en particulier un ensemble conséquent de mobiliers dessinés par Antoni Gaudi ou son disciple Josep Maria Jujol. On remarque également quelques œuvres marquant le retour au réalisme, comme le tableau où Ramon Casas s’est représenté lui-même sur un tandem avec son ami Pere Romeu, une peinture emblématique du musée.
Autre réaction, mais celle-là face à l’accumulation des œuvres d’art sacré, le « retable » de Julio Romero de Torres dont l’intention satirique ne laisse aucun doute.
Un grand mural en céramique de Joan Miró et Joan Gardy Artigas orne, toujours au premier étage, la salle de la coupole, auquel font face quelques sculptures de bonne facture comme celles de Josep Limona. Cependant, pour découvrir l’œuvre de Miro sous toute ses facettes, les amateurs devront parcourir quelques centaines de mètres supplémentaires jusqu’au musée qui lui est spécialement consacré, dans le même parc Monjuic.